Questions illégales en entretien d’embauche : comment les identifier et y répondre
22 nov. 2018
5min
Statut familial, origines, état de santé, opinion politique… Parmi la palanquée de questions posées par le recruteur, toutes ne sont pas autorisées. Quelles limites sont fixées par le droit du travail ? Que faire face à une question illégale ? Refuser d’y répondre ? La contourner ? Se lever et partir ?
Quelles sont les questions interdites ?
Compétences acquises, qualités-défauts, prétentions salariales… Les recruteurs aiment nous cuisiner sur le grill de l’entretien d’embauche. Pour autant, au cours de cette rencontre toutes les questions ne sont pas autorisées. Mais dans les faits, il n’est pas rare que des recruteurs débordent sciemment - ou par maladresse - vers des sujets relevant de l’intime. Anne-Laure, content manager, en a fait l’amère expérience. « J’avais la trentaine et le recruteur m’a demandé si j’avais des enfants. Quand j’ai répondu non, il m’a dit que c’était louche à mon âge ! Cela m’a profondément heurtée car à l’époque, je n’arrivais pas à en avoir. Alors je suis partie », se remémore-t-elle.
Et cette question, suivie d’un commentaire des plus douteux, est parfaitement illégale. Pourquoi ? Parce qu’elle n’est pas en rapport direct avec les capacités du candidat à réaliser les tâches liées au poste. De plus, « cette question pourrait laisser penser que la personne va être recrutée ou non sur la base de ce critère. C’est cela qui constituerait une discrimination », explique Juliette Naji-Dumas, Directrice d’Humando et spécialiste des questions d’insertion, diversité et recrutement.
Dans le privé, les personnes habilitées à faire passer des entretiens doivent avoir été formées au recrutement non discriminatoire. Mais dans la réalité, rares sont les recruteurs à connaître sur le bout des doigts les 25 critères de discrimination énoncés par l’article L. 1221-6 du Code du travail qui interdit notamment de questionner un candidat sur les points suivants : apparence physique, âge, état de santé, appartenance ou non à une prétendue race, appartenance ou non à une nation, sexe, identité de genre, orientation sexuelle, grossesse, handicap, origine, religion, domiciliation bancaire, opinions politiques, opinions philosophiques, situation de famille, caractéristiques génétiques, mœurs, patronyme, activités syndicales, lieu de résidence, appartenance ou non à une ethnie, perte d’autonomie, capacité à s’exprimer dans une langue étrangère, vulnérabilité résultant de sa situation économique.
Il n’est pas toujours aisé de distinguer une question indiscrète d’une question illégale. Alors, pour les identifier, demandez-vous d’abord si la question porte sur l’un de ces critères. De même, si la question n’a pas de rapport direct avec vos capacités à réaliser les tâches liées au poste, il y a peut-être anguille sous roche.
Voici quelques-unes des questions illégales que vous pourriez entendre au cours d’un entretien.
- Avez-vous des enfants ? Prévoyez-vous d’en avoir ?
- Etes-vous marié.e ?
- Etes-vous membre d’un syndicat ?
- Pour qui avez-vous voté à la dernière élection ?
- Votre nom de famille, c’est de quelle origine en fait ?
- Je vois une longue pause dans votre CV : vous avez été malade ? Quelle maladie ?
« D’autres questions du type “Où habitez-vous ?” sont très fréquemment et souvent innocemment posées, mais ne sont pas légales ! », relève Marie-Sophie Zambeaux, spécialiste du recrutement et experte du Lab. Le sous-entendu implicite étant que si le candidat habite loin, il sera souvent en retard ou partira tôt. Or, cela ne se vérifie absolument pas dans les faits.
Faut-il répondre à une question illégale ?
Maintenant que le cadre légal est posé, parlons de la réalité. Votre interlocuteur a-t-il commis une simple maladresse, ou était-il conscient de déborder ? « Le plus souvent, ces questions mettent mal à l’aise le candidat, mais elles n’ont généralement pas pour objectif de déstabiliser. Sans que cela n’enlève à la gravité de la situation, le recruteur cherche plutôt à comprendre les leviers de motivation du candidat », souligne Juliette Naji-Dumas. Par exemple, un recruteur pourra vous demander de justifier un trou sur votre CV, pas pour vous piéger, mais pour comprendre les ressorts de votre motivation. Cela peut d’ailleurs être l’occasion de mettre en avant d’autres facettes de votre personnalité. Vous êtes peut-être devenu aidant durant cette période ? Ou avez-vous eu besoin de prendre une pause pour mieux comprendre vos aspirations ?
