Comment survivre à un déjeuner en tête-à-tête avec son boss
10 févr. 2022
5min
Journaliste - Welcome to the Jungle
Parce que se pointer au travail tous les jours est certainement l’une des expériences les plus dépersonnalisantes qui soit, l’humain a créé le concept de la pause. Ces 5 minutes (voire 25 pour les plus forceurs d’entre nous) nous permettent de relâcher nos zygomatiques courbaturées à force de : « hihi, hilarant ce GIF Martine », « Pas de souci Gérald, je te fais ce PowerPoint avec plaisir ! » La pause, c’est un moment sacré qui nous autorise à faire tomber notre masque pour respirer et retrouver notre authenticité la plus profonde, presque animale. Que ce soit à la pause clope où les langues (de vipères) se délient, aux toilettes où vous êtes à l’apogée de votre vulnérabilité, ou à midi où vous vous empiffrez d’un burger indigeste à 15 euros. Mais une à deux fois par an, la perspective d’une de vos pauses déj’ risque d’être gâchée par un message Slack de votre boss : « On se fait un déj’ tous les deux ce midi ? »
Pas d’excuse, il faut y aller…
Adieu moment de déconnexion, adieu retrouvailles avec vous-même, adieu plaisir gastronomique. L’estomac dans les talons, l’idée de passer une heure en tête à tête avec la personne qui décide si vous méritez ou non un peu plus de biftons cette année, vous donne envie d’abandonner votre poste sur le champ. Comme je vous comprends. Vous voyez ces moments où quelqu’un vous tient la porte par gentillesse alors que vous en êtes encore loin ? Ou ceux où tous vos proches vous chantent “Joyeux anniversaire” pendant que vous restez assis·e à sourire comme un·e con·ne ? En niveau d’angoisse, le déjeuner en tête-à-tête avec son boss est très similaire (sauf que lui s’étale sur une heure). Et on ne va pas se le cacher, il est difficile de décliner l’invitation. Je vais donc vous révéler les deux seules excuses acceptables pour y échapper :
La première : « Ça tombe mal, je dois finir un reporting hyper urgent, mais partant pour un autre moment ! » Vous ne faites que décaler la sentence, mais c’est déjà ça de pris. Mais artchung, ne baissez pas votre garde pour autant. Suivre vos collègues préférés à la pizzeria du coin trahirait votre mensonge (votre boss déjeune peut-être incognito derrière cette vitre teintée), vous serez donc obligé·e d’avaler votre jambon-beurre devant votre ordinateur en arborant un air sérieux (même si en réalité, vous vous faites la rediff’ de Pascal le grand frère).
La deuxième excuse acceptable : vous vous êtes fait renverser par un camion blindé, avez atterri à l’hôpital où on vous a gentiment proposé de vous enlever vos dents de sagesse au passage, résultat : vous ne pouvez ni marcher, ni manger. Petit chanceux, vous pouvez échapper au pire.
L’impossible choix du restaurant
Si votre boss est un sadique (apparemment, c’est de rigueur), il vous déléguera cette lourde tâche. Votre instinct vous incitera certainement à suggérer le George V ou autre resto étoilé, mais vous ne voulez pas non plus racketter cet être supérieur (sauf si c’est une stratégie risquée pour que celui-ci ne vous invite plus jamais ?). Et puis, à ce stade de l’aventure, vous ne savez même pas encore qui va régler la note (même si vous croisez les doigts pour que l’addition passe aux frais de la compagnie). Dans le doute, optez pour un restaurant de moyenne gamme. Pas plus de 15 euros pour le plat principal. Ne vous autorisez que ce qui pourrait être absorbé par vos tickets restaurant. Aussi, réfléchissez à la configuration dans laquelle vous souhaitez déjeuner avec votre boss. Le tête-à-tête rapproché, un peu effrayant et propice aux gros postillons accidentels dans le verre ? Le côte à côte moins frontal d’une banquette de bistrot parisien ? Ou encore l’air frais d’une terrasse, qui vous permettra de garder la tête froide ? Vous avez choisi ? Bravo, mais le plus dur reste à faire !
