« On s’est fait cramer » : leur romance de bureau a viré au cauchemar

14 févr. 2023

5min

« On s’est fait cramer » : leur romance de bureau a viré au cauchemar
auteur.e
Antonin Gratien

Journaliste pigiste art et société

Alors qu’ils filaient le parfait amour en cachette, un salarié et sa supérieure ont été découverts par plusieurs collègues. Une prise en flag’ qui aura tôt fait de créer un mini-séisme dans l’entreprise.

À cause du qu’en-dira-t-on, des conflits d’intérêts, de la menace d’un drame en plein open space… la romance au travail décroche, a minima, la médaille d’argent, sur le podium des liaisons à haut risques. Et pourtant, selon un sondage de l’IFOP paru en 2018, 53 % des français auraient déjà cultivé une relation avec un collègue à l’insu des autres salariés. Des sulfureuses passions menées incognito, avec leur lot de frissons interdits. Mais aussi d’immenses périls. Révélation du badinage au format « scoop », débâcle sentimental à l’étalage, risée des collègues… Ces affres, Mateo les a toutes connues, subies, endurées. À l’occasion de cette Saint-Valentin 2023, ce cœur brisé a accepté de nous raconter le « plus cuisant désastre amoureux » de son existence. Une love story made in workplace, toute de fièvre adolescente et de passion secrète, avant de s’échouer, dans un naufrage aux proportions « tragi-comiques » dignes d’une sitcom US. Jugez plutôt.

« Une romance clandestine qui fait vibrer. »

Tout a commencé il y a une poignée d’années au moment où j’ai rejoint une compagnie d’assurance dans laquelle on m’a présenté Ménélée. L’une des responsables à qui, m’a-t-on expliqué, j’aurai ponctuellement à rendre des comptes, sans qu’il s’agisse de ma N+1. Rapidement, un jeu de séduction s’est installé entre nous à l’occasion de nos « points ». Quelque chose dans le regard, la posture. Un sourire, des petites attentions, une phrase enjôleuse. Toute la grammaire du flirt réunie, en fanfare et chanson, qui s’est un soir résolue par une nuit partagée dans un hôtel, lors d’un déplacement pro à l’étranger. Le schéma classique quoi. En vertu du célèbre principe selon lequel “ce qui se passe hors de France reste hors de France”, nous aurions pu en rester là. Cela serait resté un bon moment entre bons collègues, ni plus, ni moins. Une sage décision. Sauf que nous étions tout sauf sages…

Enivrés par la perspective d’une romance clandestine, menée au nez et à la barbe de tous, nous avons cédé à la tentation d’une relation undercover. Complicité camouflée, arrivée aux locaux en différé… Un jeu de cachoterie bien innocent, jusqu’à ce que nous décidions de pimenter les choses. Une mécanique de têtes brûlées : pour avoir notre dose d’adrénaline, il fallait toujours flirter avec nos limites. C’est ainsi, qu’en l’espace de quelques semaines, nos discrets clins d’œil au détour d’un couloir se sont transformés en mains effleurées, puis en caresses appuyées. On était en roue libre. Une sorte de surenchère capricieuse, dignes d’ado qui découvrent tout juste le plaisir des baisers « hors-la-loi ». Notre environnement pro servait juste de décor à nos fantasmes. Était-ce risqué ? Bien sûr. Est-ce-que nous allions nous arrêter pour autant ? Certainement pas ! Si pour certains « l’amour rend aveugle » ; chez nous, il rendait fou.

« Imaginez le choc lorsque j’ai aperçu les collègues débarquer ! »

En bonne logique - si on peut trouver une quelconque « logique » dans cette course à la catastrophe …-, les locaux sont devenus le théâtre de nos ébats. Il y a eu son bureau, évidemment. Puis l’ascenseur, les toilettes, le parking. Une vraie frénésie. Bien sûr, on ne lésinait pas sur les précautions. Rondes pour vérifier que les bureaux étaient déserts, verrous aux portes et tutti quanti. Des mesures qui n’auront pas suffi à éviter la catastrophe - tout simplement parce qu’elle a surgi de là où on ne pouvait l’attendre. Ménélée et moi avions convenu de cultiver notre relation en tête à tête, sans les amis - encore moins la famille. Mais nous nous autorisions quelques sorties. Balades, cinéma et… restaurants. Un jour, nous sommes allés à notre adresse favorite pour débuter une soirée qui s’annonçait sous les meilleures auspices jusqu’à ce que j’aperçoive avec horreur non pas un, non pas deux mais bien trois collègues, fouler le seuil de notre bistrot.

