Entre le bureau et moi : plus de 100 bornes de va-et-vient
03 avr. 2019
7min
MP
Journaliste, pigiste et auteure
J’ai toujours vécu loin de mon travail. Que j’habite en ville ou à la campagne, je n’ai jamais réussi à trouver un emploi qui me convient sans avoir à passer au moins trois heures quotidiennement dans les transports. Aujourd’hui, je fractionne la semaine : trois jours au bureau, les deux autres en télétravail. Un rythme que j’apprécie, même si je n’ai pas beaucoup d’alternatives.
Mon premier emploi ? C’était à Paris. Pas étonnant au vu de mon métier qui ne court pas les rues. J’habitais en province, à environ deux heures de TGV de la capitale, ce qui me semblait honnête pour passer la période d’essai avant d’envisager un déménagement. Ce travail me plaisait beaucoup et je ne voyais pas les journées passer… et pour cause ! Je n’arrêtais pas de courir après le temps. À 5 h, le réveil sonnait l’heure à laquelle je devais me lever avant d’avaler un café en quatrième vitesse et de monter sur mon vélo pour attraper le train de 6 h. Dans le TGV, je lisais les journaux, faisais ma paperasse, préparais ma journée à venir. J’arrivais un peu avant 9 h au travail… et le soir, à peine la journée terminée, je devais courir aux heures de pointes pour ne pas rater mon train. Avec un peu de chance, je pouvais prendre celui de 18 h 30 et j’arrivais donc chez moi vers 21 h. Juste le temps de manger, et je m’écroulais de fatigue… après avoir peut-être même déjà fait la sieste dans le train. Le trajet du soir, il faut le dire, n’était absolument pas optimisé. La tête embrumée, je comatais en regardant le paysage défiler derrière la vitre, j’écoutais un peu de musique, je jouais sur mon téléphone…. et le vendredi, enfin, je respirais !
À l’époque, j’étais célibataire… et vu le peu de temps dont je disposais pour « vivre » en dehors du travail, je ne risquais pas de rencontrer quelqu’un. Je me suis finalement décidé à partir vivre à Paris. Pendant deux mois, j’ai visité des appartements, tous plus miteux les uns que les autres, mal placés ou hors de prix… J’avais pris une petite location temporaire, qui me permettait de rester sur place le temps de mes recherches, mais j’avais du mal à m’habituer à la grande ville : l’absence de silence, les lumières allumées en permanence, prendre le métro pour faire ses courses ou circuler à vélo derrière les pots d’échappement… Un mois plus tard, je n’arrivais toujours pas à visualiser ma vie parisienne. J’ai donc laissé tomber cette option et je me suis résigné à changer de travail, pensant réduire mon temps de trajet et pouvoir avoir de nouveau une vie sociale en semaine.
J’avais pris une petite location temporaire, qui me permettait de rester sur place le temps de mes recherches, mais j’avais du mal à m’habituer à la grande ville
Lors de ma période de chômage, j’ai rencontré quelqu’un. C’était tellement bon de retrouver le temps de sortir, de faire du sport, d’aller au théâtre, de boire des coups avec les copains. Je redécouvrais la vie, la vraie ! Celle qui n’était pas quasi exclusivement dédiée au travail. Puis, j’ai décroché un nouvel emploi… situé certes moins loin qu’en région parisienne mais à deux heures de route tout de même. Je ne sais pas si c’est le fait que la distance soit moins importante qui m’a induit en erreur ou mon aveuglement provoqué par le bonheur de ma nouvelle vie, mais je me demande encore aujourd’hui comment j’ai pu penser qu’effectuer quatre heures aller-retour tous les jours serait différent de la situation précédente. La seule chose qui changeait était le moyen de transport. Au lieu de prendre le train, j’utilisais ma voiture.
L’enfer. L’aller, le matin, était supportable. J’écoutais la radio, parfois un peu de musique sur laquelle je chantais… et je me considérais tout de même chanceux de passer par un itinéraire exempt d’embouteillage. C’est le soir que cela se gâtait. Debout depuis 5 h du matin, c’est complètement épuisé que je prenais ma voiture pour rentrer à la maison. Les deux heures de route étaient une lutte permanente pour rester éveillé, alors j’utilisais mon kit Bluetooth pour appeler les copains, la famille… tous ceux qui étaient disponibles pour divertir mon esprit de la somnolence. Ma copine faisait souvent partie des personnes au bout du fil… et même si elle ne le disait pas explicitement, je sentais qu’elle aurait bien eu envie que je lui consacre plus de temps en personne, et pas seulement les week-ends. Mais en rentrant tous les soirs à 21 h mort de fatigue, comment voulez-vous avoir une vie sociale après le travail ? Mon problème était que mon emploi me plaisait énormément… et, une fois dans l’engrenage de ce rythme effréné, ma tête et mon corps s’étaient habitués… jusqu’à frôler la crise de nerfs, six mois plus tard.
Mais en rentrant tous les soirs à 21 h mort de fatigue, comment voulez-vous avoir une vie sociale après le travail ?
