Ghosting : on sait enfin pourquoi les recruteurs passent en mode silence radio
14 nov. 2023
8min
Dans la famille des cauchemars de tout candidat en recherche active, je voudrais l’entreprise qui ne donne plus aucun signe de vie. Tout le monde l’a ? Malheureusement, n’avoir aucun retour après le temps, les efforts, la réflexion investis, après la lettre de motivation, le ou les entretiens, les échanges avec les opérationnels n’est pas rare. Et ça a de quoi nous rendre dingue. Si de plus en plus d’entreprises prônent la « communication » et la « transparence », un bon nombre de candidats continuent pourtant d’être ghostés par les recruteurs.
Quand on évoque le terme « ghosting », de quoi parle-t-on, au juste ? Tout simplement du fait de ne plus donner signe de vie du jour au lendemain, sans aucune explication pour le candidat. Cela peut se traduire par le fait d’ignorer les appels ou de ne pas répondre aux messages – bref, de passer en mode silence radio. Généralement, on se fait plutôt ghoster par un ou une ex. Dans le monde du travail, c’est le fait de disparaître totalement après avoir contacté une personne au sujet d’un poste ou de la laisser en plan au beau milieu du process de recrutement (le fait de ne pas répondre aux candidatures reçues est un autre sujet). Résultat : beaucoup d’entre nous avons un a priori négatif sur les services RH ou les recruteurs pour cette raison précise.
Selon une étude menée par Indeed en 2021, 77 % des personnes en recherche d’emploi ont été ghostée par un recruteur depuis le début de la crise du Covid en 2020. Et 10 % d’entre elles racontent même avoir été ghostées après une offre d’embauche faite par oral. Nous avons cherché à creuser le sujet pour comprendre pourquoi les recruteurs en viennent à ghoster des candidats – et comment s’épargner cette épreuve quand on cherche un travail.
Pourquoi les recruteurs ghostent les candidats
Darley Coby est responsable recrutement chez Fitch Group, Inc. Voici ce qu’il en dit : « Beaucoup de gens ont l’air de penser que les recruteurs s’en fichent et qu’ils manquent d’empathie. Il est possible que cela soit le cas pour certains, mais dans la grande majorité des cas, c’est un problème de temps, ou de réponses qui passent à la trappe. Ce n’est pas forcément intentionnel ou fait avec malveillance. »
De fait, la mauvaise gestion du temps est l’une des grandes causes de ce maudit silence radio. Quand une équipe en recrutement fait face à un afflux massif de candidatures, il peut être honnêtement complexe d’envoyer un message à toutes les personnes reçues en entretien. La solution de facilité consiste alors à tout glisser sous le tapis. C’est d’autant plus vrai pour les services RH qui manquent clairement de mains. « Parfois on est sous l’eau, c’est clair. Le reste du temps, on court après les opérationnels qui recrutent ou on attend des réponses avant de pouvoir donner des nouvelles au candidat, confie Darley Coby. Donc vous pouvez avoir l’impression qu’on vous ghoste, alors que c’est le process qui est au point mort. On n’est plus sur le même axe temporel. »
Parfois, parce qu’ils sont souvent rémunérés ou incentivés à la performance, les recruteurs et autres chasseurs de tête (notamment dans les agences de recrutement) peuvent choisir de ne pas « perdre » de temps à répondre comme il se doit à un candidat. C’est ce que nous dit Darley Coby : « Ils vont regarder combien d’appels de présélection ils ont fait, combien de candidats ils ont reçus, avec combien de recrutements effectifs à la clé. Leurs clients ou leur hiérarchie ne les jugent pas, à l’endroit du recrutement, sur leurs compétences en communication, donc ce n’est pas là-dessus qu’ils vont passer du temps. Peut-être que les entreprises devraient se montrer plus proactives dans le fait de former les équipes de recrutement en communication et gestion du temps. »
Chasseurs de tête VS services RH
Sur ce sujet, il est important de distinguer les chasseurs de tête (ou assimilés) et les services RH internes. Les premiers travaillent en agence ou en tant qu’indépendants et sont mandatés pour trouver des profils et, in fine, le bon candidat. Ils doivent souvent faire de la prospection, passer des coups de fil qui ne donnent rien, et sont généralement payés à la commission. Autant de facteurs pouvant expliquer qu’ils ne donnent pas suite aux candidats rencontrés mais pas retenus. Leur intérêt ne se situe pas, en effet, dans le fait d’établir une relation suivie avec eux.
