Contacter un recruteur via Instagram ou Twitter : bon plan ou risqué ?

L’usage des réseaux sociaux dans le cadre de la recherche d’emploi n’est pas nouveau. En 2019, une étude de Pôle emploi indiquait que 38% des demandeurs d’emploi étaient « connectés », plus particulièrement sur LinkedIn et Facebook, pour répondre aux offres, envoyer des CV, mais aussi pour solliciter leurs réseaux professionnels et personnels dans cette recherche.

Néanmoins, lorsqu’on répond à une offre d’emploi, le nombre affiché de candidats ayant déjà postulé à une annonce LinkedIn est souvent déprimant… Comment faire la différence face à la centaine de candidats qui s’est déjà positionnée en quelques heures ? De nos jours, il devient de plus en plus difficile de se démarquer et les personnes en recherche d’emploi n’ont pas attendu 2023 pour se questionner et réfléchir à des moyens de sortir du lot. Il y a quelques années, on voyait par exemple fleurir sur LinkedIn des CV dynamiques, en version « book », des CV visuels et vivants ! Et si on entrait en contact avec son recruteur sur ses réseaux sociaux ?

Contacter un recruteur sur ses réseaux sociaux, une vraie bonne idée ?

LinkedIn : le réseau professionnel de prédilection

LinkedIn donne une impression d’accessibilité qui peut être grisante lorsqu’on est à la recherche d’un emploi. Qui ne s’est jamais dit : « Oh et puis soyons fous, pourquoi je ne contacterais pas le PDG de la boîte que je vise directement, il pourra peut-être me trouver un poste ? » Il est vrai qu’en un clic, on peut en théorie contacter à peu près tous les recruteurs et dirigeants de la terre. Cette façon d’appréhender la recherche d’emploi relève de la culture du « qui ne demande rien, n’a rien ». Et ce réseau social étant dédié entièrement à l’emploi et au monde du travail, il semble plus facile d’adopter une posture offensive, sans pour autant sortir du cadre ou “choquer” ses interlocuteurs.

Alors qu’elle cherchait un stage de fin d’études, Léa a décidé de ne pas seulement répondre à des offres déjà publiées : « J’allais chercher le nom de personnes qui pouvaient potentiellement avoir besoin d’une stagiaire sur le site des entreprises/administrations publiques que je visais. J’avais repéré quelqu’un et je l’avais contacté sur LinkedIn, ça n’a pas fonctionné, mais il m’a répondu ! »

Sa proactivité a fini par payer puisqu’elle a obtenu son stage en contactant par mail ou via LinkedIn certains anciens élèves de son master qu’elle avait préalablement repérés : « Je pense que c’était bien perçu car ça montre une certaine envie, mais avec le recul, je me dis que ça peut être embêtant pour eux si beaucoup de personnes utilisent la même pratique. »

Le cas Facebook et Instagram

Même par le biais plus classique de LinkedIn, la crainte d’être trop offensif existe donc bel et bien. Alors, sur Instagram ou twitter, la pente peut être glissante puisque ces réseaux sortent du formalisme professionnel permis par LinkedIn.

Néanmoins, ça n’a pas effrayé Simon, la trentaine qui évolue dans le secteur du Web. Il a utilisé Facebook à plusieurs reprises dans ses recherches d’emplois. « J’ai découvert qu’un studio de jeux vidéo travaillait sur une licence que j’adore. J’ai donc commencé à chercher ses employés via Facebook. Grâce à une amie en commun, j’ai pu contacter un des Level Designer, se souvient-il. On a beaucoup échangé et il m’a dit que ma place était au studio. J’ai donc bombardé de messages (sur Viadeo et LinkedIn) les deux responsables du studio en leur demandant un entretien. Cet entretien s’est transformé en “journée découverte” du studio qui s’est soldé par une proposition d’embauche. J’y ai travaillé pendant près d’un an et demi. Quant à mon job actuel, on peut dire que je l’ai également obtenu “grâce” aux réseaux sociaux, puisque j’ai d’abord contacté l’entreprise sur Facebook avant de rencontrer le patron pour un entretien à l’issue duquel je lui ai tendu ma candidature. »

Dans le cas de Sabine, journaliste indépendante, c’est plutôt Instagram qui lui permet de développer son réseau professionnel et de trouver des contrats. Sa façon de procéder consiste à repérer des journalistes dont les publications l’intéressent, puis à les suivre sur Instagram. « J’ai tendance à penser que la vitrine de mon feed Insta me représente plus qu’un CV nonchalamment envoyé via une plate-forme quelque peu déshumanisée », explique-t-elle.

C’est donc une prise de contact plus chaleureuse qui attire Sabine dans ce mode de fonctionnement : « Des relations amicales se sont développées au fil du temps avec deux ou trois d’entre eux et j’ai eu le plaisir de collaborer ponctuellement avec l’un des médias dans lequel un de ces derniers travaille. »

Pour autant, ces relations n’ont pour le moment pas abouti à un emploi pérenne. « Si j’ai décroché un entretien dans un magazine, il n’y a malheureusement pas eu de suite car il n’y avait pas de poste vacant. Je trouve que passer par ce réseau social est bien plus “détente” que LinkedIn, même si je m’en sers également. Et le contact se fait aussi plus naturellement : on réagit aux stories, on parle de notre quotidien et on se lie avant d’ouvrir la parole sur la dure réalité de la recherche d’emploi. »

Tous les réseaux sociaux se valent-ils ?

