Comment la révélation des écarts de salaire vous fait perdre vos meilleurs talents

07 mai 2024

5min

Comment la révélation des écarts de salaire vous fait perdre vos meilleurs talents
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Laetitia VitaudExpert du Lab

Autrice, consultante et conférencière sur le futur du travail, spécialiste de la productivité, de l’âge et du travail des femmes

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Quand un salarié fidèle et compétent apprend, par hasard, que la recrue nouvellement embauchée a obtenu un salaire supérieur pour un poste similaire, forcément, il est tenté de prendre la tangente. Notre experte Laetitia Vitaud revient sur ces disparités salariales qui ont vite fait de vous faire perdre vos meilleurs talents, et mieux, ses conseils pour y remédier.

Quoi de plus énervant quand on est loyal à une marque que de voir de nouveaux venus mieux traités qu’on ne l’est soi-même ? Quand les offres commerciales faites à l’extérieur sont plus favorables que ce que l’on propose à un fidèle client de plusieurs années, on risque de le perdre. En matière de ressources humaines, c’est la même chose ! Avec l’ambition d’attirer les meilleurs candidats, la pratique -qui vise à faire l’acquisition de nouveaux salariés en leur proposant des offres plus généreuses que celles qui sont proposées aux fidèles que l’on prend pour acquis- est courante, mais pas sans risque. Elle peut, en effet, engendrer un sentiment d’injustice et de frustration chez les collaborateurs de longue date, compromettant ainsi leur loyauté et leur motivation.

Tout cela n’est pas nouveau. Mais les règles européennes à venir sur la transparence salariale, invitent à une évolution des pratiques, dans l’optique notamment de réduire les écarts de rémunération entre hommes et femmes. Ainsi, les employeurs vont être amenés à divulguer des informations sur les salaires et à promouvoir la négociation collective. Sans compter que les réseaux sociaux et les plateformes numériques ont également accru la transparence salariale dans certains secteurs, rendant les salariés plus sensibilisés aux disparités salariales.
Comment alors parvenir à trouver un équilibre entre la nécessité de recruter de nouveaux talents dans un marché tendu, tout en atténuant les risques liés à la création de disparités salariales plus visibles ?

Quand les écarts de paie pousse vos meilleurs salariés vers la sortie

Étant donné les évolutions démographiques et les difficultés de recrutement des entreprises, il est probable que ces dernières soient toujours plus enclines à proposer davantage aux jeunes profils dans l’espoir de les arracher à leurs concurrents. Il est donc peu probable que les écarts de salaires entre générations de recrutement disparaissent. Mais cela n’est pas sans danger. Une étude relayée par la Harvard Business Review, portant sur un important échantillon d’entreprises américaines et européennes sur la période de 2018 à 2023, a examiné l’impact des écarts de salaires avec les nouvelles recrues sur la rétention des collaborateurs en place. Le constat est sans appel : ceux qui n’obtiennent pas d’augmentation (ou doivent l’attendre trop longtemps) ont tendance à démissionner.

D’après cette même étude, quand le salaire est amélioré dans le mois suivant l’arrivée d’un nouveau salarié mieux payé, les salariés en place restent en moyenne deux ans et demi de plus dans leur entreprise. Au-delà de six mois, en revanche, ils démissionnent massivement. Pire encore pour les employeurs : ce sont d’abord et essentiellement les salariés les plus performants qui s’en vont ! Logique : ceux qui sont engagés, ne ménagent pas leurs efforts au travail et obtiennent de bons résultats, éprouvent une frustration à la hauteur de leur performance quand ils apprennent que des inconnus qui n’ont pas fait leurs preuves gagnent déjà plus qu’eux.

En somme, le fait d’embaucher des nouveaux à des salaires plus élevés n’est pas seulement un facteur de turnover, c’est une pratique qui augmente en particulier le nombre de départs de ceux qui apportent le plus de valeur à leurs organisations, enclenchant alors un effet domino délétère. Ceux qui restent ont moins confiance envers leur organisation : quand on a l’impression d’être traité de manière injuste, le moral et l’engagement chutent inévitablement.

Comment l’effet du pigeon induit vos collaborateurs à ne plus vous faire confiance

Personne n’aime être « pris pour un pigeon », c’est-à-dire que quelqu’un profite de sa naïveté ou de sa confiance. J’ignore si le pigeon est réellement une proie facile, mais l’expression est idiomatique et s’applique bien ici. Un salarié investi qui n’est pas récompensé pour ses efforts et comprend que quelqu’un d’autre est payé plus cher à sa prise de poste ressent nécessairement ce sentiment. L’effet du pigeon,c’est quand on se dit qu’on en fait probablement trop pour son employeur par rapport à sa paie et qu’on ferait mieux d’aller voir ailleurs pour être mieux valorisé et augmenté.