Un service RH interne, en revanche, est là pour gérer les embauches dans l’entreprise et répondre à ses différents besoins de recrutement. Les équipes internes ont donc tout intérêt à garder dans leur viviers les candidats rencontrés. Les personnes des RH auront plus tendance à répondre aux candidats parce qu’il y a l’enjeu d’une relation à inscrire dans le temps. Le profil et la personnalité de la personne qui sera embauchée leur importe aussi sûrement plus parce qu’elles seront amenées à la côtoyer.
« Le recrutement en agence est une noble tâche, notamment car on croise des profils experts hyper intéressants, mais au final leur boulot reste de placer des gens et de faire de l’argent, décrypte Michael Masek, responsable talent acquisition chez DaVita Kidney Care. De ce point de vue, ce sont des commerciaux. Et puis les chasseurs de tête sont en concurrence avec les autres agences. Le but c’est d’être le premier, quitte à rogner un peu sur la qualité du travail effectué. Moi de mon côté, je suis en interne dans l’entreprise, donc j’y serai encore quand la personne prendra son poste. Je fais partie de la boîte, on me fait confiance pour embaucher les bons profils, et mes décisions ont un impact réel sur la vie de l’entreprise. »
Michael Masek estime que les processus de recrutementsont un peu plus soignés et investis quand le recruteur est directement impliqué dans l’entreprise. « Je ne dis pas que c’est impossible avec des chasseurs de tête, mais c’est plus rare, car là ce sont la concurrence et la rapidité qui priment. Disons que certains recruteurs ont davantage des euros dans les yeux, quand d’autres tiennent à créer une expérience candidat plus positive. En entreprise, on se fixe un cap en tant que responsable recrutement, on a envie de s’y tenir et de continuer à construire la culture qu’on a ébauchée. »
Comment éviter de se faire ghoster durant le processus de recrutement
Pour un candidat en recherche, il est possible de repérer les (mauvais) signes dès le départ. Voyez comment votre interlocuteur communique, si vos premiers échanges se passent bien, si la personne reste joignable ou un minimum réactive. Pour Michael Masek, il y a un besoin, côté recruteur, d’être dans la communication et la transparence. « Si je me suis passionné pour le sujet du recrutement, c’est notamment en raison des défauts que je percevais dans tout ce cycle des entretiens. Et le ghosting en est un gros. La communication dans la transparence est primordiale pour éviter ce genre de situations. » Selon lui, il est avant tout important d’interagir de façon honnête, à savoir prévenir le candidat que cela va prendre du temps ou de rester en contact avec lui durant la période d’attente, pour ne pas qu’il se retrouve sans réponse ou se sente totalement ignoré. Quand personne ne lui donne de nouvelles, on ne pourra pas reprocher au candidat de déserter à son tour.
Dans le monde du recrutement, la base en matière de communication et de transparence est de préciser le cadre et le déroulement des choses, ajoute Darley Coby. Il est bon de donner au candidat, et dès le départ, un calendrier estimatif du processus de recrutement, et de lui dire quand il devrait être rappelé. Michael Masek estime qu’il devrait exister a minima un message type, envoyé aux candidats malchanceux une fois le poste pourvu, afin qu’ils sachent que leur profil n’est plus en cours d’étude. « Et de mon côté, je propose systématiquement à chaque personne de prendre rendez-vous si elle veut en savoir plus », précise-t-il. De votre côté donc, n’hésitez pas à relancer (comme il faut) votre interlocuteur, pour avoir des nouvelles et vous rappeler à son bon souvenir, afin que votre profil lui reste à l’esprit. Lors de votre première prise de contact, vous pouvez également demander de la visibilité sur la suite du process voire une idée du temps entre chaque étape.
