Comment développer sa culture du feedback ?
23 nov. 2018 - mis à jour le 01 févr. 2024
6min
Rédactrice indépendante.
Quelles sont les clés d'une culture du feedback réussie ? De sa définition à son impact sur la marque employeur, découvrez comment instaurer un dialogue ouvert et constructif pour dynamiser votre entreprise.
La culture du feedback se présente comme un réel outil d’apaisement et de motivation au sein des organisations, à l’heure où 55 % des salariés du privé estiment que leurs compétences ne sont pas évaluées à leur juste valeur. Mais comment en faire un levier RH pertinent ? C’est la question qui a rythmé la neuvième édition de notre événement Shaker.
Pour orienter la réflexion, deux intervenants nous ont donné leurs 10 essentiels pour créer sa culture du feedback et l’impulser durablement :
- Kevin Bourgeois, CEO et Co-founder chez Supermood, une start-up qui évalue l’engagement des salariés grâce à des questionnaires en ligne.
- Pierre Monclos, DRH chez Unow, un organisme de formation professionnelle digitale.
👉 Mais que peut-on retenir de notre événement Shaker ?
1. Qu’est-ce que la culture du feedback pour l’entreprise ?
Kevin Bourgeois souligne qu’il existe trois types de feedback en psychologie :
- Local: réalisé avec les managers ou des pairs. L’exemple le plus connu étant l’entretien annuel.
- Organisationnel : plus institutionnalisé, c’est un retour global sur toute l’organisation, généralement piloté par la DRH ou le top management. L’enquête annuelle, par exemple.
- Métier : des retours que l’on fait auprès de nos pairs d’un même corpus métier.
Selon Pierre Monclos, chaque entreprise doit ériger sa propre définition de la culture du feedback. Chez Unow, le feedback est un acte bienveillant et « doit être perçu et vécu comme une opportunité de progresser ». S’y ajoutent plusieurs ingrédients incontournables :
- Négatif ou positif, il doit être bien préparé. Pas d’improvisation.
- Il doit être factuel et direct. Pas d’enrobage : des faits, rien que des faits.
- Il doit être actionnable. Celui qui reçoit le feedback sait comment progresser.
- Bonus : « avec une proposition d’aider l’autre ».
2. Prendre en considération la culture et le contexte de la boîte
Kevin Bourgeois, au travers des divers projets menés par Supermood, a pu observer deux grandes typologies d’entreprises face à la culture du feedback :
Les grands groupes : il existe peu d’acculturation sur la manière de mener un feedback. Idem pour sa fréquence : souvent trop rare, il mène à des incompréhensions et des tensions. Pour installer un dialogue plus régulier, « il faut un terreau fertile à la bienveillance ».
Les petites structures ou start-up : on peut parfois observer « un trop plein de bienveillance car on n’ose pas forcément faire des retours négatifs, or on bloque la progression de chacun ».
Chez Unow, la question du feedback est devenue stratégique, alors que l’entreprise voulait prendre un tournant important et devait gérer en parallèle une croissance rapide. Oser se dire les choses, « à commencer par les fondateurs », est devenu essentiel pour passer ce cap.
3. Définir votre « pourquoi » et bien positionner le projet
Pour un changement de culture durable, le sujet de la culture du feedback doit être positionné comme un levier stratégique. Pierre Monclos explique le cas Unow : « Le feedback a été très tôt identifié comme facteur clé de succès de notre croissance ». Pour que toute l’organisation suive, l’ensemble des salariés a été réuni lors d’un séminaire où les fondateurs ont exprimé leur vision, leurs objectifs et les délais d’application. « Nous voulions être meilleurs en trois mois, un vrai challenge car nous avions beaucoup à apprendre. » Poser le cadre donc, puis, selon Kevin Bourgeois, identifier le(s) sponsor(s) du projet : « Généralement portée par le DRH, la pratique du feedback doit rapidement être incarnée par les managers ».
4. Établir une stratégie de déploiement et la piloter
Avant de lancer une démarche de feedback, Kévin Bourgeois insiste sur le choix de la stratégie à adopter : mettre la focale sur le quantitatif (la fréquence) ou le qualitatif (le comment). Selon Pierre Monclos, une approche en deux temps est pertinente : donner des indicateurs quantitatifs donne l’impulsion de départ pour activer le changement. Une fois la routine installée au sein des équipes, c’est à chacun d’ajuster en fonction des situations et des besoins opérationnels. « Comme c’était un vecteur clé de la croissance, nous avons débuté par une approche quantitative : trois feedbacks par semaine. Ensuite on a fait un premier bilan et on a retiré l’objectif de quantité. »
En effet, une fois la démarche lancée, il faut la piloter. Chez Supermood, ils réalisent un 360° via leur questionnaire en ligne auprès de chaque salarié, afin de comprendre les forces et les points d’amélioration de leur culture du feedback.
5. Favoriser l’acculturation grâce à la pédagogie, le partage et des valeurs
Pour ancrer de nouveaux comportements liés à la culture du feedback, Pierre Monclos insiste sur les moyens : « Il faut outiller et équiper les salariés, en commençant, fondateurs et managers, par partager ses propres expériences ». Les fondateurs ont donc fait preuve de transparence en exprimant leurs premières expériences pas toujours évidentes… et les émotions qui y sont liées. Une habitude qui s’est institutionnalisée : chaque lundi, lors d’une réunion, des volontaires venaient partager leur vécu. Pour consolider cette culture du feedback dans le temps, « nous l’avons intégrée dans nos valeurs : ‘Take care’ et ‘No one said it would be easy’ ».
