Entreprises : stop aux diktats sur les millennials
24 juin 2021
3min
Autrice, consultante et conférencière sur le futur du travail, spécialiste de la productivité, de l’âge et du travail des femmes
Succédant aux « millennials », c’est désormais la « génération Z » qui est sous le feu des projecteurs. L’occasion de faire le point sur les jugements, pas toujours fondés, émis vis-à-vis des millennials et qui sait, de ne pas réitérer avec la génération suivante ?
Depuis 2020, les premier·e·s millennials – ces « jeunes » né·e·s à partir de 1980 – sont déjà quarantenaires. C’est peut-être pour cette raison qu’on en parle moins aujourd’hui qu’au milieu des années 2010. Eh oui, les millennials ne sont plus si jeunes et ils / elles ne sont pas vraiment différent·e·s des autres. Par ailleurs, les consultant·e·s et les journalistes lui préfèrent désormais la « génération Z ». Alors on s’interroge : quelle sera la prochaine lettre ? Ces jugements essentialistes liés à l’âge sont-ils inévitables ? Notre obsession pour la jeunesse n’est-elle pas paradoxale dans une société où les jeunes sont de plus en plus rares et où il faudrait plutôt s’intéresser aux vieux / vieilles ?
La pandémie l’a montré, le télétravail et les nouveaux modes de travail ne sont en rien l’apanage d’une génération. D’ailleurs, en la matière, les aspirations et les pratiques dépendent davantage de la situation de vie (parentalité, aidance…), du métier, du caractère « télétravaillable » de l’emploi, ou encore de l’origine sociale de la personne, que de l’âge. Pour vous aider à en finir avec les discours simplistes sur les générations et regarder l’âge autrement, nous publions aujourd’hui ce chapitre issu de notre livre 100 idées innovantes pour recruter des talents et les faire grandir (Vuibert, 2020).
Le livre Welcome to the Jungle
100 idées innovantes pour recruter des talents et les faire grandir
Les millennials : une bande à part ?
L’omniprésent concept de millennial a été créé à des fins marketing : chaque fois que nous nous réclamons de la nouvelle économie, de l’ère du numérique ou d’un quelconque bouleversement culturel, nous trouvons commode d’utiliser le mot millennial pour renforcer notre argumentation. L’émergence de toute une série d’expert·e·s qui répètent aux professionnel·le·s des RH que « les millennials sont différent·e·s » a fait de la cohorte floue des jeunes parvenu·e·s à l’âge adulte au 21e siècle le sujet le plus débattu de l’histoire du marketing.
L’exagération des différences entre les générations et la fiction d’une prétendue unité générationnelle ne constituent pas une nouveauté. Le phénomène trouve son origine au 20e siècle : depuis que Marlon Brando menait sa bande de motards dans les années 1950 (cf. le film L’Équipée sauvage), nous considérons la génération des jeunes adultes comme « l’autre » culturel. Avec l’arrivée des baby-boomers, les choses sont devenues sérieuses.
À chaque fois, c’est le même mécanisme : on qualifie le groupe de « différent », on lui attribue des caractéristiques précises, on lui donne de nouvelles idoles et on l’érige en signal du changement et du défi lancé aux marketeurs. Dans le cas des millennials, la logique de la cohorte a été poussée trop loin. Il est temps de cesser d’utiliser le concept pour tout et n’importe quoi. Les professionnel·le·s des RH ne devraient plus concentrer leur énergie sur les millennials pour quatre raisons :
Ils / elles ne représentent pas un segment déterminant
Un segment de marché n’est pas un groupe qui partage des caractéristiques démographiques communes, mais un groupe de consommateur·rice·s qui pensent et se conduisent de manière similaire. À moins de prouver avec certitude que des personnes du même âge pensent et se comportent différemment des autres, votre segment n’est pas un segment pertinent. Il n’existe pas suffisamment d’homogénéité entre ses membres. Certain·e·s sont pauvres, d’autres riches. Certain·e·s sont marié·e·s, d’autres célibataires. Certain·e·s aiment le sport, d’autres non.
Les millennials ne sont pas si différent·e·s que cela
Plusieurs études montrent que les millennials cherchent dans le travail tout ce que les autres recherchent aussi. Bruce Pfau le souligne dans un article de la Harvard Business Review intitulé « What Do Millennials Really Want at Work? The Same Things the Rest of Us Do » : « Un nombre croissant de preuves attestent que les salarié·e·s, quel que soit leur âge, présentent davantage de similitudes que de différences dans leurs attitudes et leurs valeurs. Dans la mesure où il y a des écarts, ceux-ci restent mineurs ; ils ont toujours existé entre les travailleur·euse·s jeunes et leurs aîné·e·s et ont peu à voir avec la génération des millennials en soi. »
Même s’il existe des différences, pourquoi s’aliéner tou·te·s les autres ?
Ceux / celles qui n’appartiennent pas à la catégorie des millennials se sentent discriminé·e·s. Pourquoi donner l’impression de n’accorder de valeur qu’à ce groupe ? L’âgisme engendre une pression injustifiée sur les salarié·e·s. Une étude de 2017 a effectivement révélé que 43% des salarié·e·s dans le secteur technologique craignent de perdre leur emploi compte tenu de leur âge. 18% s’en inquiètent « en permanence ».
Encourageons nos salarié·e·s à devenir adultes
Nous attribuons aux jeunes toutes les qualités que nous recherchons dans un collaborateur·rice – la créativité, la faculté de penser hors des sentiers battus, l’enthousiasme, l’esprit d’équipe… Mais en réalité, ces qualités ne dépendent pas de l’âge. Notre obsession de la jeunesse a atteint ses limites, constate Susan Neiman dans son livre Why Grow Up? Subversive Thoughts for an Infantile Age : « Nous avons créé un monde dans lequel grandir est une option que personne n’aurait raisonnablement l’idée de choisir. » Dans un article sur le livre, un journaliste commente : « Une culture qui regarde toujours en arrière, vers les joies de la jeunesse qui s’évanouit, trompe son monde : selon l’âge que l’on a, les “plus belles années” appartiennent à un passé de plus en plus lointain, ou se rapprochent trop vite. À l’inverse, dans une culture qui célèbre l’âge adulte, chacun les a encore devant soi – à moins d’être déjà en train de les vivre. »
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Photo par WTTJ
Article édité par Ariane Picoche
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