Écriture inclusive : pour ou contre son utilisation dans les offres d'emploi ?
10 oct. 2022
5min
Photographe chez Welcome to the Jungle
Journaliste. En charge de la rubrique Futur du travail chez Alliancy.fr. Co-autrice du livre “Ils font l’économie : 40 parcours d’entrepreneurs audacieux” - Éditions De Boeck.
C’est un sujet clivant qui attire comme un aimant les formules définitives, les raccourcis et les positions « ultras ». Pourtant l’écriture inclusive ne se résume ni au point médian, ni à un chiffon rouge politique. Il est donc temps d’en débattre (dans le calme) avec deux experts en recrutement : Caroline Therwath-Chavier, PDG de The Allyance et recruteuse Tech, et Eric Gras, Head of Talent Intelligence et Brand ambassador chez Indeed.
Au début de l’été, une annonce de « Testeur manuel / automatisé - F/H » était publiée sur le site d’une grande ESN (Entreprise de Services du Numérique) française. Première phrase de l’annonce : « Dans un souci d’accessibilité et de clarté, l’écriture inclusive n’est pas utilisée dans cette annonce. Les termes employés au masculin se réfèrent aussi bien au genre féminin que masculin ». Quelques mots qui en disent long : sur l’importance du sujet, sur la difficulté de s’en saisir… mais aussi sur la rapidité avec laquelle on peut commettre des maladresses. Car la phrase, sans doute pleine de bonnes intentions, envoie surtout le message : « On n’a pas réussi à choisir et on trouve que le point médian c’est moche, mais on y a pensé quand même ».
Alors, employer l’écriture inclusive dans les offres d’emploi et sur tous les supports de la marque employeur en général (site de l’entreprise, publications sur les réseaux sociaux professionnels…), est-ce une bonne idée ? Une pratique progressiste qui change les mentalités ? Ou un focus réalisé au détriment d’autres causes ?
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Caroline Therwath-Chavier est « pour »
L’écriture inclusive ne se réduit pas au controversé point médian
Un rappel, pour commencer : l’écriture inclusive ne vous contraint pas à parsemer vos textes de points ou de tirets. Le manuel d’écriture inclusive, publié par l’agence de communication d’influence Mots-Clés, rappelle que l’on peut « user du féminin et du masculin, que ce soit par l’énumération par ordre alphabétique, l’usage raisonné du point médian, ou le recours aux termes épicènes ». Exemples : « le candidat ou la candidate », « la personne recherchée »… Dans d’autres langues comme l’anglais, la tâche est simplifiée. « L’anglais, qui connaît déjà le genre neutre, utilise également l’arobase ou le x pour désigner un groupe de personnes ou le genre non-binaire (womxn, par exemple) », relève Caroline Therwath-Chavier. En portugais, espagnol et italien, sont apparus l’astérisque, l’arobase, la lettre x et, plus souvent, la terminaison a/o (a représentant le féminin et o le masculin). « En Allemagne, die Geschlechtergerechte Sprache (littéralement “langue d’équité entre les sexes”, ndlr) est en place. Au Québec, les métiers et fonctions sont féminisés depuis plusieurs dizaines d’années. »
Un signal qui attire davantage de candidates
Lorsqu’on demande à quelqu’un de citer spontanément de grandes figures littéraires, on constate que la personne interrogée nomme deux fois plus de femmes lorsque la question est posée de manière inclusive : « Citez deux écrivains ou écrivaines célèbres ». Dans le même ordre d’idée, une offre d’emploi qui utilise la formulation inclusive va appeler davantage de candidates, affirme Caroline Therwath-Chavier. Et c’est bien tout l’objectif d’une annonce : ouvrir largement l’entonnoir. « Le descriptif de poste est la toute première façon de communiquer avec les candidats et candidates. Lorsque vous notez “directeur commercial” dans l’intitulé de poste, vous imaginez bien que vous orientez vos lecteurs, même en ajoutant le H/F réglementaire juste après. Une femme se demandera si elle est bien attendue sur un poste de directeur commercial. L’écriture inclusive vous permet de “dé-biaiser” d’emblée cette situation. »
« Une offre d’emploi qui utilise la formulation inclusive va appeler davantage de candidates. »
Un bon levier pour engager le débat de fond
L’écriture inclusive pose le décor, elle donne le « la ». Elle fournit une indication sur votre culture d’entreprise et permet donc aux équipes de recrutement d’introduire un paragraphe sur vos pratiques en matière d’égalité et votre approche de la diversité, qu’il s’agisse de genre, d’âge, de handicap, d’orientation sexuelle…
