Monter sa boîte en 2020 : mais qui sont ces entrepreneurs de la crise ?
26 janv. 2021
7min
Photographe chez Welcome to the Jungle
En 2020, malgré la crise, la création d’entreprises a augmenté de 4 % par rapport à 2019. Qui sont ces porteurs de projet qui ont osé se lancer malgré la sinistrose ? Ont-ils eu raison de faire ce pari fou alors que la tempête est loin d’être terminée ? Salarié.e.s, chômeurs ou au foyer, tous ont lancé leur boîte pour des raisons très personnelles, entre réelle quête de sens, besoin de gagner sa vie et opportunisme. Tous sont convaincus que c’était maintenant ou jamais, malgré - ou grâce ?- à la crise.
« Ce n’est jamais le bon moment ! Mais quand c’est viscéral, ça vaut le coup de prendre des risques ! » À 38 ans, Octavie Barbet a créé sa boite de coaching en novembre dernier. Comme d’autres, la Nantaise a décidé de devenir chef·fe d’entreprise… en temps de crise. Selon les chiffres de l’INSEE publiés le 15 janvier, 848 164 nouvelles entreprises ont vu le jour en 2020, contre 815 257 en 2019, soit une augmentation de 4 %. Sur les trois derniers mois, le chiffre bondit même à 16,3 %. « La crise n’a en rien freiné les velléités de créations d’entreprises. On remarque juste que certains prennent plus de temps parce qu’il est sans doute encore un peu tôt pour s’immatriculer », observe Arnaud Simon, responsable du département services aux entreprises à la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) de Paris.
Devenir créatrice de cabanes en carton, fleuriste, coach… À l’heure où de nombreux secteurs luttent pour leur survie, et où les petits commerces encaissent la valse des confinements et reconfinements, qui sont ces néo-entrepreneurs impatients ? Pour Anne-Claire Loaëc, 37 ans, le premier confinement a été un accélérateur. Cette Rennaise d’adoption a transformé sa micro-entreprise d’événementiel Bonjour Chaton en EURL, Palpite, un lieu destiné au coworking, à l’événementiel et à la location d’espaces. « Au premier confinement, j’ai essayé de réfléchir à des événements, de prendre des contacts pour Bonjour Chaton… Déconfinée, j’ai compris que ça n’allait pas repartir. » Déterminée à ne pas mettre sa vie sur pause, cette ancienne journaliste a décidé de lancer ce projet de lieu, laissé jusqu’alors dans les cartons. La suite est un concours de circonstances. « J’ai rencontré la responsable d’un espace de coworking qui a décidé, lors du confinement, de cesser son activité. Je l’ai reprise. Sans la crise, je ne me serais pas lancée cette année », résume-t-elle.
Quête de sens
“J’avais besoin de me sentir exister par moi-même. C’était un élan vital.”
Et Anne-Claire n’est pas la seule. Pour beaucoup de ces patrons du cru 2020, le premier lockdown aura été crucial. « Ceux qui étaient salariés ont réalisé qu’ils n’étaient pas bien dans leur boulot, rembobine Antonella Villand, fondatrice de macreationdentreprise.fr. Certains se sont rendu compte qu’ils exerçaient un bullshit job : en chômage partiel durant des semaines, le bureau a continué à tourner sans eux, ils ont compris qu’ils ne servaient à rien ! D’autres se sont sentis revivre, pas de stress, plus de fatigue. Alors qu’ils allaient au travail les dents serrées, ils ont compris qu’ils avaient besoin d’un meilleur équilibre de vie. » Salariés déçus, ils ont lancé leur activité. Objectif : être enfin alignés avec leurs aspirations profondes, en quête d’un travail qui fera sens.
