82% des parents pourraient changer d’entreprise pour plus de soutien à la parentalité

12 sept. 2024

5min

82% des parents pourraient changer d’entreprise pour plus de soutien à la parentalité
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Olivia Sorrel Dejerine

Journaliste indépendante

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En 2023, 77 % de parents travailleurs jugent difficile de concilier travail et parentalité, selon une étude de The Boson Project, un cabinet de conseil spécialiste de l'engagement au travail. Longtemps délaissé, le sujet prend de l’ampleur avec d’un côté des collaborateurs et collaboratrices plus exigeants, et de l’autre des entreprises qui ont tout à y gagner. Tour d’horizon.

« Comme beaucoup de personnes je ne savais pas du tout à quoi m’attendre en reprenant le travail après la naissance de mon enfant. Je pensais naïvement que j’allais reprendre un peu comme après un retour de vacances… Je me suis trompée » raconte Amandine Gicquel, ex-avocate, aujourd’hui coache en reboarding maternel. « Après le premier tsunami de la naissance, ça a été un deuxième tsunami. Je culpabilisais de laisser mon enfant à une femme quasi-inconnue toute la journée, et je culpabilisais de “devoir” partir à 18h même si je bossais deux fois plus qu’avant » se souvient-elle douloureusement. « Tout me paraissait infaisable, je manquais de soutien dans mon cabinet… J’ai vécu cela comme une vraie injustice. »

Gestion du temps, culpabilité, séparation avec le bébé, fatigue voire dépression… En 2024, 1 femme sur 2 estime que le retour après un congé maternité est difficile. En 2023, selon le site des Parents Zen, 82 % des parents salariés déclaraient être prêts à changer d’entreprise pour plus de services parentalité. Aujourd’hui, les travailleurs veulent une meilleure prise en compte de la parentalité au travail. Et les choses bougent : des structures se développent pour aider les employeurs à mieux gérer la parentalité et accompagner leurs salariés, et des coachs spécialisés se saisissent du créneau, comme Amandine Gicquel.

Accompagner les parents et les entreprises

Depuis qu’elle s’est lancée en 2022, Amandine Gicquel a coaché une centaine de femmes avant, pendant et après la naissance au moment du retour au travail. « Je les aide à retrouver l’épanouissement, de la sérénité face à un sentiment d’échec, et à se reconnecter à leur force durant cette période charnière », explique-t-elle.

Comme Amandine, c’est aussi via leurs vécus personnels que Mathilde Tréhu et Émilie Rozand ont lancé NID/E en 2021, un incubateur de parentalité pour les entreprises et les futurs parents. « On a vécu une bonne claque à l’arrivée de nos enfants, on s’est rendues compte qu’on était préparées au jour J, mais pas à l’après », explique Mathilde Tréhu, qui travaillait dans un grand groupe de Cosmétiques jusque fin 2020. « Ça bouleverse au niveau de l’intime mais aussi dans le retour au travail, ce n’est pas un retour à la normale, tu as changé, tu vis une transition identitaire et il manque un accompagnement à cette transition. »

Au départ, NID/E accompagnait majoritairement les jeunes mamans, mais très vite les fondatrices ont réalisé que pour résoudre ce problème systémique, il fallait surtout embarquer les entreprises. « On voulait s’assurer qu’il y ait une co-responsabilité avec d’une part le travailleur mieux préparé, d’autre part l’entreprise qui met des choses en place », explique Mathilde Tréhu. Aujourd’hui NID/E propose aussi de former et de sensibiliser les RH, les responsables RSE et les managers. « Les managers sont en première ligne de tous ces sujets de parentalité, or beaucoup manquent de connaissances sur le cadre légal, sur les enjeux, sur quelle posture adopter… », note l’entrepreneuse. Et ça se ressent : 41% des parents travailleurs ne se sentent pas ou pas assez soutenus par leurs managers.

Un sujet qui prend de l’ampleur

Si des acteurs émergent pour accompagner les entreprises, ces dernières comprennent de plus en plus l’importance de devenir plus “family-friendly”. « Le sujet prend de l’ampleur, car les employés sont de plus en plus demandeurs », assure Françoise Cardoso, présidente de l’association française Be Family dont l’objectif est d’encourager les entreprises à développer des politiques familiales. En 2022, 99 % des salariés estiment que l’accompagnement à la parentalité doit faire partie intégrante de la politique RH de l’entreprise, selon une étude du cabinet de conseil Aparentière.

C’est notamment devenu un vrai enjeu pour les jeunes générations. « La Génération Z (18-24 NDLR) valorise davantage l’équilibre pro-perso. Les précédentes générations pensaient “qu’il fallait souffrir et attendre de progresser” : on n’accepte plus ça aujourd’hui, » détaille l’étude Travail & Parentalité de The Boson Project de 2023. « En entretien, les 20-30 ans demandent clairement quelles sont les politiques d’inclusion, quels sont les jours de télétravail, etc. Le sujet se démystifie donc les entreprises ont conscience qu’elles doivent faire quelque chose », précise Françoise Cardoso « La parentalité est aujourd’hui un levier qui permet de retenir les talents » abonde Mathilde Tréhu. « C’est devenu un sujet central depuis la pandémie de Covid car la frontière est de plus en plus poreuse entre vie pro et vie perso. »

Au-delà des exigences des travailleurs, pour les entreprises c’est aussi un moyen d’avoir des salariés plus performants. « Un parent soutenu, heureux et qui dispose d’une flexibilité est plus efficace et créatif, » rappelle Françoise Cardoso.