Pour Caroline Therwath-Chavier, poser la question de l’écriture inclusive à ses clients est l’occasion de les interroger en profondeur sur leurs pratiques. C’est presque un prétexte – vertueux ! « L’écriture inclusive fait partie de mon arsenal d’outils pour aborder la politique RH de l’entreprise. Là où le bât blesse, c’est qu’on la réduit souvent à une revendication féministe, parfois uniquement par fainéantise intellectuelle. En ce qui me concerne, lorsque j’ai lu un livre entièrement rédigé en écriture inclusive – Les oubliées du numérique, par Isabelle Collet –, j’en ai trouvé la lecture très agréable et cela m’a ouvert l’esprit. »
Parmi les entreprises conseillées par Caroline, Doctolib a adopté l’inclusif et va même plus loin, en s’ouvrant aux personnes non-binaires ou trans, avec le « x ». « Ne prenons pas trop de retard par rapport à nos amis italiens, allemands ou canadiens, conclut Caroline Therwath-Chavier. Les sujets de recrutement sont directement liés à la performance économique. »
Eric Gras est « contre »
Les compétences avant tout
Au contraire de Caroline Therwath-Chavier, Eric Gras déconseille à ses clients d’employer l’écriture inclusive dans leurs annonces : il estime qu’il vaut mieux rester focalisé sur les seules compétences liées au poste. « Pour moi, une offre d’emploi c’est un métier, des compétences, un salaire. Quelle que soit la personne que nous sommes. C’est tacite. Si l’on insiste sur la diversité de genre avec l’écriture inclusive, alors pourquoi ne pas parler d’âge ou de handicap ? Même si cela part d’un bon sentiment, pour ma part je préfère mettre l’accent sur les aptitudes des candidats, leur savoir-faire et formation… Cela me paraît plus juste. »
Avec l’écriture inclusive, gare au politiquement correct
Autre argument avancé par Eric Gras : la pertinence. « Il y a déjà en France l’obligation de faire apparaître la mention H/F : pour moi c’est suffisamment clair. L’écriture inclusive me semble redondante. Mieux vaut une petite phrase qui affirme que l’entreprise est inclusive et qui présente ses valeurs en quelques mots. D’autant que l’écriture inclusive fait courir à l’employeur le risque du “politiquement correct”. Les candidats peuvent avoir l’impression d’un habillage marketing. D’après toutes nos études d’opinion, les femmes sont plus attentives à la façon dont elles sont reçues en entretien d’embauche qu’à la rédaction des offres d’emploi. » L’A/B testing chez Indeed indique que les annonces rédigées en écriture inclusive ne drainent pas davantage de candidates. Mais aux recruteurs et recruteuses voulant adopter tout de même cette pratique, Eric Gras déconseille l’usage du point médian, « fatiguant pour l’œil, particulièrement sur smartphone où se fait 60 % de notre trafic… sous peine de faire grimper le taux de rebond ».
« Si l’entreprise s’en tient à une vitrine, sans une réelle culture d’égalité, cela va se voir très vite. »
Le juste reflet des pratiques culturelles de l’entreprise
Dans le groupe Indeed - Glassdoor, on recommande aux organisations de réserver à leur page d’entreprise, hébergée par la plateforme, les « éléments de preuve » en matière d’inclusion et diversité : vidéos, chiffres, photos montrant des profils différents… « Les candidats aujourd’hui sont beaucoup plus curieux qu’avant, reprend Eric Gras. Et ils ont accès à bien plus d’avis collaborateurs, notamment chez les cadres. Si l’entreprise s’en tient à une vitrine, sans une réelle culture d’égalité, cela va se voir très vite. »
L’offre d’emploi est la façade de l’entreprise. Quoi que vous choisissiez de mettre en vitrine, nos deux experts sont d’accord sur ce point : il faut qu’elle soit le juste reflet de vos pratiques culturelles. « Le premier critère de discrimination entre hommes et femmes est toujours le salaire, conclut Eric Gras. Or chez nous, seuls 20 % des offres annoncent un niveau de rémunération. D’ici la fin de l’année, nous allons donc encourager tous nos recruteurs à mentionner le salaire correspondant au poste. Nous prenons ainsi un coup d’avance sur une directive européenne en cours de vote pour imposer la transparence des salaires. »
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Article édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ
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