Octavie, la désormais coach, sentait depuis un bout de temps qu’elle n’était plus à sa place dans son costume de commerciale. « Le confinement a été un déclic : j’ai pris conscience que ce temps de pause offert était une occasion de faire le point sur ce que je voulais vraiment. Pendant plusieurs années, j’étais aidante auprès de ma maman atteinte de la maladie d’Alzheimer. Quand elle est morte, j’ai fait un burn-out émotionnel. Le coaching s’est imposé à moi comme un instinct de survie, j’avais besoin de retrouver ce rôle d’aidant. »
Plus au Nord, Stéphanie Bertier évoque ce même allant viscéral. « J’allais mal physiquement et moralement. J’avais besoin d’autre chose que de m’occuper de ma famille et de ma maison, j’avais besoin de me sentir exister par moi-même. Je souffrais d’acouphènes et je n’arrivais plus à y faire face. Mon entreprise, c’était ma solution. C’était un élan vital. » En septembre dernier, elle montait son concept “Le Temps des cueillettes” et commençait à vendre ses bouquets dans plusieurs boutiques. À bientôt 40 ans, ancienne salariée fleuriste, elle pouvait enfin faire les choses autrement. « Hors de question de retravailler dans des boutiques où les fleurs arrivent du bout du monde. Je ne travaille qu’en circuit-court, avec des fleurs qui viennent d’ici », explique la parisienne repentie, installée à Jullouville (Manche) depuis 3 ans. Un projet qui s’inscrit dans l’ère du temps : « développement durable, circulation douce et convivialité sont des tendances qu’on observait déjà avant la crise », commente Arnaud Simon de la CCI de Paris.
Créer son propre emploi
Si la quête de sens est un levier, le pragmatisme aussi. Au chômage, en pleine crise, créer son job se révèle parfois une solution sérieuse. « Actuellement, beaucoup de demandeurs d’emploi créent leur propre activité. C’est souvent le cas quand on est dans une logique de chômage de masse », précise Arnaud Simon. C’est vrai pour Cédric Marchand, 34 ans, prestataire vidéo. « J’étais au chômage depuis septembre 2019, personne ne répondait à mes candidatures. Le confinement est tombé et on a appris avec ma compagne qu’on attendait un bébé. J’ai su que c’était le moment ou jamais, résume-t-il. Le confinement m’a permis de faire décanter ce projet dans la vidéo, ma passion depuis toujours. Avant, je cherchais du travail. Après, j’étais à 100 % dans la création de ma boîte. » Le fils de Cédric est né le 4 novembre, son entreprise Wandermoov le lendemain. « Avec cette naissance, la crise, le chômage, je ne pouvais plus attendre qu’on vienne à moi. Je devais prendre mon destin en main. »
À 50 ans, Joëlle Zagoury aussi a inventé son propre métier. Cette décoratrice de théâtre et comédienne a préféré, après un congé parental, courir l’aventure entrepreneuriale plutôt que les castings. Dans un coin de sa tête, une idée innovante : une cabane en carton pliable et dépliable (par un enfant), à ranger derrière une porte. Presque comme un test, la parisienne a lancé une campagne de crowdfunding, épaulée par ses frères et sœurs. Le 1er avril 2020, la micro-entreprise Ma Cabane derrière la Porte naissait. « Confinement ou pas, on ne pouvait plus arrêter à ce moment-là. On avait pris des engagements auprès de ceux qui avaient acheté des cabanes sur Ulule. » Restait à trouver un fabricant de carton qui répondait au cahier des charges et qui prenait des commandes malgré le confinement, une gageure. Enfin, la production a débuté en septembre. « Début décembre, on était en rupture de stock. Il a fallu relancer une production avant Noël. Je n’ai pas encore de recul mais il est certain qu’on va continuer », veut croire Joëlle.
Des risques oui, mais mesurés
Cédric, Octavie ou Joëlle : tous ont choisi Internet et l’activité à domicile. Un bon moyen de limiter les risques. « Beaucoup de projets ont actuellement la caractéristique commune d’être à faibles coûts fixes, sur Internet, sans bureau, sans local, sans salarié. L’activité est alors tout à fait gérable car elle ne coûte pas chère », confirme Antonella Viland de macreationdentreprise.fr. Selon les chiffres de l’Insee, sur les douze derniers mois, les créations d’entreprises individuelles ont progressé de 5,6 %, tandis que les formes sociétaires sont en très légère régression. En 2020, les entreprises individuelles, plus simples à monter, plus faciles à gérer, représentent ainsi 74, 3 % des créations. Un chiffre qui pourrait encore croître si le chômage poursuit sa hausse dans les mois à venir.
“Tout ce qu’on a développé en matière de vidéo va perdurer. C’était le bon créneau pour lancer cette activité.”
