Comment dire à son manager quand ça ne va pas au travail ?

19 mai 2020

7min

Comment dire à son manager quand ça ne va pas au travail ?
auteur.e
Gabrielle de Loynes

Rédacteur & Photographe

« Être au top », c’est le défi de tous les jours. Et ce d’autant plus au travail où nous devons tenir le rythme, abattre des tâches, et être de bonne humeur en toutes circonstances. Du moins, comme nous nous l’imposons ! Selon la dernière étude de la Dares, la Direction statistique du ministère du Travail, 31% des travailleurs déclarent devoir cacher ou maîtriser leurs émotions au travail. Pourtant, il y a des jours où ça ne va pas : on est surmené, épuisé, stressé… On est parfois sur le point de craquer. Et pour cause, nous sommes 47% à devoir « toujours » ou « souvent » nous dépêcher au boulot et 64% d’entre nous avouent être soumis à un travail intense ou subir des pressions temporelles. Alors que faire ? Ralentir la cadence, prendre du recul, se reposer, d’accord… mais comment en parler à son boss ? Vanessa Lauraire, psychologue du travail et psychothérapeute nous livre quelques clés pour se préparer à un entretien apaisé.

Au fait, qu’est-ce qui ne va pas ?

« Que la force me soit donnée de supporter ce qui ne peut être changé et le courage de changer ce qui peut l’être mais aussi la sagesse de distinguer l’un de l’autre », Marc Aurèle.

Pour mieux comprendre ce qui ne va pas, explique Vanessa, « il faut bien distinguer ce qui est de l’ordre du factuel de ce qui est de l’ordre du vécu subjectif et des émotions associées. » Qu’est-ce qui dépend de moi ? N’allez pas vous (r)ajouter du stress là où il y en a déjà !

Des faits : les exigences du travail

Il y a la réalité, et il y a la perception que chacun se fait de la réalité. Qu’est-ce qui fait au juste que vous craquez ? Une surcharge de travail ? Trop d’intensité ? Une faible marge de manœuvre ? Peu de reconnaissance ? Des contraintes de rythme ? Des objectifs démesurés ? Des horaires de travail excessifs ? Mettre des mots sur la cause de votre mal-être permet d’y voir plus clair. « Chaque activité comprend différentes tâches à accomplir inscrite dans une fiche de poste. Ces exigences prescrites par notre fiche de poste (inhérentes à tout emploi) sont à distinguer de notre propre vécu de la situation, de notre subjectivité au travail. Il s’agit de poser sa situation de travail pour se demander comment on la vit », commente Vanessa. Interrogez-vous ainsi sur les différentes causes de votre épuisement. Sont elles le résultat d’une pression imposée ou de celle que vous vous imposez ?

Nos exigences personnelles en plus…

« Que vous soyez ouvrier sur une chaîne de montage ou cadre dans un open space, il y a toujours un écart entre le travail tel qu’il est prescrit et l’activité telle qu’elle se réalise, explique Vanessa. C’est là que réside l’intelligence au travail de chaque professionnel ; cette part de moi que je mets en plus, avec mes propres valeurs et exigences personnelles, pour que le travail se fasse ». Alors quelle est la part de stress que je m’inflige ? Quelle est l’origine de mon propre surmenage au regard de l’organisation du travail ? « Tout est une question de curseur. Jusqu’à quel point je donne de moi-même pour accomplir mon travail ? Car c’est là potentiellement là que se trouve l’une des raisons de l’épuisement professionnel », souligne Vanessa.

Qu’est-ce qui m’empêche d’en parler à mon n+1 ?

« Savoir dire stop et reconnaître la limite de ses propres capacités est perçu comme un aveu de faiblesse. Mais c’est au contraire un acte de courage ! », Vanessa Lauraire, psychologue, clinicienne du travail.

L’anticipation d’une réaction négative

Derrière la peur que l’on se fait d’évoquer son épuisement professionnel à son n+1, se cache une appréhension. « La peur se fonde dans le fait d’anticiper l’événement : le scénario que l’on se fait d’aller en parler à son n+1 et de sa réaction qu’on imagine possiblement négative » explique Vanessa. « On se fait toute une histoire d’un événement à venir qui n’est pas réel, mais qui génère un stress bien présent. » Et puis, il y a aussi la crainte de sa propre manière d’exprimer son épuisement à son boss. « Comment vais-je moi-même réagir ? Cela dépend de notre expérience personnelle, poursuit Vanessa, notamment si l’on a vécu un précédent mal vécu, ou encore de notre caractère, si l’on est timide, introverti ou, au contraire, extraverti. » Or tout ceci n’est qu’une projection, une anticipation de soi dans une situation basée sur son vécu et sa personnalité.

La croyance qu’il s’agit d’un aveu de faiblesse

« Dans beaucoup d’entreprise, analyse Vanessa, il y a une culture de la performance. Reconnaître que l’on est à bout serait alors interprété comme un aveu de faiblesse. Exprimer ses émotions et ses limites s’oppose au dictat de la performance et de la rentabilité. Savoir dire stop et poser des limites est perçu comme un aveu de faiblesse. C’est au contraire un acte de courage ! » Cela demande de dépasser ses peurs et les éventuelles conséquences imaginées à l’issue de cet entretien individuel avec son boss : rétrogradation, annulation d’une promotion… Mais tous ces scenarios catastrophes ne sont basés que sur des croyances limitantes ! Alors osons aller au-delà.

Comment en parler à son boss : 5 conseils pour faire passer un message en mode “apaisé”

S’écouter, faire la part des choses, préparer son discours, trouver des solutions et pratiquer la communication non violente, Vanessa nous donne 5 tips pour faire passer à son boss un message apaisé.