C’était l’hiver, j’étais malade, fatigué, je me suis mis en arrêt quelques jours pour me requinquer et finalement j’ai craqué. Mon corps était à bout. Il n’en pouvait plus des nuits trop courtes, des repas mangés sur le pouce… enfin plutôt des grignotages et des fast-foods avalés en coup de vent. Mon corps manquait d’énergie en raison du manque de temps disponible pour pratiquer du sport ou simplement se détendre. Si le moral tenait vaillamment bon grâce à ma passion pour mon travail, il n’en était pas moins très affecté par le manque de vie sociale occasionné par les journées à rallonge. Si je ne trouvais pas de solution, j’allais perdre ma santé, ma chérie, mes copains… bref, toute ma vie, sauf le travail.
J’en ai donc parlé à mon chef, avec lequel je m’entendais (et m’entends d’ailleurs encore) très bien. Il a été très compréhensif et m’a proposé d’opter pour le télétravail deux jours par semaine. Une marque de confiance qui m’a beaucoup touché… L’un de mes collègues m’a également invité à dormir chez lui pour m’éviter de faire des allers-retours lorsque je passais plusieurs jours consécutifs sur place. Je lui suis encore reconnaissant de m’avoir dépanné car j’ai enfin pu respirer. Le lundi et le vendredi, je travaillais donc depuis chez moi, ce qui me permettait de profiter des vendredis et dimanches soir dignement, avant de reprendre le travail sans être épuisé. Finalement, j’étais plus efficace sans tous ces allers-retours, que je n’effectuais plus qu’une fois par semaine. J’ai ensuite déménagé avec ma copine et, grâce à la réduction des frais permise par cette vie commune, j’ai pu trouver un studio non loin de mon entreprise. J’avais également une prime de télétravail versée par mon employeur, qui participait au financement de ce nouveau logement. Je pouvais donc retrouver indépendance et intimité… après avoir chaleureusement remercié mon collègue de m’avoir hébergé. J’avais trouvé mon équilibre.
Le lundi et le vendredi, je travaillais donc depuis chez moi, ce qui me permettait de profiter des vendredis et dimanches soir dignement, avant de reprendre le travail sans être épuisé.
J’ai conservé ce rythme de vie jusqu’à aujourd’hui. Le mardi matin, je me lève tôt pour partir au travail. Les deux soirées qui suivent, je retrouve ma vie de célibataire : je mange ce que je veux, je regarde les films que ma chérie ne veut pas voir et je peux faire du sport aussi tard que je le souhaite. Ce temps, juste pour moi, est vraiment appréciable. Le jeudi soir, retour à la vie de couple et au télétravail jusqu’au lundi. J’ai meublé mon appartement avec trois fois rien, en récupérant des meubles auprès de mon entourage. J’y ai le strict minimum pour vivre et me sentir bien, je suis vraiment heureux. D’autant que mon absence crée un manque au sein de notre couple qui ne fait que renforcer notre attachement lors de nos retrouvailles. Pour moi, c’est l’équilibre parfait. Jusqu’au jour où nous avons décidé d’avoir un enfant… Ma compagne a toujours été assez indépendante et ne m’a jamais fait culpabiliser de partir trois jours par semaine, mais, avec le bébé, je sens désormais qu’elle a davantage besoin de moi… qu’ils ont tous les deux besoin de moi… et je culpabilise de ne pas être suffisamment présent pour l’aider.
Entre-temps, nous avons également déménagé à la montagne et mon trajet s’est allongé. Pour aller au travail désormais, je dois prendre ma voiture, ou faire du covoiturage, et ensuite l’avion ! Si, si… Je me suis même habitué à travailler avec mon ordinateur sur les aires d’attente de covoiturage. Maintenant que je suis papa, je réfléchis à trouver un emploi plus proche de la maison… mais d’un autre côté, d’un point de vue purement égoïste, cet équilibre me convient parfaitement et j’apprécie la séparation entre le travail et la maison provoquée par l’importante distance qui nous sépare. Je ne partage pas ma vie personnelle avec les collègues, je ne risque pas de croiser mon chef en faisant mon jogging ou en allant à la piscine. Cette séparation radicale entre ma vie professionnelle et ma vie personnelle me plaît. Les trois jours que je passe dans mon appartement me laissent aussi du temps pour sortir boire des verres avec les collègues… et quand je suis à la maison, je peux consacrer mon énergie à mes amis et à ma famille. Le temps disponible pour les deux parties est clairement distinct, défini, et je parviens également à trouver des moments pour moi.
Je ne partage pas ma vie personnelle avec les collègues. Cette séparation radicale entre ma vie professionnelle et ma vie personnelle me plaît
Je ne me vois pas travailler plus près de la maison et faire des allers-retours, certes courts mais quotidiens. J’aime le manque que nous entretenons avec ma compagne trois jours par semaine, l’absence de routine. Avec un bébé, d’autres considérations entrent en jeu, mais je reste confiant. Après tout, mon entreprise m’a toujours fait confiance sur la gestion de mon temps. Peut-être acceptera-t-elle que je sois davantage en télétravail durant certaines périodes compliquées ? Quoi qu’il en soit, étant donné la zone rurale dans laquelle nous nous sommes installés, je n’ai pas vraiment le choix. À moins de changer de métier, j’habiterai toujours loin, très loin, de mon lieu de travail.
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