La dyslexie, un handicap encore trop souvent discriminé en entreprise

12 déc. 2019

10min

La dyslexie, un handicap encore trop souvent discriminé en entreprise
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Selon la Fédération Française des Dys, la dyslexie est un trouble qui touche 4% à 5% de la population française, soit plusieurs millions de personnes. Par leurs difficultés à écrire correctement et à comprendre les énoncés, les personnes dyslexiques peinent à s’épanouir à l’école, malgré l’intervention d’orthophonistes. Une fois adultes, le même calvaire les attend en entreprise, sauf que, cette fois, l’accompagnement qu’ils reçoivent est minime voire inexistant. Entre incompréhension du handicap, discrimination de la part des employeurs et moqueries des collègues, la dyslexie est trop souvent et injustement un obstacle à l’adaptation au monde professionnel. À quoi ressemble le quotidien d’un employé dyslexique ? À quelles difficultés fait-il face en entreprise ? Comment gère-t-il son trouble au bureau ? Quelles solutions s’offrent à lui ? Réponses et témoignages.

La dyslexie, un trouble mal compris

Un handicap sur lequel la confusion règne

La dyslexie est un trouble mal connu et mal compris, au point que le terme lui-même n’est pas toujours employé correctement. Il est d’ailleurs bien souvent confondu avec d’autres troubles faisant eux aussi partie de la catégorie dite des “troubles Dys” (qui désigne l’ensemble des troubles de l’apprentissage, ndlr), comme la dysorthographie (trouble de l’orthographe), la dyspraxie (trouble neurologique de l’activité motrice), la dyscalculie (trouble du calcul mental) ou même des troubles de l’attention. Les deux seuls troubles qui concernent le langage écrit sont la dyslexie et la dysorthographie.

Mais alors qu’est-ce que c’est, la dyslexie ?

Et quand la dyslexie n’est pas confondue avec d’autres troubles dits “Dys”, on la résume souvent - à tort - à une difficulté à écrire correctement. Or, il s’agit au départ d’une difficulté à lire. En effet, la dyslexie est un trouble de la compréhension du langage écrit. Lors de la lecture d’un texte, les personnes dyslexiques ont plus de mal que la moyenne à reconnaître la forme des mots et à déchiffrer les assemblages de lettres qui les composent.

Vincent Lochmann, Vice-président de la Fédération Française de Dys, définit la dyslexie de la façon suivante : « Quand je vous parle, vous réussissez à découper les syllabes, vous faites le lien entre le son que vous entendez et les mots, les lettres et syllabes. Derrière, vous en déduisez les lettres qui vont composer les mots. C’est la conscience phonologique. C’est cette conscience phonologique que les dyslexiques ont du mal à trouver. » Cela se traduit par un plus grand besoin de concentration et de ressources cognitives (attention, raisonnement, perception…) que la moyenne pour traiter l’information et encoder le langage écrit.

Cette difficulté à lire, qui apparaît dès l’enfance, constitue, par la suite, un obstacle à l’apprentissage de l’écriture. On constate d’ailleurs que beaucoup de personnes dyslexiques adultes font des erreurs en rédaction fréquentes. On dit que ces derniers souffrent alors aussi de dysorthographie, qui est un trouble de la maîtrise de l’orthographe, logiquement associé à la dyslexie.

Un monde inadapté aux personnes dyslexiques

Dans le « mauvais moule »

Faire des fautes à l’écrit ou moins bien comprendre un texte, ne veut pas dire être moins intelligent que les autres. Ne pas maîtriser l’écrit ne veut pas non plus dire qu’on ne peut pas comprendre un problème ni le résoudre.

Or, ce raccourci entre écriture et intelligence est généralement fait à l’école. C’est pourquoi les diplômes obtenus par les dyslexiques ne sont souvent pas à la hauteur de leurs capacités… Vincent Lochmann l’explique parfaitement : « À l’école, dans un exercice de maths, la première demande consiste à lire l’énoncé et à le comprendre. Vous aurez beau être très bon en maths, si vous n’êtes pas bon en français [en lecture, plus précisément], vous aurez des difficultés à le réaliser correctement. » Ce que confirme Léon, chargé de communication dans un musée parisien et diagnostiqué dyslexique depuis l’âge de 6 ans : « On apprend autrement, mais on est tout aussi intelligents. » La dyslexie est en effet ce que l’on appelle un “trouble cognitif sans déficience intellectuelle”, c’est-à-dire sans impact sur le QI de ceux qui en souffrent.