Ayez de l’empathie envers vous-même

« Est-ce que je suis capable de reconnaître que je suis épuisée ? interroge Vanessa. Ayez cette empathie envers vous-même pour vous poser et identifier s’il y a quelque chose qui ne va pas. Est-ce qu’il y a de petits signes qui se manifestent dans mon environnement ? Suis-je plus irritable, plus énervé ? Ai-je moins de patience ? Suis-je sujet à des troubles du sommeil ces temps-ci ? Observez s’il y a des modifications dans votre façon de vivre au quotidien. » Car avant de parler à son boss, il faut avant tout savoir dialoguer avec soi-même.

Observez les faits objectivement

La psychologue nous invite à « poser les choses ». « Quelle est la situation ? Quels sont les faits ? Qu’est-ce qui dépend de moi ? Videz votre sac à vous-même avant de le déposer à un autre, suggère Vanessa. Il faut faire la part des choses, discerner. Qu’est-ce qui dépend de moi ? Comment je vis cette situation de travail ? » Questionnez-vous sur votre réaction émotionnelle face à la situation factuelle dans laquelle vous vous trouvez.

Vanessa recommande notamment d’utiliser la célèbre « Matrice Eisenhower » pour préparer votre entretien. Un outil très pratique conçu pour apprendre à mieux gérer son emploi du temps, prendre du recul et faire la part des choses. Concrètement, c’est un tableau qui vous permet de classer vos tâches à accomplir selon 4 catégories : urgent et important (les tâches que vous devez faire immédiatement) ; important, mais pas urgent (les tâches que vous programmerez pour plus tard) ; urgent, mais pas important (les tâches que vous devriez déléguer à quelqu’un d’autre) ; pas urgent et pas important (les tâches que vous devriez éliminer). Un premier moyen d’y voir plus clair sur votre activité et les raisons de votre épuisement !

Identifiez vos propres besoins

La situation de travail dans laquelle vous vous trouvez révèle bien souvent que vous manquez de ressources : temps, formation, moyens, aide des collègues… « Quels sont mes besoins ? Est-ce un besoin qui se situe au niveau matériel, physiologique, de reconnaissance ? », questionne Vanessa. « Il faut distinguer le contexte de votre travail (conditions, moyens) du contenu de votre travail, continue la psychologue. C’est à dire le sens du travail et le sens au travail. Au fond, qu’est-ce que cette surcharge ? Est-elle réelle ou subjective (ie : « je me sens surchargée ») ? Ce peut alors être l’occasion de s’interroger sur sa relation à son travail : où j’en suis ? Est-ce de l’ennui ou de la surcharge ? Quel type de job je veux pour moi ? » Profitez-en pour vous demander ce qui pourrait concrètement résoudre votre problème, il existe toujours des solutions. De plus, est-ce que ce problème ne dissimulerait pas un besoin plus profond ? Prenez le temps de l’introspection…

Essayez de vous réinventer

« Comment dire ce qui ne va pas? Mais savoir dire aussi au-delà de ce qui ne va pas ? », demande Vanessa. Ce n’est pas tout d’aller voir votre n+1 comme si vous alliez au bureau des plaintes. Sy rendre uniquement avec un cahier de doléances, n’est pas très constructif. « Restez à l’écoute, ouvert et soyez force de propositions, ajoute Vanessa. Demandez-vous comment vous pouvez vous réinventer dans votre travail. Au-delà des problèmes, proposez des solutions. Envisagez le problème dans une approche développementale : quelle serait une “meilleure” façon de travailler pour moi ? » Vous pouvez, par exemple, proposer de garder quelques jours en télétravail, de réorganiser votre activité ou de demander de vous faire accompagner par un coach si vous en sentez le besoin ! Ce qui compte, explique Vanessa « c’est que vous retrouviez votre plein pouvoir d’agir ». Essayer de reprendre le contrôle de votre emploi du temps et plus globalement de votre vie professionnelle. C’est cela qui pourra vous redonner confiance et vous apaiser durablement.

Préparez votre entretien

N’allez pas voir votre n+1 lorsque vous êtes au bord de la crise de nerfs, en larmes, voix chevrotante et mouchoir à la main. N’allez pas davantage lui dire que votre travail a des conséquences sur votre vie perso, que vous avez grossi parce que vous êtes déprimé et que, du coup, vous vous engueulez bien plus à la maison… Tout cela est réel pour vous, mais il est important de rester sur le terrain professionnel.

Préparez donc votre entretien calmement. « Vous pouvez utiliser les outils de la communication non violente, recommande Vanessa. Demandez-vous comment vous voulez en parler, sans jugement et en dédramatisant. N’anticipez pas la réaction de votre n+1 mais préparez ce que vous voulez lui dire. Le processus de communication non violente se déroule en 4 étapes : rappeler le contexte, expliquer comment vous avez vécu la situation, expliciter vos besoins et formaliser une demande. Mettez des mots sur vos besoins, les ressources qui vous seraient nécessaires et les solutions à vos problèmes. Enfin, essayez de trouver une solution collective à votre problème. Comment réagir sans engager les ressources financières de mon entreprise ? Peut-être revoir les urgences des projets ou répartir les tâches différemment ? Il y a toujours une solution ! »

Quelle que soit la source de votre épuisement professionnelle, pas de doute, il faut que cela sorte. Mais, pour que le message soit bien compris et qu’il y ait du changement, il faut le faire passer de manière apaisée. Il n’y a rien de plus normal que de s’inquiéter de la réaction de son n+1 et d’appréhender l’avenir. « Mais il n’y a pas lieu de dramatiser, ce qui serait dramatique, c’est de ne pas en parler ! Cela conduirait à l’isolement et au risque de burn out. Il faut avant tout prendre soin de soi et de son travail », conclut la psychologue.

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