Entretien inversé : quand vos candidats ont le dernier mot

15 janv. 2025

6min

Entretien inversé : quand vos candidats ont le dernier mot
auteur.e
Laure Girardot

Rédactrice indépendante.

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L'entretien inversé bouscule les codes en inversant les rôles : cette fois, c’est l’entreprise qui est passée au crible. Transparence, séduction et rééquilibrage des rapports de force sont au programme. Une vraie révolution ou un simple effet de mode ?

L’entretien inversé secoue les rôles traditionnels du recrutement. C’est le candidat qui mène la danse, posant des questions à l’entreprise pour évaluer sa culture, ses valeurs et son fonctionnement. Cet exercice vise à assurer une adéquation mutuelle entre les attentes du talent et celles de l’employeur, tout en offrant une transparence accrue sur la réalité de l’organisation.

Sur le papier, il s’agit d’une initiative en phase avec les attentes actuelles. Selon le Baromètre XP Candidat 2024 réalisé par IFOP et Yaggo, 87 % des candidats considèrent que le recrutement reflète la manière dont une entreprise traite ses salariés. Alors que 82 % des talents déclarent avoir déjà vécu une mauvaise expérience de recrutement, cette inversion des rôles marque-t-elle un véritable changement dans les pratiques RH ou s’agit-il simplement d’un exercice de marketing ? Surtout, cette stratégie est-elle réellement efficace pour réduire les erreurs de casting ?

Entretien inversé : coulisses d’un phénomène en cours de structuration

Redonner la parole (et le pouvoir) aux candidats

L’entretien inversé consiste à laisser le candidat prendre les rênes de l’échange. Il a ainsi l’opportunité de poser ses propres questions –quel que soit le sujet– à différentes personnes clés de l’entreprise. Cette méthode vise à offrir une vision plus transparente de l’organisation et à bousculer le rapport de force traditionnel entre recruteurs et candidats. Tania Ocana, Ph.D., docteure en psychologie du travail et formatrice à l’École du recrutement, partage son expérience : « Au départ, je ne voulais pas rejoindre l’École du recrutement. On m’a proposé un échange pour que je puisse poser toutes mes questions à deux personnes du cabinet. L’objectif était de lever les zones d’ombre, afin que je prenne ma décision en toute connaissance de cause. » Résultat ? « À la fin de cet entretien, sans hésiter, je voulais les rejoindre ! »

Une étape RH polymorphe

« Bien que présentée comme novatrice, cette approche formalise, en réalité, une pratique déjà répandue et souvent informelle lors des entretiens conventionnels, où les candidats posent généralement leurs questions à la fin », précise Marie-Sophie Zambeaux, consultante et auteure en recrutement et marque employeur. Cependant, cette démarche tend de plus en plus à se structurer, afin de limiter les biais que ces échanges peuvent engendrer. À ce sujet, Tania Ocana suggère de ne pas « mélanger les genres » et de bien distinguer les entretiens d’évaluation des entretiens d’information. « Dans les processus classiques, certains entretiens n’ont pas pour objectif d’évaluer les candidats mais plutôt de les informer sur la politique RH, la culture, l’équipe… Ces échanges peuvent tout à fait être formalisés en mode inversé », illustre-t-elle.

Côté forme, différentes approches sont possibles :

  • Entretien individuel : le candidat mène l’entretien avec un ou plusieurs représentants de l’entreprise (manager, RH, futur collègue…), posant librement ses questions. « Il peut être très engageant pour le candidat de choisir deux interlocuteurs parmi une liste de personnes. Chaque échange dure environ une heure, offrant ainsi au candidat l’opportunité d’approfondir ses questions et d’évaluer l’entreprise sous différents angles », souligne Léo Bernard, formateur en recrutement.
  • Session collective : dans ce format, plusieurs candidats interrogent ensemble des membres de l’entreprise. « Cette dynamique de groupe favorise les échanges collaboratifs. Pour éviter l’autocensure, on peut mettre en place un système de questions écrites avec des outils comme Klaxoon », explique Marie-Sophie Zambeaux.
  • Job dating inversé : ce format, organisé lors d’événements dédiés, place les entreprises en position de présenter leurs offres, tandis que les candidats sélectionnent celles qui retiennent leur attention. « France Travail l’a déjà expérimenté : les talents posent des questions pour approfondir leur compréhension des jobs et évaluent si l’opportunité correspond à leurs attentes et aspirations », ajoute Marie-Sophie Zambeaux.

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Talents et employeurs : les bénéfices croisés de l’entretien inversé

Talents : une réponse concrète aux exigences émergentes

83 % des candidats estiment que connaître la culture d’entreprise et son environnement de travail est primordial pour se projeter dans un nouveau poste. « En donnant au candidat la possibilité de poser ses propres questions, on lui permet d’obtenir des informations concrètes sur des attentes ciblées, parfois non exprimées lors des étapes classiques de recrutement », souligne Marie-Sophie Zambeaux. C’est donc une opportunité pour détecter les signaux faibles ou lever certaines zones d’ombre, comme l’explique Tania Ocana : « Lors de cet échange, je souhaitais approfondir certains aspects de la fiche de poste : comment ma performance allait-elle être évaluée ? Quelle était la vision à court, moyen et long terme pour le poste ? Quelles étaient les normes de communication dans une entreprise qui prône l’autonomie ? »

