Entreprises 100% féminines : « On perd moins de temps à être dans l’ego »
16 mai 2024
5min
Dans une véritable démarche de sororité, certaines entrepreneures souhaitent n’embaucher que des femmes dans leur entreprise. Dans le même temps, certaines employées ne souhaitent travailler qu’avec des femmes. Une manière pour elles de trouver un environnement de travail bienveillant, où le plafond de verre n’existerait pas.
« On a envie de travailler avec des femmes. On a envie de mettre des femmes à des postes à responsabilité parce qu’à notre sens, c’est comme ça que le métier va évoluer. Alors que si on les laisse dans des postes plus inférieurs, elles ne se disent jamais que c’est possible. On est fières de ça. » C’est avec ces mots que la cheffe nouvellement étoilée Manon Fleury a exposé sa philosophie de recrutement dans la brigade de son restaurant parisien Datil. Face aux caméras de l’émission Envoyé Spécial, diffusée en mars dernier sur France 2, la cheffe a assumé de faire le choix de n’embaucher quasiment que des femmes dans ses cuisines – un seul homme fait partie de son équipe. Manon Fleury prône totalement la « discrimination positive » des femmes à l’embauche, et ne s’en cache pas. Le tout dans un milieu de la gastronomie encore excessivement masculin, où « MeToo n’est pas encore passé ».
Et au-delà de ses cuisines médiatisées, la cheffe n’est pas la seule. Comme elle, d’autres cheffes d’entreprises et entrepreneures revendiquent de n’embaucher que des femmes, ou encore de favoriser leur embauche. En ligne de mire : promouvoir l’empouvoirement au féminin. Une stratégie de « discrimination positive », qui, bien que controversée, se veut une réelle démarche de sororité, pour créer un espace où les femmes peuvent (enfin) s’épanouir professionnellement.
Échapper à l’ego masculin
C’est le cas de Céline Alix, avocate et autrice de « Merci mais non merci », dans lequel elle explique pourquoi les femmes brillantes quittent les entreprises. « Je ne bosse qu’avec des femmes. Au préalable, ce n’était pas une décision consciente, mais cela s’est fait naturellement. » Avocate d’affaires, elle fonde en 2011 Claritas, un cabinet de traduction, avec sept autres consoeurs. « On avait peut-être besoin de revenir dans un monde de femmes », continue-t-elle. Si ce n’était, à la base, pas une décision affirmée, l’avocate avoue que cela est agréable : « Et puis, c’est aussi en phase avec le monde dans lequel on vit, où l’on valorise enfin le travail des femmes dans certains secteurs originellement masculins. »
Pour certaines femmes, choisir de bosser avec des collègues exclusivement féminines peut alors être vu comme un moyen de réussir, sans devoir batailler deux fois plus qu’un homme. « Une entreprise féminine peut provoquer une certaine idée chez les femmes qui postulent : dans cet environnement, elles pourront se développer et s’épanouir », affirme ainsi Lucile Quillet, journaliste, spécialiste de la vie professionnelle des femmes et experte du Lab. Pour elle, travailler dans un environnement majoritairement féminin offrirait des avantages, notamment en échappant à une culture dominée par « l’ego masculin ». D’autant plus lorsque ces salariées évoluent dans des secteurs où les femmes sont sous-représentées. Or, dans un environnement 100 % féminin, ces dernières n’auraient plus forcément à se justifier et pourraient « se passer d’un homme providentiel ».
Une valeur ajoutée
Pour l’avocate Céline Alix, ne travailler qu’avec des femmes est « un entre-soi qui est très agréable. Sans vouloir généraliser, on est sur la même longueur d’onde, on a les mêmes préoccupations. » Mais aussi une certaine rigueur, certainement dûe au fait que les femmes, dès l’enfance, doivent batailler davantage pour réussir. « Les femmes aiment travailler, d’autant plus dans l’efficacité. Dans mon entreprise, tout est plus fluide, constructif… On perd moins de temps à devoir montrer de la force et de l’égo », affirme-t-elle. En effet, l’une des raisons principales de cette initiative est de créer un environnement de travail sûr et inclusif, où les femmes se sentent valorisées et soutenues.