Kévin Bourgeois ajoute deux leviers d’acculturation : la nécessité de donner des exemples précis d’un bon ou mauvais feedback. Puis, pour accélérer la mise en application, il insiste sur l’importance de l’animation interne : « Chez Supermood, pour lancer l’impulsion et libérer la parole, nous avions lancé des ‘fuck you’ meetings chaque vendredi : un rituel où chacun exprimait ses irritants de la semaine. Nous les avons adoucis avec des ‘love you’ afin d’exprimer sa gratitude ».
6. Expliquer la posture du feedback : ne pas négliger l’aspect émotionnel
Un feedback, c’est un exercice de communication à 360° : « Tout est empathie », insiste Kévin Bourgeois. Il faut être en capacité de le recevoir et de le mener, sans biais ou débordement émotionnel. Pierre Monclos souligne trois aspects clés pour installer un climat propice à la culture du feedback :
- Se mettre dans un état d’esprit d’ouverture : pas de justification systématique.
- Écouter l’autre et ses besoins, ce qui est la base de la communication non violente.
- Ne pas réagir à chaud afin de prendre le temps de digérer les remarques.
« C’est une vraie épreuve, quand le feedback est négatif… », confie-t-il en toute transparence.
7. Donner une méthodologie pour formuler un bon feedback (surtout négatif !)
La méthodologie doit être donnée par l’entreprise : les bonnes pratiques pour mener ou recevoir un feedback, et les critères de réussite de ce dernier.
Chez Unow, les fondateurs se sont appuyés sur le principe du « Radical candor : care personally but challenge directly », une manière de faire le pont entre bienveillance et exigence qui se traduit par :
- la reformulation pour éviter les incompréhensions,
- des points d’étapes post feedback,
- un droit de retour sur les différents points exposés.
Kévin Bourgeois souligne deux écueils à éviter, plus spécifiquement, pour les feedbacks négatifs :
- éviter le feedback dit « inconditionnel » lié à la personne en elle-même et se focaliser sur le « conditionnel » en contextualisant l’argumentaire (faits, livrables, situations…),
- pas de « shit sandwich » : ne pas noyer un argument négatif entre deux positifs. « Soit le retour est 100 % positif soit 100% négatif. Mieux vaut deux moments de feedback distincts. »
8. Culture du feedback : trouver un équilibre entre écrit et oral
Rien n’est figé. Pierre Monclos propose ainsi l’approche suivante. Si le sujet du feedback est complexe et a besoin d’être posé, l’écrit peut avoir ses vertus, « mais il faut dans ce cas toujours ouvrir une discussion par la suite pour éviter les non-dits ». Dans la majorité des cas, « on privilégiera l’oral et la discussion en one-to-one ». Point d’attention sur l’écrit : la ponctuation peut être ambivalente, alors prenons garde « aux points de suspension ou aux mots en majuscules ». Dans la même veine, écrire à chaud sur des messageries instantanées type Slack – surtout si le message s’adresse à un groupe – est à éviter, au risque de créer l’humiliation publique.
9. Amener une cohérence entre feedbacks réguliers et entretiens annuels
Il existe un vrai cercle vertueux entre entretiens annuels et feedbacks réguliers. Pierre Monclos souligne trois bénéfices de la pratique régulière du feedback sur leurs revues de performance semestrielle :
- émotionnel : plus de recul et moins de stress car « on a désamorcé les blocages en amont »,
- performance : les sujets importants peuvent être abordés (faits),
- engagement : focus sur la progression et l’avenir.
Selon Kévin Bourgeois, l’entretien annuel est un rite qu’il ne faut ni banaliser ni éradiquer au profit du feedback. Ce dernier allège la charge émotionnelle des entretiens et permet ainsi d’aborder les vrais sujets liés à la trajectoire professionnelle du collaborateur.
10. Faire de la culture du feedback un levier de la marque employeur (et bien plus)
Les impacts RH de la mise en place d’une culture du feedback sont multiples : Kévin Bourgeois mentionne notamment le processus de recrutement qui a été positivement transformé chez Supermood. « On fait un bilan complet auprès des candidats, un réel facteur d’attractivité. Lors de l’onboarding, idem, il y a des moments d’échanges, ce qui est un moteur d’engagement et de reconnaissance, essentiel en période d’essai. » Sur l’expérience collaborateur interne, Pierre Monclos ajoute que, chez Unow, c’est devenu un outil de management et de dialogue naturel qui garantit un bon climat social. « Cela a levé les freins psychologiques à (oser) échanger avec les managers. »
Alors, prêt à vous lancer ? La mise en place d’une culture du feedback est certes un investissement en temps, mais Kévin Bourgeois insiste sur ses externalités positives qui rayonnent auprès de toutes les parties prenantes de l’entreprise. Ce qui, au final, en fait un driver business indirect !
Photo : Thomas Decamps pour WTTJ
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