Au-delà de l’école, nous vivons dans une société qui accorde une très grande importance à l’écrit comme outil de mesure des capacités de chacun. Or, cet attachement à l’écrit exclut totalement les dyslexiques : ils ont ainsi beaucoup de mal à prétendre à une reconnaissance - quelle qu’elle soit - de leurs capacités, alors qu’ils ne souffrent d’aucune déficience intellectuelle. Pourtant, ils se sentent “forcés” de se plier aux diktats de la société : « On est dans le mauvais moule. On nous force à apprendre d’une manière, mais on n’est pas formatés comme ça, alors on est obligés de se tordre. C’est un sorte de scoliose intellectuelle. » nous confie Léon.

Des talents créatifs gâchés

Pour Béatrice Sauvageot, membre de l’association Dysplay et orthophoniste spécialisée en dyslexie, ceux qui en souffrent sont de grands incompris : « C’est comme s’ils étaient sur une moto et qu’on leur disait de pédaler. » Pire, ce serait même des talents gâchés. Car, selon Béatrice Sauvageot, ils disposent de plus de ressources cognitives que la moyenne : « Ils se servent de 30% de leur cerveau, mais [la société] ne leur demande que 10%. »
D’après elle, les personnes dyslexiques captent plus d’information que les autres. Ils ont un système de pensée extra-sensoriel, c’est-à-dire qu’ils se servent de tous leurs sens en même temps et sont attentifs à tout ce qui se passe autour d’eux en permanence, par effet de compensation. Mais en raison de l’énorme quantité d’information qu’ils reçoivent, il ont besoin de temps pour la traiter correctement. Un temps que la société ne leur octroie pas forcément. Léon confirme : « Je suis convaincu qu’on est plus créatifs » et explique le fonctionnement des dyslexiques par une métaphore très parlante : « on aime bien passer par d’autres chemins, prendre la nationale pour regarder la vue, et comme ça, on découvre d’autres choses. Mais, souvent, on nous demande de prendre l’autoroute, pour aller au plus simple, au plus efficace » avant de poursuivre : « On a l’impression de ne pas pouvoir donner le maximum de nous-mêmes, et c’est frustrant. »

Une perte de temps exténuante en entreprise

Souvent, les dyslexiques attendent impatiemment de rejoindre le monde du travail, synonyme pour eux de la fin de l’école, et donc des difficultés. Ils voient cette nouvelle étape de leur vie comme une occasion d’être plus dans le concret, dans l’action, comme une manière de s’affranchir enfin du diktat de l’écrit et de l’image de cancres qu’ils renvoyaient à leurs camarades et professeurs.

Sauf qu’en arrivant en entreprise, la désillusion est de taille lorsqu’ils se rendent compte que l’importance accordée à l’écrit est toujours aussi forte. Un sondage d’OpinionWay publié en février 2019 illustre bien cette idée en révélant que 92% des DRH interrogés estiment qu’une mauvaise orthographe des salariés peut avoir un impact négatif sur l’entreprise.

Or, comme à l’école, les personnes dyslexiques ont besoin de plus de temps que les autres pour effectuer des tâches qui nécessitent de lire ou d’écrire. Ils dépensent beaucoup d’énergie à essayer de réduire leurs fautes d’orthographe ou de syntaxe. Les tâches considérées habituellement comme rapidement réalisables (envois de mails, compte-rendus, lectures de dossiers…) leur sont beaucoup plus chronophages. « On prend beaucoup de temps pour tout, on a beaucoup de choses à gérer en même temps et un peu de mal à se concentrer », avoue Raphaëlle, ancienne chargée de projet en agence, dyslexique elle aussi. Ses fautes à l’écrit concernent principalement des oublis de mots et des inversions de lettres (le M et le N, ou le V et le F, par exemple). « Je passais un temps fou à relire mes mails avant de les envoyer, au point de ne même pas pouvoir prendre de pauses. »

