Records du RN : « Le travail, plus que jamais, sera un terrain d'oppression »
05 juil. 2024
3min
« Je suis blanche, avec tous ces noirs, vous croyez qu’on n’a pas peur ? » Ces mots violents, récemment prononcés par Françoise Herbeau, patronne de l’entreprise de nettoyage HNET, alors que ses employés en grève dénoncent leur exploitation, ne sont qu’un exemple parmi une myriade sur les réseaux sociaux. Depuis les victoires électorales du Rassemblement National aux Européennes et au premier tour des législatives, les insultes racistes et LGBTophobes se multiplient dans l’espace public. Une situation qui alerte Marie Dasylva, à la tête d’une entreprise qui soutient et accompagne les victimes de discriminations depuis sept ans. Cette dernière craint logiquement de voir le monde du travail envahi par une stigmatisation décomplexée et nous enjoint à rester debout et unis.
Depuis les résultats des élections européennes, Médiapart recense plus d’un événement raciste par jour en France… T’inquiètes-tu de voir la sphère professionnelle également touchée par une hausse des agressions et discriminations ?
Je suis très inquiète. Ce dimanche, nous pourrions élire un parti qui cherche à instaurer une préférence nationale. Mais attention à l’écueil de penser que la France est devenue raciste du jour au lendemain. Il existait déjà une préférence nationale, elle était simplement moins « assumée ». Par exemple, on sait très bien qu’une personne portant un nom à consonance maghrébine a un tiers de chances en moins d’être rappelée par un recruteur.
En revanche, la France est devenue ouvertement et officiellement raciste depuis ces dernières élections. La dernière digue a sauté. Ce changement de paradigme aura évidemment de graves conséquences sur le monde du travail, quels que soient les résultats du second tour ! On ne peut pas ignorer les 12 millions de Français qui n’ont pas choisi la justice sociale et qui continueront d’exister parmi nos proches, nos collègues, etc. Comment se remettre de cela ? Le travail, plus que jamais, sera traversé par des enjeux d’oppression.
Les personnes minorisées et déjà fragilisées doivent-elles s’attendre à l’être encore plus ?
Toutes les minorités ont raison d’être fébriles, car le Rassemblement National pourrait mettre en place des politiques désastreuses, aux conséquences très concrètes dans leur vie. Elles pourraient impacter le droit du travail, le Défenseur des droits, la manière dont on identifie, traite et punit les discriminations en entreprise. Sans compter que les agressions racistes, sexistes et LGBTophobes qui étaient auparavant implicites vont devenir explicites. Ça fait mal au cœur de le dire. La discrimination n’est ni plus ni moins qu’un projet d’empêchement ciblant certaines populations, et le RN, anciennement FN, a toujours cherché à hiérarchiser l’humanité, et ils le feront. Par ailleurs, je crains que toutes les tentatives d’auto-défense et de défense collective soient attaquées de manière radicale, ce qui empêcherait la lutte des travailleurs.
Quelles tentatives de défense allons-nous perdre selon toi ?
Si le parti de Jordan Bardella arrive au pouvoir, je me demande si nous pourrons encore nous mobiliser pour nos droits, comment seront traitées les discriminations, comment ce parti va dégouliner dans les instances qu’on a pour habitude de saisir quand on est victimes dans notre travail et notamment les Prud’hommes…
On imagine que devoir se battre pour rappeler son humanité, faire évoluer la société, puis subir ces retours de bâton peut être épuisant… Les personnes qui luttent et se mobilisent pour leur droit risquent-elles de se résigner dans le cas d’une majorité à l’extrême droite ?
Bien sûr que l’épuisement est de mise, mais le choix est très clair entre être épuisé de lutter ou mourir. On lutte pour rester en vie, pour rester digne, pour le futur que l’on souhaite offrir. Et effectivement, ça abîme. Mais mieux vaut cela plutôt que la mort qui nous attend si on baisse les bras. Je parle évidemment de la mort physique, car on peut s’attendre à une augmentation des violences policières sous un gouvernement d’extrême droite, mais aussi à la mort de l’estime de soi et à la mort de la projection qui est un vrai risque. Quand une personne ne se projette plus dans la société, elle n’arrive plus à vivre.
Tu es habituée à coacher des victimes de discriminations, que conseillerais-tu aux personnes particulièrement exposées et anxieuses du futur en ce moment ?
Je leur dirais qu’il est nécessaire de trouver des espaces pour se ressourcer et lutter. Qu’ils ne doivent pas s’abandonner et surtout s’entourer, ne jamais perdre de vue la mobilisation collective. Jamais, jamais, jamais ! En tant que coach, je suis une ambulance qui vient à la rescousse d’individus, mais il faut d’abord soigner le collectif pour qu’il n’y ait plus besoin d’ambulances par la suite.
En rejoignant des syndicats par exemple ?
Absolument. Et en continuant de parler de ce qu’on traverse en tant que minorités, de parler de politique, même au travail ! Les entreprises ne sont pas des espaces suspendus, elles sont traversées par les mêmes réalités que la société civile, et tout peut, par conséquent, faire l’objet d’une conversation à la machine à café. Il est difficile de parler de ce que l’on subit en tant que minorité, mais c’est primordial de le faire. René Char disait : « Il faut parler sinon ils nous tueront dans le silence. Et ils diront de nous une fois morts, qu’ils ont consenti ». Cela veut bien dire que face aux inégalités et aux violences que l’on subit, la parole coûte cher, mais le silence est mortifère.
Article écrit par Gabrielle Predko, édité par Mélissa Darré, photographie par Thomas Decamps
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