Ils adorent leur métier mais sont obligés de se reconvertir à cause de la crise
24 sept. 2020
7min
Journaliste indépendante
Cinq mois après le déconfinement, les effets de la crise du Covid-19 sur notre société sont encore difficilement mesurables. En termes d’emploi toutefois, il est un chiffre qui ressort. Selon les derniers rapports de l’Insee, 715 000 postes ont été supprimés au premier semestre 2020. Face à ce raz de marée, certains secteurs, comme l’hôtellerie, la restauration ou encore le tourisme, sont plus touchés que d’autres. Ceux qui y travaillent se voient parfois contraints de réviser leurs plans de carrière. Nous avons rencontré celles et ceux dont les métiers se sont retrouvés malmenés par la crise, et qui ont été contraints, ou convaincus, de changer de voie.
Des emplois sur la sellette
« Cela fait un an et demi que je travaille dans le tourisme, en communication », raconte Alexandra, 33 ans. « Jusque-là je travaillais énormément, je faisais de grosses journées, mais j’aimais beaucoup mon métier. Au début du confinement, j’ai été mise au chômage partiel à temps plein du jour au lendemain. Ça a été très dur car je suis quelqu’un de très actif, j’ai besoin de travailler pour m’épanouir. Cet été, on a repris presque à 100%. Mais la veille de la rentrée, mon directeur m’a appelé pour me dire qu’on repassait à 30% d’activité. Je me suis dit que ça n’allait pas être possible… » Comme Alexandra, nombreux sont ceux dont les secteurs ne se sont pas encore relevés de la crise économique engendrée par le Covid, et qui se retrouvent démunis face à un avenir professionnel qui ne semble plus offrir beaucoup de perspectives. « J’ai besoin de projets, de me sentir utile, poursuit-elle. Mon métier me plait beaucoup mais là tout est gelé, on ne repassera pas à temps plein avant janvier voire juin, et tous les projets en cours ont été annulés. Donc j’ai lancé des plans B. »
« J’ai besoin de projets, de me sentir utile. Mon métier me plait beaucoup mais là tout est gelé […] Donc j’ai lancé des plans B. », Alexandra, travaille dans la communication touristique.
Axel, journaliste sportif qui travaille à la pige, a vu son activité diminuer considérablement pendant la pandémie. Si dans son cas, l’aspect financier ne lui laisse pas vraiment d’autres choix que de chercher ailleurs, la crise lui a toutefois aussi fait prendre conscience que les problématiques rencontrées par sa profession ne sont pas près de se résoudre. « Ça fait plusieurs années déjà que je trouve que le milieu se précarise, et que les conditions de travail sont de moins en moins bonnes, explique-t-il. Depuis le confinement, quasiment toutes mes piges régulières sont tombées à l’eau, et clairement ce n’est pas près de se rétablir. Du coup, j’ai commencé à me renseigner pour reprendre une formation en tant que développeur web. C’est une idée qui me trotte dans la tête depuis un bout de temps, mais je ne me résignais pas à quitter le journalisme, qui a toujours été un métier passion. Là, je n’ai pas le choix, je vais devoir gagner ma vie autrement. »
Une crise qui joue le rôle de catalyseur
Si la crise n’est pas toujours l’élément déclencheur d’une reconversion, et que souvent l’idée de “faire autre chose” avait commencé à germer avant la pandémie, le fait de voir son métier mis sur la sellette accélère fortement la réflexion.
Clarisse, 27 ans, a ainsi essayé d’anticiper le tsunami qui s’abat actuellement sur le secteur de l’hôtellerie en envisageant d’autres voies dès le mois de mars. « Je suis en ce moment au chômage partiel total, et on sait désormais que les gens ne voyageront plus comme avant. Entre les menaces de deuxième vague et les préoccupations écologiques, l’industrie va devoir se réinventer. Mon entreprise a ordonné que seule une minorité des équipes marketing soient opérationnelles à la rentrée, donc clairement, ça ne sent pas bon. Du coup, plutôt que de me prendre une restructuration en pleine poire, j’essaye de l’anticiper. Je profite de mon temps libre pour monter un projet perso avec une amie, qui s’appuiera sur mon expérience dans le tourisme. »
« Plutôt que de me prendre une restructuration en pleine poire, j’essaye de l’anticiper. Je profite de mon temps libre pour monter un projet perso […] », Clarisse, travaille dans le secteur de l’hôtellerie.
Même initiative du côté de Guilhem, infirmier libéral. Si celui-ci n’avait pas attendu la crise pour changer de voie, celle-ci n’a fait que le conforter sa décision. « Au printemps dernier, j’ai fait un burn-out. Suite à ça j’ai entamé une reconversion en tant que costumier. Pourtant j’aime profondément mon métier, mais en dix ans, j’ai vu nos conditions de travail se détériorer complètement, et clairement ça ne va faire qu’aller de mal en pis. Pendant la crise, je suis revenu donner un coup de main en service de réanimation. J’y ai retrouvé cet esprit de solidarité, le côté profondément humain du métier de soignant. Ça m’a chamboulé, mais jamais je ne pourrai y retourner. Avec la crise, le budget de l’hôpital public est en chute libre, et les conditions de travail, déjà précaires, vont s’empirer. J’aurais pu continuer si nous avions eu une vraie reconnaissance de la part des pouvoirs publics. Mais ce n’est pas le cas, et ça n’ira pas en s’arrangeant. » Un ressenti corroboré par l’enquête menée par l’institut de recherche en santé Imago Research en avril dernier, selon laquelle les infirmiers libéraux auraient augmenté d’une heure et demie leur temps de travail hebdomadaire depuis la crise, tandis que leur chiffre d’affaires a diminué de 12% par rapport à celui d’avril 2019.