Une situation épuisante sur le long terme, mais qui peut ne pas vécue de la même manière selon les métiers et selon les niveaux hiérarchiques. Vincent Lochmann explique : « Il y a des métiers dans lesquels on écrit toute la journée, donc ça peut être particulièrement difficile. » Mais il précise que dans certains cas, les problèmes peuvent arriver un peu plus tard dans la carrière, à la suite d’une promotion, par exemple : « Un jeune développeur dyslexique très performant dans son entreprise est promu et devient chef d’équipe : il devra alors transmettre des consignes, des rapports, envoyer des mails… À ce moment-là, la dyslexie qui ne le gênait pas avant devient un vrai problème. »

Quelles solutions existe-t-il pour mieux vivre sa dyslexie en entreprise ?

Détecter sa dyslexie

Beaucoup de dyslexiques ne savent pas qu’ils le sont, tout simplement parce qu’ils ont mis en place des stratégies dès leur plus jeune âge pour contourner les difficultés, ou parce qu’ils n’ont bénéficié d’aucun accompagnement, ou encore parce qu’ils se sont persuadés qu’ils étaient juste de “mauvais élèves” à l’école. Il est important de se faire reconnaître dyslexique pour comprendre ses troubles et savoir qu’on n’est pas moins intelligents qu’un autre. Il arrive d’ailleurs que les personnes qui compensent leur trouble toute leur vie (à l’école comme au travail) subissent, au bout d’un moment, une décompensation (arrêt des mécanismes de compensation qui a pour conséquence l’apparition abrupte de troubles psychologiques, ndlr) qui peut se traduire par un burn out, des troubles du sommeil, du stress chronique, de l’anxiété, etc.

Malheureusement, assez peu d’orthophonistes s’occupent des dyslexiques adultes et les tests de dépistage sont très peu adaptés quand on grandit. Les orthophonistes spécialisés pour les adultes dyslexiques et les recherches sur le sujet sont trop rares, comme si le problème était ignoré. L’application Dysplay, développée par PuissanceDys, est « un des seuls moyens pour les adultes de détecter leur dyslexie et de suivre des exercices de rééducation » explique Béatrice Sauvageot.

En parler à son employeur

Les experts s’accordent à dire qu’une des premières choses à faire quand on sait que l’on est dyslexique, c’est parler de son trouble à son employeur une fois embauché. En parler avant, lors de l’entretien d’embauche par exemple, semble un peu risqué. Dans l’étude d’OpinionWay citée plus tôt, la moitié des RH interrogés avouaient qu’un faible niveau d’orthographe pouvait les pousser à écarter une candidature lors d’un process de recrutement. Difficile donc pour les dyslexiques qui s’assument de s’imposer face à la concurrence.

En revanche, une fois en poste, en en parlant au département des Ressources Humaines, ou à la Mission Handicap de son entreprise (département chargé de mettre en œuvre la politique handicap de l’entreprise, ndlr.), il est possible d’être reconnu “travailleur handicapé”. Dès lors, il est possible d’obtenir des financements et des outils de compensation et avoir accès à des aménagements utiles pour dépasser ses difficultés. Surtout, c’est un poids dont on se libère. Car, tant qu’on ne le dit pas, les fautes à l’écrit et les incompréhensions peuvent être assimilées à de l’ignorance et l’estime de soi peut en prendre un coup. « Dès qu’on fait une faute, [pour les collègues] on est inculte, il y a des jugements… » regrette Léon.

S’il encourage grandement à en parler, Vincent Lochmann ne se voile pas la face : « On sait que dans certaines entreprises, on considère la dyslexie comme une maladie honteuse et il n’y a aucune bienveillance. » Léon, sceptique depuis une mauvaise expérience, se confie : « Une fois j’en ai parlé. À partir du moment où mes collègues ont sû, ils se sont mis à constamment remettre en cause mon travail : toutes mes productions étaient enlevées de leur contexte, ils se focalisaient sur mon handicap et ne regardaient plus le reste. Maintenant, je ne le montre plus. Quand je fais des fautes, je dis que ce sont des erreurs d’inattention ou de précipitation. »