Danger sur le plat
Inutile de vous jeter sur les mets trop aillés ou trop pimentés si vous ne voulez pas que votre boss repense à votre l’haleine de chacal ou à cette petite veine sur votre front au moment de savoir s’il va vous augmenter. Aussi, optez pour des aliments relativement humides. Je m’explique : vous avez stressé toute la matinée à cause de ce terrible face à face, votre gorge est nouée et tout morceau de pain un peu trop sec pourrait entraîner un terrible étouffement qui obligerait votre boss à vous secourir grâce à la prise de Heimlich. Vous ne voulez pas être littéralement redevable de votre vie à la personne qui vous verse déjà de quoi vivre tous les mois… Non, non, non, non, ce dont votre gorge a besoin, c’est d’être lubrifiée, relaxée par le passage d’une belle burrata bien huilée par exemple. Autre argument en faveur de ces aliments pas trop étouffe-chrétien : le temps de mastication. Ils s’ingurgitent vite et vous éviteront ainsi de devoir répondre à votre N+1 la bouche pleine ou une minute après la fin de sa question.
L’art de la tchatche
C’est LE truc qui vous effraie depuis le début. Vous avez peur des blancs. Peur de raconter des conneries. Vous vous demandez ce que votre boss va bien pouvoir vous dire qu’il ne peut pas dire au bureau. Pour vous éclairer Mesdames et Messieurs, j’ai demandé à mon propre boss, grand pratiquant de “déj” en tout genre, de nous dévoiler la mystérieuse raison derrière ces invitations impromptues et celui-ci s’est voulu rassurant. L’espèce des managers nous inviterait à déjeuner pour « marquer le coup », le plus souvent même pour « nous partager des bonnes nouvelles », « passer un moment sympa ensemble dont on se souviendra », mais également « nous partager des infos importantes qui pourraient avoir un impact sur notre carrière ». Pas de quoi se faire un sang d’encre donc !
Maintenant que cela est clarifié, voici quand même un guide de survie :
La conversation s’essoufle : c’est inévitable. En tombant sur un site de coaching en séduction amoureuse, j’ai lu qu’il était recommandé de combler ces creux en faisant des trucs invraisemblables comme lancer un “je te tiens, tu me tiens par la barbichette”. Ne faites pas cela. Posez-lui des questions sur lui/elle, tout le monde aime parler de soi (surtout les boss ?) Sur quoi il/elle travaille en ce moment ? Est-ce qu’il/elle compte partir en vacances ? Sinon, inspirez-vous du lieu, parlez de votre excellente burrata ou du resto dans lequel vous êtes, ou en ultime recours, de la météo particulièrement radieuse pour un mois de février “c’est fou, il n’y a plus de saisons”.
Les sujets à aborder (ou pas) : oui, vous pouvez parler de votre vie privée (vos gosses, votre logement, vos vacances, votre sport, vos passions, votre famille), mais attention à ne pas tomber dans l’intime (la chlamydia que vous avez chopée, le meeting de Mélenchon auquel vous êtes allé, la relation qui se dégrade avec votre partenaire qui se demande bien où vous avez pu choper cette chlamydia, etc.)
L’aspect taf : bon, si votre boss vous convie, c’est qu’il aimerait aussi certainement prendre la température de votre côté. Avant le déj’, clarifiez quelques points avec vous-même : qu’est-ce que vous appréciez particulièrement au travail en ce moment ? Qu’est-ce qui pourrait être amélioré selon vous ? Et enfin, comment vous voyez-vous évoluer ? Cela devrait suffire pour assurer un minimum l’échange.
Vous voilà paré·e pour cette épreuve. Et si vous deviez retenir qu’un conseil pour vous tirer d’affaires, ce serait de vous rappeler que votre boss est un humain, comme vous. Que vous n’avez pas à vous comporter si différemment que ça avec lui/elle. Pour emprunter les mots de Mr. Banks envers Jonah Hill dans un sketch du Saturday Night Live : « Ne le/la voyez pas comme votre boss mais plutôt comme une personne riche qui peut vous virer quand elle veut. » Bon app’ !
Article édité par Manuel Avenel, photo Thomas Decamps pour WTTJ
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