Et pas les plus finauds de l’équipe. Plutôt le genre lourdaud, à la vanne qui tâche. Une brochette d’équipiers avec qui je n’avais aucune affinité. J’ai immédiatement vu se profiler un immense désastre. En réaction, j’ai retiré d’instinct ma main de la cuisse de Ménélée qui, d’un geste joueur, a réagi en la resaisissant. Erreur fatidique : la brusquerie de la manœuvre venait d’attirer le regard d’un des coworkers qui, reconnaissant mon visage et la silhouette de ma partenaire, s’est mit à arborer un air de stupéfaction cartoonesque - la bouche ouverte à en faire circuler des mouches, les yeux prêts à sortir de leurs orbites… Fuyant ce regard ahuri, je suis resté emmuré dans un silence de stupeur avant de lâcher à ma partenaire « on s’est fait cramer par l’équipe ». « Pardon ? », « Tu te fous de moi là ? », « Hein ? Hein ?! » À ce déluge d’interrogations, je ne répondais que par des gestes de têtes résignés, le regard plongé dans mon bouillon asiatique - comme si j’espérais y trouver l’indice d’une solution miracle. En vain, bien sûr. Tandis que nos collègues s’installaient - à l’opposé de nous, heureusement -, nous échafaudions un semblant de plan de secours. Aller les voir, en prétextant que nous passions un simple « dîner professionnel » ? Impossible à faire gober. Les supplier de tenir leurs langues ? La position de Ménélée ne le permettait guère. Faute de trouver une solution in situ, nous avons opté pour le repli stratégique, en catimini, vers l’appartement de Ménélée. Panique à bord, bien sûr. Surtout de son côté. « On est foutu », « je vais tout perdre »… J’essayais vainement de la rassurer, en évoquant la possibilité que le mot ne se répande pas comme une traînée de poudre. Sans y croire moi-même une seule seconde.

« On a frôlé la Troisième Guerre Mondiale au bureau. »

Il n’aura pas fallu plus d’une semaine pour qu’un coworker me confie, lors d’une pause clope, que « tout le monde » était « au courant ». Y compris la direction qui, aux dires de Ménélée, lui aurait « touché un mot » en mentionnant une liaison « problématique ». Ce à quoi elle aurait rétorqué que la « page était tournée ». Et, de fait, nos rapports s’étaient réduits comme peau de chagrin depuis « la » fameuse nuit. Nous avions évidemment cessé tout batifolage dans les locaux mais, même dans le privé, notre complicité s’était écaillée. Ruinée, même. La relation qui revêtait jusque-là l’irrésistible charme des embrasements adolescents était, soudain, devenue un nœud d’angoisse - pire encore, une « erreur de gamins » qui nous aurait « définitivement grillés » selon Ménélée. Une réflexion peu flatteuse qui nous a conduits à une rupture pure et simple.

Sans surprise, la vie de bureau s’est transformée en enfer. M’estimant sans doute responsable de la tournure des évènements, Mélénée était devenue glaciale et ne manquait jamais de m’adresser des remarques cinglantes en présence d’autres salariés - comme pour montrer publiquement que, oui, oui, tout ça était bien « fini ». Quant aux « autres salariés » justement… Soupçonnant peut-être du favoritisme de la part de Ménélée, ou une tentative de « promotion canapé » de la mienne, nos rapports ont, eux aussi, tourné au vinaigre. Froideurs, pics en plein open space… Je vivais en live un épisode de The Office, l’humour en moins. La situation était d’autant plus insupportable que, les semaines passant, j’ai viré parano. Je croyais déceler dans chaque silence, chaque sourire, la trace d’une moquerie sur mon infortune. Ma suspicion frisait le délire clinique. Au point que j’ai plusieurs fois manqué d’imploser pour fermer les clapets supposément persifleurs, ou confronter les employés qui avaient vendu la mèche. Mentalement, j’espérais le carnage. J’imaginais l’explosion d’un scandale dantesque où nous « réglerions nos comptes ». Ménélée comprise, d’ailleurs.

Sentant que mon point de rupture approchait, j’ai cherché une alternative plus soft en postulant ailleurs, dans d’autres secteurs que l’assurance. Comme si j’éprouvais le besoin de donner une nouvelle direction à ma vie, après ce désastre pro XXL. Au premier entretien concluant, j’ai présenté ma démission - sans donner suite à l’idée d’un « pot de départ », cela va sans dire… Allez, ciao tout le monde. Et pas de regards en arrière. J’ai tourné le dos à cette entreprise qui était devenue ma hantise pour me lancer dans une nouvelle aventure. Un milieu pro où je m’épanouis, et dans lequel je me suis juré de ne jamais, ô grand jamais, marivauder. On ne m’y reprendra plus !

Article édité par Aurélie Cerffond ; Photographie de Thomas Decamps