Face à une question illégale, il existe donc plusieurs options de réponse, mais toutes ne vous permettront pas de décrocher le poste convoité. Votre stratégie dépendra de votre envie ou non de rejoindre l’entreprise malgré ce dérapage de la part du recruteur. Si par exemple, vous dites à votre interlocuteur que sa question est illégale et que vous n’y répondrez pas, vous vous « faites plaisir » en renvoyant dans les cordes le recruteur mais vous vous tirez sans doute une balle dans le pied, ce qui est dommage si c’était le job de vos rêves et que vous n’auriez pas à travailler au quotidien avec cette personne. « Une posture à bannir donc sauf si les questions illégales sont très nombreuses et que, de toute manière, vous ne vous projetez plus au sein de cette organisation », souligne Marie-Sophie Zambeaux.
Si à l’inverse, vous avez très envie de ce poste, vous pouvez opter pour une réponse naturelle, sans trop vous prendre la tête et en ne rentrant pas trop dans les détails personnels. Par exemple : « Je me doute que si vous me demandez où j’habite c’est parce que ce poste nécessite d’être sur site de manière stricte de telle à telle heure. Sachez que c’est une plage horaire classique pour moi qui ne me pose aucun problème et que je pourrai assurer sans difficultés ». « C’est une bonne réponse pour ne pas trop s’épancher mais en recadrant tout de suite sur le professionnel , tout en “ rassurant “ le recruteur pour lever d’éventuels freins », affirme Marie-Sophie Zambeaux.
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4 conseils pour bien rebondir face à une question illégale
Quoi que vous décidiez, voici 4 conseils pour vous aider à réagir.
1. Incitez subtilement le recruteur à reformuler la question pour recadrer l’entretien
« Respirez, prenez votre temps, et reformulez la question pour qu’elle ait un lien direct avec le poste », recommande Juliette Naji-Dumas. Par exemple, à la question « Avez-vous un mode de garde ? », vous pouvez répondre « Je n’ai pas bien compris la question, vous voulez savoir si je pourrai être en réunion tôt le matin ou tard le soir ? » Le plus intéressant sera alors d’observer la réaction de votre interlocuteur.
2. Utilisez la communication non violente pour exprimer votre malaise
Faites-vous respecter, soyez humble mais pas servile. Si vous êtes en entretien, c’est que le recruteur a besoin d’une personne comme vous. « Personnellement, on m’a déjà demandé quel était mon rapport avec mes parents. J’ai répondu que c’était un sujet intéressant mais que je ne souhaitais pas m’étendre dessus en entretien », raconte Juliette Naji-Dumas. Résultat : elle a été retenue. L’idée n’étant pas d’être sur la défensive mais plutôt d’utiliser la communication non violente pour exprimer son propre ressenti.
3. Détournez le sujet de la conversation grâce à l’humou
Autre bonne porte de sortie face à une question gênante : l’humour ! « Cela permet de dédramatiser la situation, d’éviter de répondre à la question et de souligner, mine de rien, qu’on n’est pas dupe de l’illégalité de la question », conseille Marie-Sophie Zambeaux. Par exemple, à la question, prévoyez-vous d’avoir des enfants ? Lâchez une réplique du genre : « Arrêtez, j’ai l’impression d’être avec ma mère, c’est elle qui vous a demandé de me poser la question ? », suivie d’un grand éclat de rire.
4. Mettez fin à l’entretien si nécessaire
Enfin, si vous vous sentez trop blessé.e par la question, vous pouvez toujours vous lever et partir. « Quitter un entretien est le dernier levier mais si vous sentez que la question provoque quelque chose de trop fort en vous, vous pouvez toujours proposer de reporter l’entretien », observe Juliette Naji-Dumas. Dans tous les cas, il y a fort à parier pour que vous n’ayez pas envie de rejoindre cette entreprise, ou que votre collaboration se solde par un échec.
À savoir :
- Si une question illégale est posée lors d’un entretien d’embauche, il est possible de saisir le Défenseur des Droits. La personne qui pose une question illégale s’expose à des sanctions judiciaires, notamment si vous êtes capable d’en rapporter la preuve.
- Si vous êtes délibérément écarté d’un processus de recrutement pour un motif discriminatoire (ce qui n’est pas toujours facile à prouver), vous pouvez attaquer le recruteur ou l’entreprise en justice en saisissant le Conseil de prud’hommes ou le tribunal correctionnel.
- Si le recruteur (ou l’entreprise) ne parvient pas à prouver que la candidature a été mise de côté pour des raisons objectives et professionnelles, il encourt 3 ans d’emprisonnement et une amende pouvant aller jusqu’à 45 000 euros.
Article édité par Manuel Avenel ; Photographie de Thomas Decamps
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