Car dans de nombreux secteurs, les femmes subissent encore des injustices et formes de violences variées –selon l’INSEE, en 2022, le salaire moyen des femmes était inférieur de 23,5 % à celui des hommes dans le secteur privé –, du harcèlement sexuel, voire pire. Ainsi certaines femmes salariées vont, elles, spécifiquement postuler dans des entreprises à écrasante majorité féminine, afin d’échapper à des expériences douloureuses voire traumatisantes. « Elles peuvent rechercher un environnement safe où elles ne se font pas couper la parole, ou elles ne subissent pas de mansplaining, de blagues sexistes, où elles ne se sentent pas intimidées, où elles ne sont pas les seules femmes dans la pièce », analyse Lucile Quillet.
Une pensée que ne peut qu’approuver Élise (1), ancienne codeuse qui a débuté dans une entreprise spécialisée, et qui faisait office de seule femme dans son équipe. « On me confiait toujours les tâches censées être les plus simples, alors que j’étais la plus qualifiée », se souvient-elle. Elle évoque alors un environnement pas très sain, emprunt de « sexisme à l’état pur » : « Avec mes anciens collègues, tout ce que je disais était remis en question, alors que leur organisation était chaotique. Je pouvais passer une heure à expliquer à un collègue qu’il allait dans la mauvaise direction. Un temps que je ne perds plus aujourd’hui. »
Reconvertie dans le marketing digital, elle travaille désormais dans une entreprise de conseil en digital, créée par une femme, et dont l’équipe est composée à « 90% de femmes » selon ses dires. Ce qui était un choix. « Je ne voulais plus travailler sous l’égide d’hommes. Et je vois le changement. Aujourd’hui, travailler avec des femmes me rend beaucoup plus confiante. Je n’ai plus peur de prendre des initiatives, bien au contraire : ma patronne et mes collègues me poussent toujours à le faire, comme une manière de m’aider à progresser. »
En attendant la vraie diversité
Mais gare à l’essentialisation. Travailler avec des femmes n’est pas forcément une solution remède au bien-être au travail, ainsi qu’à l’évolution des perspectives de carrière. En témoignent de nombreuses enquêtes parues sur des entreprises dites « féminines », qui n’ont pas été exemptes de problèmes de management. À l’image de The Wing, espace de coworking à 100% féminin à New York, dont les créatrices ont été épinglées de la maltraitance envers certains de leurs employés –femmes et hommes. Du personnel d’entretien ou encore des réceptionnistes ont dénoncé leurs conditions de travail, mais aussi des salaires trop bas, des heures supplémentaires non rémunérées, ainsi que des faits de racisme ordinaire perpétués dans les locaux.
« Ce n’est pas parce des femmes restent entre elles qu’elles n’ont plus besoin de réfléchir au management, ou n’ont plus besoin de manager, assène Lucile Quillet. Nous ne sommes pas dans le monde des bisounours. Les conflits potentiels entre collègues existent toujours, et le management ne se fait pas tout seul », tance la journaliste. Les problèmes de gestion et de traitement du personnel soulignent la nécessité d’une réflexion continue, et surtout globale, sur le management et les relations de travail. Ceci entre collègues, mais aussi entre employeure et employée. Même refrain pour Céline Alix, pour qui « le monde du travail reste un monde où il faut que la boîte tourne. Il y a des exemples partout de boîtes où le management n’est pas génial. Mais le fait est que dès qu’une femme se plante, on la voit beaucoup plus car elle est une femme », soupire-t-elle.
Pour autant, ce phénomène de travail en non-mixité doit-il être permanent ? Pas sûr selon l’avocate : « Je vois ça comme une période où l’on a besoin de mettre un focus sur les femmes. Sur le fait qu’elles se serrent les coudes. Je suis sûre que ça va revenir au centre. » En adoptant une approche inclusive, respectueuse et éclairée, les femmes qui n’embauchent que des femmes ouvrent la voie à un avenir où chacun, indépendamment de son genre, peut prospérer et réussir. Car dans des secteurs où les femmes sont sous-représentées, leurs profils apportent à leurs entreprises la valeur ajoutée d’une vision différente. Selon une étude de Boston Consulting Group, « How Diverse Leadership Teams Boost Innovation » publiée en janvier 2018, les équipes diversifiées stimulent l’innovation, en favorisant un environnement où les idées novatrices sont encouragées, écoutées, et prises en compte.
(1) le prénom a été modifié
Article écrit par Christelle Murhula et edité par Clémence Lesacq - Photo Thomas Decamps pour WTTJ
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