Entretien : ils n’ont pas su flairer la vraie personnalité de leur futur N+1

28 oct. 2021

6min

Entretien : ils n’ont pas su flairer la vraie personnalité de leur futur N+1
auteur.e
Marlène Moreira

Journaliste indépendante.

Innocence, manque d’expérience, enthousiasme aveuglant… autant de raisons de passer à côté des “red flags” les plus flagrants lors d’un entretien d’embauche avec son futur manager. Et malheureusement, cette simple “négligence” peut avoir de grandes conséquences sur votre prise de poste qui pourrait s’annoncer… plus difficile que prévue. Cinq lecteurs ont partagé leur histoire avec nous et reviennent sur ces petits détails auxquels ils n’ont pas prêté attention en entretien, mais qui les auraient certainement dissuadé d’accepter un poste !

« Il a monopolisé la parole pendant tout l’entretien » - Thomas, chef de projet digital

Je venais juste d’avoir mon diplôme, et j’étais assez stressé à l’idée de passer des entretiens. Et notamment, de faire un faux-pas ou une boulette. J’ai rapidement été mis en contact avec celui qui est devenu mon manager. Il parlait beaucoup, vraiment. Mais sur le coup, j’étais très content de pouvoir me contenter d’acquiescer à tout ce qu’il disait ! Pendant près d’une heure, il m’a présenté son propre parcours, l’ambition de son équipe, sa vision du futur de l’entreprise, etc. Avec le recul, je réalise que je n’ai pas pu en placer une. Je me suis contenté de répondre à 5-6 questions au cours de l’entretien.

Après un dernier échange avec les RH, j’ai rejoint l’entreprise. Et c’est là que j’ai réalisé à quel point mon manager était centré sur lui. Il ne demandait le point de vue de personne, seuls ses idées et ses projets comptaient. Il avait une très haute estime de lui-même.

Je suis resté trois ans et j’ai (malgré tout) beaucoup appris à ses côtés. Mais par la suite, j’ai toujours été très vigilant à avoir un temps de parole équilibré pendant les entretiens. Et de manière générale, je réalise que la personnalité que l’on entrevoit sur notre interlocuteur pendant cet échange est souvent assez proche de la réalité.

« Il avait l’air très, très, très détendu » - Tristan, réceptionniste dans un hôtel

À l’époque, j’étais saisonnier dans l’hôtellerie-restauration. Lors de mon dernier entretien dans un hôtel, j’ai été reçu par un chef d’équipe très sympa et surtout, super détendu. Je me souviens même de l’avoir vu arriver avec les yeux rouges, explosés. Mais comme on était en plein mois de mai, je me suis simplement dit qu’il devait être allergique au pollen, comme moi.

Très rapidement, j’ai compris que j’avais été assez naïf ! En fait, il fumait d’énormes pétards derrière l’hôtel. La plupart du temps, il se contentait d’un ou deux (ce qui fait déjà beaucoup !) avant de commencer son service. Parfois, il en consommait également pendant ses pauses. Et le pire, c’est qu’il ne s’en cachait même pas ! Il mettait simplement un coup de Febreze avant de retourner à son bureau. Les premières semaines, j’ai trouvé ça plutôt amusant et j’ai même fumé avec lui de temps en temps, après le service.

Mais j’ai vite déchanté quand j’ai commencé à le soupçonner de fournir certains clients… Il y avait quelques habitués qui demandaient systématiquement à « lui dire bonjour » quand ils séjournaient à l’hôtel. J’ai compris que c’était le genre d’histoire qui pourrait vite créer des problèmes. L’univers de l’hôtellerie est un petit monde, je n’avais pas envie d’avoir la réputation d’être une « balance », alors je n’en ai pas parlé à la Direction. J’ai terminé ma saison, et quand j’ai cherché un travail dans la région l’année suivante, je me suis quand même assuré qu’il était parti avant de postuler. Et par chance, il n’était plus là. Coïncidence ? Sans doute pas.

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« On a passé la moitié de l’entretien à parler de surf » - Sarah, juriste

Le cofondateur de cette boîte m’a contactée sur LinkedIn, et on a rapidement pris rendez-vous autour d’un café pour parler de son projet. Il était très sympa, l’entreprise était toute jeune et recrutait ses premiers salariés. Il a tout de suite cherché à me mettre à l’aise en s’intéressant à mes hobbies alors on a discuté de notre passion commune pour le surf. Après plusieurs années dans un univers beaucoup plus formel, j’étais très contente de rejoindre un environnement qui me semblait plus authentique et épanouissant. Mais maintenant que je suis en poste, je réalise que la balance vie personnelle - vie professionnelle penche dans le mauvais sens…

Par exemple, quand les conditions météorologiques sont bonnes, mon chef est capable d’annuler une réunion et de quitter le bureau à 15H pour aller surfer. La rigueur et les horaires sont des concepts assez vagues chez lui. Le problème, c’est que ce laxisme est épuisant pour moi : les réunions avec lui durent des plombes, il interroge chaque personne sur son dernier week-end, ses dernières vacances… Résultat : au quotidien, je dois souvent rattraper ses oublis et compenser ses approximations. Du coup, j’ai l’impression de faire le travail de deux personnes à la fois. Notre secteur est plutôt prospère donc la boîte tourne bien, mais je trouve que les fondateurs manquent d’ambition. La « coolitude » a des limites.