De fait, changer de job assez souvent permet d’augmenter sa rémunération davantage que de rester longtemps en poste. Selon une étude Glassdoor de 2022, 53 % des salariés estiment même que c’est le seul moyen pour eux d’y parvenir. Force est de constater qu’en changeant régulièrement d’emploi, ils ont souvent l’opportunité de négocier un salaire plus élevé avec leur nouvel employeur (en moyenne 11 % pour les cadres). Et pour cause : de nombreuses entreprises embauchent des candidats externes à des salaires compétitifs pour attirer les meilleurs. Par conséquent, en restant à l’affût des opportunités externes, les travailleurs peuvent bénéficier de ces salaires initiaux plus élevés.

Mais ce n’est pas tout : à cause de l’effet du pigeon, même quand il n’y a pas d’écart significatif de rémunération, les meilleurs talents peuvent avoir déjà pris l’habitude de soupçonner systématiquement leur employeur de favoriser les nouvelles recrues, de sorte qu’ils vont aller régulièrement voir si l’herbe n’est pas plus verte ailleurs. Là où la transparence salariale est faible, l’effet du pigeon est plus fort.

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4 conseils pour réduire les risques de départ de vos top performers

Au risque d’écrire une évidence, la réponse est simple : il faut œuvrer pour que la politique de paie dans l’organisation soit la plus équitable possible ! Et de ce point de vue, la transparence salariale est payante. Comment faire ? Voici au moins 4 mesures à prendre d’urgence :

Conseil n°1 : surveillez les paies régulièrement et réagissez vite quand il y a une aberration

Des audits réguliers doivent permettre d’identifier les inégalités les plus criantes. On le fait déjà pour ce qui est des inégalités entre les femmes et les hommes. L’objectif n’est évidemment pas que tout le monde gagne pareil ! C’est surtout d’éviter des écarts inexplicables qui donnent un sentiment d’arbitraire. Il est tentant de ne pas réagir car des paies inférieures permettent de réduire la masse salariale dans son ensemble. Mais une fois qu’une inégalité a été identifiée, il est essentiel de réagir vite car tout retard dans le traitement des disparités salariales entre nouveaux et anciens amplifie le turnover des meilleurs talents. N’attendez pas qu’un salarié se plaigne à son manager, c’est souvent déjà trop tard !

Conseil n°2 : formez vos managers et recruteurs aux enjeux de l’équité salariale

Il ne s’agit pas seulement de former les managers et les recruteurs sur le sujet des inégalités salariales (notamment de genre), il s’agit aussi de comprendre le rôle de ces disparités dans la culture de l’organisation et la psychologie des salariés. Une bonne mesure de l’impact des écarts salariaux sur le turnover permet de comprendre que ce qui semble être un coût (le fait d’augmenter certains salariés) est en réalité une économie (moins de turnover et donc moins de nouveaux recrutements à gérer). Il est important d’analyser la rétention au sein de l’organisation au regard des historiques de salaires pour mieux identifier là où les inégalités font le plus de mal à l’organisation. Développez les bons indicateurs ! Peut-être vous faudra-t-il également investir dans des outils et logiciels RH plus performants ?

Conseil n°3 : préparez-vous dès maintenant à plus de transparence salariale

L’Europe s’est bien mobilisée pour renforcer la transparence salariale dans le but de réduire les inégalités de genre. Les nouvelles réglementations vont ainsi exiger des entreprises qu’elles rendent plus de comptes sur leurs politiques de rémunération. Il faudra même se montrer transparent sur les jobboards et dans les offres d’emploi, c’est-à-dire indiquer précisément les rémunérations liées à chaque poste ! Les entreprises qui ne respectent pas ces normes pourront être confrontées à des sanctions financières significatives. Puisque la transparence est payante du point de vue de la motivation et de la rétention, pourquoi ne pas s’y préparer au plus vite ?

Conseil n°4 : ayez des conversations sur l’argent pour casser le tabou

Le sujet de la paie, et de l’argent en général, reste très tabou. On peut penser que le tabou maintient la culture du secret, mais avec les plateformes numériques (de type Glassdoor) et l’abondance des informations en ligne, les individus finissent toujours par trouver l’information qu’ils cherchent. Il est préférable de développer une culture plus ouverte sur l’argent pour « empouvoirer » les salariés sur ce sujet. Mieux vaut qu’un salarié ose aller voir son manager pour demander une augmentation plutôt qu’il se dise que c’est peine perdue et qu’il parte sans rien dire pour trouver cette augmentation dans une autre entreprise !

En somme, il est essentiel de rendre la politique salariale plus équitable et d’encourager la transparence pour renforcer la confiance des salariés et favoriser la rétention des meilleurs talents (comme de tous les autres). À bien des égards, la transparence salariale devient aujourd’hui un enjeu crucial pour maintenir un environnement de travail motivant.

Article rédigé par Laetitia Vitaud et édité par Mélissa Darré, photo Thomas Decamps.

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