Pour Guilhem comme pour Clarisse, le désir de changer de voie ne date pas nécessairement de la crise. Mais cette dernière, en mettant à mal leurs secteurs respectifs, a achevé de les convaincre de repenser leurs carrières pour trouver des alternatives ayant à la fois plus de sens, et leur permettant de quitter des professions dont l’avenir s’annonce bien sombre.
Un nouveau champ des possibles
D’autres, comme Alexandra, ne s’étaient jamais vraiment posés la question du sens de leur travail avant la crise. « J’avais de la curiosité pour mon métier mais ce n’était pas ma passion non plus, je compensais avec quelques projets personnels et cela m’allait très bien. Mais depuis la crise, les choses se sont inversées : j’ai beaucoup plus de temps et quasiment plus de boulot. Mes projets personnels, jusque-là secondaires, ont donc pris le pas sur mon job. Sachant que l’activité n’est pas près de reprendre, je m’interroge beaucoup : Est-ce que je deviens freelance ? Est-ce que je monte mon agence de communication ? »
« Sachant que l’activité n’est pas près de reprendre, je m’interroge beaucoup : Est-ce que je deviens freelance ? Est-ce que je monte mon agence de communication ? », Alexandra, travaille dans la communication touristique.
La crise, en mettant un coup d’arrêt à de nombreux secteurs, a aussi permis à de nombreux travailleurs de se dégager beaucoup plus de temps. Cela a parfois fait naître une réflexion sur leur métier qu’ils n’avaient, jusque-là, pas eu le loisir d’avoir. « Au-delà des incertitudes sanitaires et économiques qui nous inquiètent tous, je pense que chaque citoyen sera amené à se questionner. Lors de la période de confinement, certains se sentiront sans doute inutiles pendant que d’autres, encore en activité, sauveront des vies, agissant directement pour la collectivité. De cette introspection peut naître un désir de transformation fort », confiait la sociologue Dominique Méda au magazine Pour l’Eco au mois d’avril. Ainsi, même chez ceux qui aimaient profondément leur métier, la crise a pu faire naitre une réflexion en creux, questionnant leur utilité sociale, leur définition du temps libre et l’impact de leur métier sur leur vie personnelle. « Depuis que j’ai lancé plein de projets personnels pour m’occuper, je sens que je suis en pleine réflexion. Cela m’interroge sur mon rapport au temps, à ma carrière. Avoir le luxe de penser mon emploi du temps comme je l’entends m’a ouvert un univers des possibles, c’est assez perturbant », confie Alexandra.
« Avoir le luxe de penser mon emploi du temps comme je l’entends m’a ouvert un univers des possibles, c’est assez perturbant », Alexandra, travaille dans la communication touristique.
Changer de voie, plutôt que de se battre pour conserver des postes voués à disparaître, et en profiter pour se réorienter vers des métiers qui offrent plus de temps libre et ont davantage de sens. Voilà le parti pris de certains salariés dont les postes se sont trouvés menacés.
Des alternatives pas nécessairement plus rémunératrices mais porteuses de plus de sens
Mais encore faut-il avoir le CV, les compétences et les ressources nécessaires pour “trouver ailleurs”. Certains optent donc pour une formation : « Je sais que costumier n’est clairement pas un secteur très porteur, sourit Guilhem, mais j’ai quand même tenu à faire cette formation car je m’y épanouis. Quitte à ne pas très bien gagner ma vie, je préfère faire ça. Si jamais il y a une deuxième vague, ou s’il y a des besoins ponctuels d’infirmiers, je rendrai service avec plaisir. Mais je ne veux plus que ce soit mon métier principal. Ça brise de travailler dans ces conditions ».
« Je sais que costumier n’est clairement pas un secteur très porteur, mais j’ai quand même tenu à faire cette formation car je m’y épanouis. », Guilhem, infirmier libéral.
Pour ceux qui n’auraient pas la possibilité d’entamer des formations ou de postuler ailleurs, les projets personnels peuvent aussi mener à des pistes de reconversion. Ce fut le cas pour Clarisse, pour qui tout a commencé en suivant des cours d’Ayurveda : « Je me suis toujours intéressée au bien-être et à l’alimentation et c’est comme ça que j’ai découvert l’Ayurveda. C’est une médecine traditionnelle indienne qui considère que corps et esprit ne font qu’un. J’ai commencé à la pratiquer puis je me suis formée en parallèle de mon boulot, mais je n’avais pas du tout dans l’idée de me reconvertir. C’est quand la crise est arrivée, et que j’ai réalisé qu’il allait falloir que je repense mon métier, que tout a commencé à s’imbriquer. Je me suis demandé comment ma pratique de l’ayurveda et mon expérience professionnelle dans le tourisme pouvaient se combiner pour aboutir à un nouveau projet. »
Mais, certains, plus pragmatiques, bifurquent vers des secteurs qui semblent plus porteurs. L’Insee prévoit un taux de chômage de 9,5% d’ici la fin de l’année. Face à cette dégringolade de certains secteurs, tout l’enjeu sera de parvenir à imaginer les métiers de demain. Réinventer les professions, repenser les usages du digital, mettre l’intelligence artificielle au service du bien commun, réinventer les façons de prendre soin de soi, de voyager, de consommer… De sacrés défis en perspective.
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