Chez ces néo-entrepreneurs, personne n’est dupe : 2020, année si spéciale, a favorisé leur lancement. « Les gens ont passé beaucoup de temps en ligne et cela nous a permis de nous faire connaître sur Facebook et Instagram » analyse Joëlle. Du côté de Cédric, le vidéaste parisien, ce sont les transformations post-Covid qui pourraient lui être profitables. « Je crois à la relance en 2022 et au support vidéo pour cette reprise. Tout ce qu’on a développé en matière de vidéo va perdurer. C’était le bon créneau pour lancer cette activité », assure-t-il. Et il pourrait bien avoir raison. « Le monde d’après ne reviendra pas complètement en arrière », avance Arnaud Simon de la CCI. « Toutes les nouvelles activités liées au télétravail ou à la livraison à domicile sont effectivement des opportunités sérieuses. » Ce qu’illustrent les derniers chiffres publiés par l’INSEE. Le nombre d’entreprises lié aux transports et entreposage, dont la livraison à domicile fait partie, a grimpé de 21,7 % en 2020. Rien de neuf toutefois, le secteur est en plein essor depuis plusieurs années et affichait en 2019 déjà une hausse de 24,8 %.
La crise à profit
Et si, pour d’autres, la crise avait été un vrai bénéfice ? Yannick Trescos, docteur en pharmacie et chercheur, l’avoue en tout cas : « La Covid-19 nous a clairement fait changer de dimension. » En décembre, il a cofondé la SAS en économie sociale et solidaire ResilEyes, spécialisée dans la détection des traumatismes psychiques via les nouvelles technologies. Pour cet ancien militaire blessé au Tchad en 2007, victime d’un syndrome de stress post-traumatique, « c’est difficile à formuler ainsi, mais oui, la Covid a été une opportunité. » Alors que la prise en charge du syndrome de stress post-traumatique était vu comme « un marché de niche réservé aux militaires par les potentiels investisseurs », le coronavirus et les effets psychologiques liés à la crise sanitaire ont donné un coup de projecteur inouï en France aux problèmes de santé mentale. « Depuis septembre, la perception de notre projet a complètement basculé. Il a gagné en crédibilité. Des portes se sont ouvertes, on a pu trouver les partenaires et la trésorerie nécessaires pour fonder la société », raconte Yannick.
Pour Laura Driancourt, la crise est un argument supplémentaire pour convaincre les entreprises de faire appel aux services de conseil en diversité que proposera bientôt « La Féministerie », dont cette ancienne avocate fiscaliste est cofondatrice. La SAS, créée en juillet, propose depuis octobre des ateliers en ligne sur le féminisme et les minorités. Des ateliers qui marchent bien parce qu’« on propose aux particuliers ce qu’on n’a plus depuis des mois : des espaces de sociabilité. » Et concernant le volet entreprise : « On l’aurait lancé quoi qu’il en soit, explique la jeune parisienne de 28 ans. Mais avec la crise, en plus d’être allé beaucoup plus vite que prévu, on dit aux entreprises, études à l’appui : “Savez-vous que la diversité peut améliorer votre productivité et que la discrimination peut vous en faire perdre ?” La crise a fait pivoter notre discours. »
« Que des bonnes raisons de ne pas créer sa boîte »
Pour tous, il faudra en tout cas garder le cap, et, comme Arnaud Simon, croire au « rebond de l’économie ». Pour faire face aux mois difficiles, l’expert énumère les aptitudes essentielles à tout·e chef·fe d’entreprise : « la résilience, la pugnacité, la résistance au stress et la conviction, encore plus en temps de crise, que son projet est bon. Sinon, il n’y a que des bonnes raisons de ne pas créer sa boîte. » Rester optimiste demeurera fondamental. Être proactif également. « La crise sanitaire va faire beaucoup de tri entre ceux qui vont s’adapter et ceux qui vont juste attendre des jours meilleurs, pose Antonella Viland. « Tireront leur épingle du jeu ceux qui sauront mettre en place une combinaison résiliente de services en présentiel et en distanciel. » Pour l’heure, Stéphanie la fleuriste supporte enfin ses acouphènes et Joëlle est « fière à 50 ans, d’entreprendre en y mettant toutes ses valeurs ».
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Photos par Thomas Decamps pour WTTJ
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