Les candidats ont aussi tout intérêt à garder en tête que les recruteurs sont eux-mêmes parfois confrontés à des obstacles au travail (un logiciel vieux comme le monde, par exemple), donc la patience peut être de mise. Michael Masek évoque les ATS (outils de suivi de candidatures), jamais les mêmes d’une entreprise et d’une agence à l’autre. Certains outils avec lesquels les RH doivent travailler sont largement dépassés ou mal pensés. Avec une technologie répondant vraiment à leurs besoins, les recruteurs pourraient se montrer davantage réactifs. « Je pense que le ghosting sera toujours un risque, parce que les humains sont ce qu’ils sont et que l’erreur fait partie de l’équation, complète Darley Coby. J’ai cependant bon espoir que l’IA améliore grandement les choses dans ce domaine. »
La recherche d’emploi est souvent un « processus stressant et source d’anxiété », a récemment rappelé Elena Angelovska, conseil en recrutement et culture d’entreprise, dans une publication sur LinkedIn. Il peut être frustrant et rageant pour les candidats en recherche active de se prendre un mur de silence après avoir consacré du temps et pas mal d’énergie aux entretiens. « Quand un recruteur ou un opérationnel ghoste une personne, elle peut se sentir dévalorisée et pas vraiment respectée, souligne Elena Angelovksa. Sans compter que ça ne les renseigne pas sur l’état de leur candidature. »
Il est clair que les recruteurs devraient éviter de ghoster les candidats, ne serait-ce que pour ne pas ternir leur propre image et celle de leur entreprise. « Il y a de grandes chances que le candidat aille en parler autour de lui ou sur les réseaux. C’est mauvais pour le capital confiance et respect de l’employeur. » Elena Angelovska précise que cela peut vraiment faire du tort à l’entreprise, surtout si la concurrence est rude pour attirer les meilleurs talents. « Les candidats peuvent y réfléchir à deux fois avant de postuler pour une boîte qui a la réputation de ghoster. Ça veut dire un vivier de candidats qualifiés qui se réduit, et des difficultés à recruter le bon profil. »
Prévoir le coup
Les entreprises sont de plus en plus nombreuses à porter les valeurs de la communication et de la transparence en bandoulière. On peut donc espérer que les recruteurs auront davantage de réflexes anti-ghosting à l’avenir. Dans le cas contraire, Darley Coby et Michael Masek vous conseillent de ne pas hésiter, vous, à communiquer si vous le souhaitez. « Envoyez-moi un e-mail, dit spontanément Darley Coby. Nous sommes tous humains et s’il lui manque une info, je préfère que la personne m’écrive plutôt que de rester dans le non-dit. Et puis, dans un contexte où la concurrence est un fait, être relancé me montre que la personne est bel et bien intéressée, qu’elle se tient au courant. Et comme ça moi, je ne l’oublie pas, son profil me reste bien en tête. »
« Nous avons tous un jour été côté candidat, admet Michael Masek. On est là, on attend, on n’a aucune nouvelle et on a peur d’en prendre. Donc je dis toujours aux gens que mon organisation ou ma mémoire peuvent me jouer des tours, mais qu’ils ont mon numéro. Ma ligne leur est ouverte, si quelqu’un tente de me joindre, je rappelle. Je tiens à leur signifier que je ne suis pas dans ma tour d’ivoire et qu’ils peuvent prendre des nouvelles de leur candidature. »
De leur côté, les candidats peuvent se rappeler les vertus de la patience. Quand on est en recherche active, plusieurs semaines d’attente sans aucun retour peuvent s’apparenter à du ghosting en règle, parce qu’on est davantage à fleur de peau (l’enjeu n’est malgré tout pas le même du côté du recruteur) et c’est très compréhensible, mais il faut malheureusement s’armer de patience.
Il faut aussi repérer les signes qui crient « à fuir ». « Quand vous avez été retenu, que vous avez passé l’étape de l’appel pour la présélection et que la personne en face ne souhaite pas être relancée, que ce soit au téléphone, par sms ou par e-mail, ça n’annonce rien de bon », estime Michael Masek. « Si l’entreprise ne veut pas parler salaire durant la phase préliminaire, demandez-vous si elle en vaut vraiment la peine, parce qu’elle fonctionne clairement sur un modèle dépassé. Et si c’est comme ça dès la phase de recrutement, on peut se demander ce qui vous attend une fois en poste. Si vous avez les coordonnées de votre interlocuteur, que vous cherchez à le joindre et n’obtenez qu’un silence radio en retour, fuyez ! »
Les personnes interviewées répondent en leur nom propre, et non pour le compte dans leur entreprise. Leurs opinions n’engagent qu’elles.
Article traduit par Sophie Lecoq ; Photo de Thomas Decamps
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