« Il a insisté pour savoir où j’habitais » - Mélissa, ancienne serveuse

À l’époque, j’étais jeune et je cherchais un petit boulot pour payer mon loyer et mes vacances d’été. J’ai donc contacté une société de traiteur qui cherchait des serveurs pour des prestations le soir et les week-ends. Un travail physiquement épuisant, mais bien rémunéré. J’ai donc rencontré le maître d’hôtel référent qui m’a notamment posé beaucoup de questions personnelles : il voulait savoir où j’habitais, si j’avais une voiture, si je pouvais porter des talons hauts, etc. Techniquement, toutes les questions étaient pertinentes pour des missions de service-traiteur, alors je ne me suis pas méfiée…

Le hic, c’est que dès mes premières prestations, j’ai trouvé que son comportement avec les filles était un peu lourd, voire déplacé. Mes collègues plus âgées, elles, ne prêtaient pas attention aux petites réflexions qu’il nous faisait, alors j’ai décidé d’en faire autant. Un jour, suite à une prestation qui se terminait tard et devait reprendre tôt le lendemain matin, il s’est montré insistant avec moi. Il me répétait que ça serait plus « simple » que je dorme chez lui, que ça éviterait à mes collègues de faire un détour pour me déposer chez moi. Il a même sous-entendu que c’était lui qui choisissait les serveurs pour les prestations et qu’il valait mieux être dans ses petits papiers.

Heureusement, une collègue l’a entendu et m’a proposé de me déposer chez moi. En discutant avec elle, j’ai compris que personne ne serait surpris par ce qui s’était passé. Car c’était loin d’être la première fois qu’il avait ce type d’attitude. Aujourd’hui encore, ça me met mal à l’aise d’y penser. J’imagine que certaines filles - qui ont plus besoin d’argent que moi - ont dû céder. Toujours se fier à son intuition !

« Personne ne le saluait dans les couloirs » - William, chef de produit

À 21 ans, j’ai décroché un entretien pour un stage de chef de produit dans l’entreprise de mes rêves. J’ai passé les premières étapes avec les RH, et je suis arrivé à la dernière phase : la rencontre avec mon futur tuteur. Il est venu me chercher à l’accueil pile à l’heure, il s’est montré cordial mais sans plus. On a marché un bon moment pour arriver à la salle de l’entretien. Et ce n’est que plus tard que j’ai réalisé que personne ne l’avait salué dans les couloirs. Bref, l’entretien ne me semblait pas s’être bien passé - il était assez pointilleux dans ses questions et froid dans ses réponses - mais contre toute attente les RH m’ont appelé pour me dire que j’étais retenu.

Les premiers jours, quand j’annonçais à mes nouveaux collègues qui était mon maître de stage, ils semblaient désolés pour moi. Clairement, mon N+1 ne faisait pas l’unanimité, je pense même que certains avaient un peu peur de lui. La conséquence directe pour moi, c’est que les gens qui apprenaient que j’étais son stagiaire se méfiaient de moi.

C’est vrai qu’il avait un sale caractère. Mais je me suis accroché, et j’ai compris qu’il avait un bon fond. Ça m’a permis de réaliser à quel point il est difficile de travailler avec quelqu’un qui n’est pas apprécié. Et particulièrement dans les grosses boîtes, et les environnements assez « politiques ». Car on doit ramer deux fois plus que les autres pour avancer.

Si vous avez déjà vécu une situation similaire, rassurez-vous. Une expérience réalisée par deux psychologues d’Harvard - également auteurs du livre The invisible gorilla dont a été tiré la vidéo d’un gorille invisible qui a fait cent fois le tour du web - montre que l’humain est naturellement moins observateur qu’il ne l’imagine. Développer son sens de l’observation dans des situations importantes - tels les entretiens d’embauche - permet d’en apprendre davantage, plus vite, et de mieux comprendre le monde pour faciliter ses prises de décisions. Heureusement, c’est une compétence qui se travaille. Prêt(e) à devenir de véritables Sherlock pour votre prochain entretien ?

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Article édité par Gabrielle Predko ; Photos Thomas Decamps pour WTTJ