Ces différents témoignages montrent que dans une certaine mesure, la stratégie du pied dans la porte fonctionne. D’un autre côté, si l’audace est globalement valorisée culturellement, en matière de recherche d’emploi, il vaut mieux qu’elle soit maîtrisée.

Amélie Favre Guittet, experte Emploi et cofondatrice de Talent Management Groupe, adopte une approche pragmatique et plutôt décomplexée sur le sujet : « Beaucoup de RH ont des comptes sur Twitter pour faire de la veille thématique et c’est une mine d’or pour discuter avec les gens. Twitter est un excellent moyen de trouver des clients et des candidats, alors pourquoi pas son futur patron ? »

Les histoires de Sabine et Simon qui utilisent entre autres Facebook et Instagram relèvent par exemple de secteurs ou de structures d’emploi très spécifiques : le journalisme et le monde du jeu vidéo. Alors, est-ce que les candidats auraient eu le même accueil des recruteurs dans un tout autre secteur ? Comment faire en sorte de construire cette “audace maîtrisée” ?

Les questions à se poser avant de contacter un recruteur sur les réseaux sociaux

Pour le savoir, il est important de mener sa propre enquête… Amélie Favre Guittet nous donne quelques recommandations avant de se lancer :

• Se questionner sur notre cible et où elle passe le plus clair de son temps pour choisir le réseau social le plus approprié.
• Trouver l’élément qui va nous relier à la personne et vous permettre d’entamer la discussion (intérêt pour un sujet en particulier, alumni…) Amélie Favre Guittet conseille souvent aux personnes qu’elle accompagne d’intégrer des groupes d’intérêt LinkedIn : « Vous pouvez en intégrer des dizaines et cela vous permet d’être en mesure de contacter chacun des membres sans limitation. »
• Être percutant : Les utilisateurs LinkedIn passent une dizaine de minutes en moyenne sur la plateforme. « Si un candidat balance un CV avec une lettre de motivation ultra longue et qu’il attend qu’on le rappelle et qu’on lui propose un job, ça ne va pas fonctionner ! », explique la spécialiste
• Utiliser les principes du marketing de soi (sur Lemlist ou Hubspot par exemple) : « Ici, votre produit c’est vous, votre profil, votre personnalité, vos compétences. Il faut donner envie et il y a des règles à suivre pour donner envie. »
• Trouver le bon interlocuteur : « On peut écrire à n’importe qui du moment qu’on s’y prend bien, qu’on s’intéresse à l’autre d’abord. On peut contacter un RH, un chargé de recrutement ou un manager expert du domaine recherché par exemple. Mais si vous voulez que votre candidature donne quelque chose, prenez le temps de choisir la bonne personne. »
• S’intéresser à l’autre : « Quand on drague quelqu’un en soirée, on n’arrive pas en disant “COUCOU est-ce que tu voudrais coucher avec moi ?” Sur LinkedIn, c’est un peu le même schéma. Avant d’envoyer son CV, il faut que la personne ait envie de vous découvrir. Ce n’est donc qu’après avoir déjà échanger qu’on peut poser la question : “Est-ce qu’un profil comme le mien peut vous intéresser ?” S’ils deviennent demandeurs de votre CV, alors vous avez le feu vert permis par une introduction bien plus percutante. La relation n’est plus la même que s’ils avaient été spammés de CV », détaille Amélie Favre Guittet.
• Assurer un suivi : « Vous pouvez relancer votre interlocuteur tous les trois quatre jours sans problème et on peut aller jusqu’à quatre, cinq relances. »

À garder en tête : si on a un doute sur le choix de la plateforme alors on préfèrera LinkedIn, d’avantage consensuel et approprié aux cultures d’entreprise plus traditionnelles.

Autres petits “hacks” d’Amélie Favre Guittet

• Ne pas contacter directement votre cible : si vous souhaitez rentrer chez Deloitte en finance, vous pouvez contacter une personne qui occupe un tout autre poste en lui demandant si elle connaît la personne chargée du recrutement, elle ne va pas se sentir en concurrence et répondra sans doute plus facilement. Vous pouvez ensuite contacter la personne indiquée en lui précisant que vous le faites sur les conseils de cette personne. Cela vous donne une certaine légitimité et augmente vos chances d’être lu avec intérêt.

À garder en tête : ne pas oublier de tenir au courant notre premier interlocuteur de l’avancée de nos recherches.

• Adapter son écriture et son discours : les réseaux sociaux cassent le formalisme habituel, alors on peut se permettre d’utiliser des termes plus simples tout en conservant une forme de distance et de respect. Exit les formules écrites du style Veuillez agréer, Madame…

• S’entraîner : la spécialiste en recrutement conseille aux candidats d’écrire ce qu’il ou elle voudrait dire au DRH si la personne était assise en face. Ensuite, il faut tailler le message en deux pour aller à l’essentiel et recommencer pour trouver l’essence de son propos et être le plus percutant dans son approche.

Finalement, la recherche d’emploi est un travail d’investigation qui passe par le fait de savoir ce que l’on veut (ce n’est pas toujours une mince affaire !) et traduire cela dans nos choix de postes, d’entreprises, de secteurs. Dans le marché du travail relativement concurrentiel du recrutement que nous connaissons, il serait dommage de se priver de certains outils et les réseaux sociaux en font partie ! Que vous soyez team mettre le pied dans la porte, bombardage de messages sur Instagram, ou envoi timide d’une invitation sur LinkedIn avec un lien vers un article intéressant, les réseaux sociaux seront vos amis à condition d’en adapter votre usage en fonction des objectifs et employeurs recherchés !

Article édité par Romane Ganneval ; Photos de Thomas Decamps