L’entretien inversé serait-il un moyen authentique de jauger le « culture fit » ? Un point de vue défendu par Léo Bernard : « Ce type d’échange permet à la personne en lice de dissiper ses derniers doutes en lui offrant un temps de réflexion rassurant. Personnellement, j’ai pu l’expérimenter en tant que candidat : j’ai rencontré plus de six personnes lors de sessions de 30 minutes en binôme. J’ai perçu rapidement l’adéquation culturelle avec l’équipe. C’est souvent l’un des aspects les plus décisifs. »

Entreprises : un pari pour limiter les erreurs de casting

Le cabinet Hays évalue le coût d’un mauvais recrutement (départ avant 12 mois) entre 45 000 et 100 000 euros de pertes en moyenne pour l’entreprise. Dans ce contexte, l’entretien inversé apparaît comme une piste intéressante pour limiter ces risques. « Si cette étape est à double tranchant pour l’entreprise –avec un risque que le candidat se désiste–, c’est surtout l’occasion de convaincre un talent et de limiter les erreurs de recrutement liées aux non-dits », remarque Léo Bernard.

Marie-Sophie Zambeaux y voit, quant à elle, un puissant levier d’attractivité pour la marque employeur, notamment auprès de profils stratégiques. « Pour les professionnels expérimentés, très demandés sur le marché, ou les jeunes diplômés attachant une importance particulière aux valeurs et à l’éthique de l’entreprise, c’est une séquence idéale pour présenter son offre RH et ses engagements », considère-t-elle.

Réussir son entretien inversé : 5 engagements à respecter

  1. En faire une option et non une obligation : « Il ne faut pas l’imposer aux candidats, car certaines personnes ne sont pas à l’aise avec cette approche », alerte Léo Bernard. Marie-Sophie Zambeaux mentionne, entre autres, « les profils juniors ou introvertis ».
  2. Le positionner à la fin du processus : « À l’École du Recrutement, nous avons décidé de le proposer à tous les talents à la fin du processus, une fois que l’offre est faite. Objectif : éviter l’autocensure », explique Tania Ocana.
  3. Sortir d’une logique d’évaluation : il est primordial de veiller à ce que les candidats perçoivent l’exercice comme authentique et non comme un test déguisé. « Cette session n’est pas faite pour évaluer, mais pour rassurer, informer et attirer », insiste Léo Bernard. Tania Ocana voit même cette étape comme une forme de pré-boarding, une jonction entre l’expérience candidat et l’expérience collaborateur.
  4. Rassurer le candidat : proposer une liste de questions peut aider à orienter le candidat. « Avant l’entretien, on peut fournir un échantillon des questions les plus courantes, tout en précisant qu’il n’est pas exhaustif. L’idée est aussi d’expliquer l’intention de la démarche pour mettre à l’aise la personne », recommande Léo Bernard. Autre point clé selon l’expert : les représentants de l’entreprise doivent répondre à toutes les questions posées, sans esquive.
  5. Briefer et former les interlocuteurs internes : Marie-Sophie Zambeaux souligne l’importance d’une préparation approfondie côté entreprise, pour répondre avec précision aux candidats. « Sur la culture, le management, les évolutions de carrière, les rituels, l’évaluation de la performance… Il faut créer un document évolutif et briefer les interlocuteurs pour garantir des réponses claires et convaincantes. Sinon, on risque de créer un effet déceptif côté candidat », conseille-t-elle. Tania Ocana témoigne également de l’importance d’une préparation méticuleuse : « Le discours des deux interlocuteurs était très précis et répondait aux points de blocage identifiés lors des différentes rencontres. Leurs arguments solides ont permis de lever mes derniers doutes. »

Trois risques à connaître avant de se lancer

Une étape chronophage

Attention au R.O.I. ! Rappelons que le coût moyen d’un recrutement se situe généralement autour de 4 700 dollars par embauche (soit environ 4 300 euros), selon Society for Human Resource Management (SHRM). Plus précisément, d’après une enquête de Bersin by Deloitte, les grandes entreprises peuvent dépenser jusqu’à 10 000 dollars par embauche, tandis que les petites et moyennes entreprises investissent généralement entre 1 000 et 5 000 dollars (des montants similaires sont observés en France). Ainsi, lorsque les volumes de recrutement sont élevés, « solliciter autant de personnes par processus peut vite alourdir les coûts », avertit Léo Bernard.

La transparence de Potemkine

Si la culture d’entreprise n’est pas réellement fondée sur des principes de transparence, il existe un risque que l’écart entre la réalité interne et la vitrine affichée lors du recrutement conduise à une forme de superficialité. « Il ne faut pas que cela devienne un simple outil de communication. La transparence affichée doit se traduire par des faits et actions concrets pour garantir une cohérence », avertit Marie-Sophie Zambeaux.

Un suivi indispensable mais complexe

« Un travail rigoureux est nécessaire pour recueillir les impressions des candidats post entretien, afin de répondre aux questions restées en suspens. Sans un processus structuré, des zones d’ombre peuvent subsister, laissant les candidats avec une perception incomplète de l’entreprise », avertit Marie-Sophie Zambeaux. L’absence de feedback peut nuire à l’image de transparence et de réactivité que l’entreprise souhaite projeter, compromettant ainsi l’investissement engagé dans cette approche.

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Article rédigé par Laure Girardot et édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.

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