L’importance d’inclure le co-parent

Si la parentalité complique l’articulation vie pro-vie perso, les femmes restent les plus impactées, avec une répartition du travail parental qui leur reste très défavorable. Un chiffre parmi d’autres pour l’illustrer : 85 % des rendez-vous médicaux pour les enfants sur Doctolib sont pris par les mamans par exemple. Elles ont davantage recours au temps partiel après une naissance : 31 % des femmes vs. 3 % des hommes. Et cette réduction impactent leurs salaires et leur évolution de carrière. En France, en 2023, 5 ans après l’arrivée d’un enfant, une femme a une baisse de revenu de 20 %. Les hommes gagnent 5 % de plus.

Ainsi, pour ces nouvelles structures d’accompagnement, inclure le co-parent dans le processus est fondamental. « Depuis le début, on se dit que le sujet dépasse le féminin, et on cherche à comment on peut impliquer les hommes car leur rôle est ultra précieux » explique Mathilde Tréhu. « Quand ils prennent leur congé paternité, la claque est moins forte, les femmes sont plus soutenues, moins seules, et la répartition des tâches moins disproportionnée. »

Depuis juillet 2021, le congé paternité est passé de 11 à 28 jours en France. « Malgré cet allongement, très peu d’hommes le prennent complètement, ou quand ils le font, c’est en décalé, à côté de vacances pour que ça se voit le moins possible », explique Françoise Cardoso. « Pour nous c’est un enjeu clé, on veut en faire un sujet de prédilection, on souhaite comprendre pourquoi le congé paternité reste compliqué pour les hommes. Est-ce que c’est parce qu’ils n’osent pas ? Parce que leur carrière passe d’abord ? »

Inclure le co-parent permettrait de réduire les inégalités due à la pénalité maternelle. Un concept qu’a notamment démontré l’économiste américaine Claudia Goldin, prix Nobel d’économie 2023. Via ses recherches, elle a montré comment la maternité creuse les inégalités de genre au travail. Une de ses recommandations, c’est plus de flexibilité dans le travail.

Valoriser les compétences des parents

Les politiques plus favorables envers la parentalité sont-elles pour autant le nouveau “must-have” ? « On en est encore loin, cela reste plutôt un ‘nice to have’ pour les entreprises, même si de plus en plus s’y intéressent », estime Mathilde Tréhu. Un constat que partage Lucille Wattraint, fondatrice de Juners, qui accompagne depuis 2023 les entreprises vers une politique parentalité impactante : « Certaines comme Danone, Mustela, Nestlé vont plus vite, mais d’autres entreprises pas forcément dans le domaine de l’enfance montrent également un intérêt car elles sont confrontées à des problèmes concrets. »

Et puis parfois, malgré les bonnes volontés, les fossés sont profonds entre les politiques proposées et les réels besoins des collaborateurs. C’est ce qu’a constaté l’association Be Family qui réunit d’un côté les pros de la parentalité, de l’autre les entreprises ayant envie de faire bouger les choses, pour partager des pratiques inspirantes, évaluer la maturité d’une entreprise sur le sujet, et l’aider à progresser. « Un de nos jobs c’est d’interroger les deux bords, et d’identifier certains écarts », explique Françoise Cardoso. « On a par exemple eu le cas d’une entreprise qui réservait des places en crèches, alors que ses salariés n’en avaient pas besoin ! Ils ne communiquaient juste pas. »

Lucille Wattraint alerte aussi sur “l’effet paillette”. « Il ne suffit pas de faire un événement “family-friendly” une fois dans l’année. L’entreprise doit mettre en place un cadre concret. » Pour s’assurer de cela, l’association Be Family, dont Lucille Wattraint est une des auditrices, a aussi mis en place le label “Be Family” qui reconnaît les actions des entreprises et les aident à s’améliorer dans le temps.

Et puis, pour aller plus loin encore, certains envisagent dans le futur qu’un “bonus à la parentalité” pourrait remplacer la pénalité maternelle. « L’idée du bonus à la parentalité, c’est valoriser les compétences développées par les parents », explique Mathilde Tréhu. « Car l’empathie, la patience, la remise en question, ce sont des compétences que certaines personnes peuvent prendre 15 ans à développer dans le monde professionnel… » Des soft-skills hyper précieux pour les entreprises, et sur lesquelles il est important de capitaliser, abonde Françoise Cardoso.


Article écrit par Olivia Sorrel Dejerine, édité par Clémence Lesacq, photo : Thomas Decamps pour WTTJ

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