Raphaëlle en a parlé, elle aussi, et reconnaît volontiers l’implication et l’attention dont ses collègues ont fait preuve : « Mes managers de l’époque relisaient mes mails, elles étaient très attentionnées et patientes. » Mais elle nuance : « parfois elles soufflaient en lisant mes fautes… et c’était blessant. » Et rappelle que la dyslexie est un handicap comme un autre et qu’il ne faut pas l’oublier : « On ne soufflerait jamais en voyant qu’une personne en fauteuil roulant n’arrive pas à monter des escaliers, alors il n’y a pas de raison de souffler quand un dyslexique fait une faute. »

Finalement, Léon tranche : « Le plus important, c’est la confiance. Avant d’en parler, je pense que c’est important d’avoir une totale confiance en ses collègues et en leur bienveillance. »

Privilégier des alternatives à la rédaction

Pour les personnes dyslexiques, élaborer des stratégies pour éviter au maximum la rédaction et la lecture est un défi quasi quotidien. Si la confiance du salarié dyslexique en son employeur est telle qu’il a décidé de parler de son trouble, les conditions sont peut-être réunies pour qu’il puisse suggérer certains aménagements. Dans le cas où l’entreprise est prête à faire des efforts pour améliorer ses conditions de travail, de nombreuses solutions s’offrent à elle :

  • Éviter de lui confier les prises de notes en réunion
  • Limiter les longs échanges par mail
  • Fournir un outil avancé de correction orthographique sur ordinateur ou de rééducation
  • Privilégier les brainstormings pour lui permettre d’exprimer sa créativité autrement que par écrit
  • Éviter les tâches à réaliser dans l’urgence lorsqu’elles contiennent une grande part d’écrit
  • Proposer des espaces de travail calmes et sans source de déconcentration

En tant que dyslexique, il est aussi possible de mettre en place ses propres solutions, comme notamment :

  • Éviter de rédiger trop de mails et privilégier, si possible, l’oral ou le téléphone.
  • Rédiger les mails et comptes rendus sous forme de bullet points, afin de limiter les erreurs et faciliter la lecture
  • Dessiner pour clarifier ses idées sans avoir à les écrire
  • Se servir de sites de correction orthographique gratuits tels que Bonpatron, Reverso, etc.
  • Trouver des astuces mnémotechniques pour corriger ou anticiper ses fautes
  • Faire des modèles de mails, courriers, documents qui pourront être réutilisés en changeant seulement certaines parties

Des secteurs plus propices à l’épanouissement des dyslexiques ?

Évidemment, les métiers basés sur l’écrit ne semblent, à première vue, pas très propics aux personnes dyslexiques en raison de la nature de leur trouble. Pourtant, hormis le métier d’éditeur, de traducteur ou de dactylographe, ils ont accès à quasiment tous les secteurs et métiers, à condition d’être accompagnés ou d’avoir accès à des solutions de compensation efficaces.

Selon Béatrice Sauvageot, le secteur de prédilection des personnes dyslexiques reste celui des métiers créatifs. Graphisme, design, publicité, communication, art… sont les secteurs dans lesquels ils expriment le plus leur talent et trouvent le plus facilement leur place. Léon gère la communication d’un musée. Il s’amuse d’une situation qu’il voit souvent autour de lui : « Les gens se demandent souvent comment quelqu’un qui fait autant de fautes peut être un communicant, alors qu’en vérité, ce n’est pas le plus important ! En communication, il faut surtout avoir des idées, et un dyslexique est par nature créatif. »

Si les personnes dyslexiques ont la vie dure dans le monde professionnel, c’est parce que celui-ci ne leur est pas adapté. Par l’incompréhension que suscite leur handicap et la place centrale qu’occupe injustement l’écrit à l’école puis au travail, ils peinent à exprimer leur potentiel et à être reconnus. Mais des solutions existent : si les entreprises et employés fournissent un cadre favorable, tout le monde peut être gagnant.

Pour Raphaëlle, le choix de carrière est encore plus important lorsqu’on est dyslexique : « La persévérance, c’est la clé du succès. C’est pour ça qu’il faut bien s’informer et savoir ce qu’on veut faire, mais aussi être conscient que ce ne sera pas facile et qu’il faudra s’accrocher. » Mais pour Léon, la solution, bien qu’un brin utopiste, serait surtout de « démystifier l’orthographe en entreprise. »

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Photo d’illustration by WTTJ