Deuil, accident, maladie... Ils ont réinventé leur vie pro suite à une épreuve
07 déc. 2022
6min
Se réinventer professionnellement n'est que rarement évident. Bien sûr, il y a ceux qui passent à l’action avec enthousiasme (et un peu de stress) pour trouver plus de sens dans leur travail, ceux qui ont juste besoin de renouveau, qui déménagent et changent leurs plans de vie. Pour d'autres, ce sont des épreuves plus douloureuses, comme un deuil, un accident ou encore un diagnostic, qui les tirent de leur quotidien professionnel pour les mener vers d’autres voies… En témoignent Martin, Justine, Aurélie, Kévin et Charlotte.
« Pilote, j’ai toujours eu en moi l’idée qu’il faudrait un jour rebondir au moindre incident », Martin, 37 ans, Dirigeant
Fin 2020, j’ai eu un accident de moto en plein Paris. Résultat, je me suis cassée l’épaule droite. Compliqué à gérer, lorsqu’on est pilote d’avion depuis une dizaine d’années… ! Suite à cela, j’ai perdu de la mobilité au niveau du bras droit, ce qui a nécessité un mois de récupération médicale. Au moment de l’accident, le chirurgien m’avait cependant assuré qu’il y avait de grandes chances que je puisse reprendre mon travail. Cela m’a motivé pour vite me remettre sur pieds. Malheureusement, au fur et à mesure de la récupération, j’ai compris que ça allait être plus difficile que prévu. Bien que je ne sois plus du tout gêné dans ma vie quotidienne, on m’a retiré mon aptitude médicale aéronautique de Classe 1, ce qui signifie que je ne suis désormais plus physiquement apte à piloter aux yeux du Conseil Médical de l’Aéronautique civile. Une fois que la sentence est tombée, j’ai été déçu de devoir m’arrêter avant de connaître les « heures de gloires » des pilotes qui ont les missions les plus intéressantes, forts de leur expérience. Alors je me suis occupé l’esprit en continuant de m’investir dans la boîte de formation de pilote co-créé quelques mois seulement avant l’accident avec mes associés. Je peux mener ce projet depuis la Terre, une habitude que j’avais déjà prise à la période à laquelle j’étais pilote, puisqu’il m’arrivait de travailler dans des bureaux, dans le cadre de contrats d’exportations militaires. Au contraire, si j’avais été pilote à plein temps, j’aurais été beaucoup plus désœuvré en apprenant que j’allais devoir me réinventer des pieds à la tête. Et puis, tous les pilotes savent que la visite médicale est une épée de Damoclès à laquelle il faut s’attendre au moindre incident. Alors, j’ai toujours eu en moi l’idée qu’il me faudrait un plan B solide.
« Alors que je n’avais que 28 ans, le médecin me disait que mon quotidien allait désormais changer sur le long terme », Justine, 30 ans, gérante d’entreprise
En février 2020, alors que j’étais responsable clientèle, j’ai eu des problèmes de santé et ai été opérée d’urgence. Ont suivi deux mois et demi d’alitement… et donc d’arrêt de travail. Quelques mois plus tard, lors du rendez-vous post-opératoire, on m’a diagnostiqué une autre pathologie. J’ai donc été arrêtée de nouveau, plus longtemps que la première fois. J’ai essayé de trouver des solutions avec mon employeur pour continuer à travailler à distance, mais on a dû me remplacer pendant mon absence. Cette période est devenue un vrai moment de réflexion. Alors que je n’avais que 28 ans, le médecin me disait que mon quotidien allait désormais changer sur le long terme : désormais, j’allais devoir adapter mes habitudes quotidiennes (alimentation, activités, etc.). Malgré la difficulté à accepter toutes ces nouveautés, j’ai vite réalisé qu’il fallait mieux commencer à apprendre à vivre avec et à me faire à ces nouvelles contraintes, quand bien même je n’avais jamais douté de mon boulot en dix ans. J’en ai donc profité pour faire un bilan de compétences, et là, révélation : on m’a parlé de me mettre à mon compte, de m’adapter à mes soucis de santé. J’ai donc eu l’idée de créer une marque pour aider ceux qui, comme moi, ont des problèmes de peau. Une solution deux-en-un, puisqu’elle me permet de prendre soin de moi et des autres. Ni une ni deux, j’ai signé une rupture conventionnelle et me suis lancée dans l’entrepreneuriat. Aujourd’hui, et après deux nouvelles opérations, je sais que j’ai pris la bonne décision. Je me sens beaucoup mieux, je suis épanouie, je sais qu’en cas de problème, je n’ai personne à prévenir, à qui demander de travailler depuis chez moi, plus à craindre que mon absence ne bloque mes collègues… Finalement, j’ai eu de la chance, la maladie a changé ma vie… et en bien !
« Toutes ces difficultés m’ont aidée à sortir de ce que je pensais être ma zone de confort : un tête-à-tête avec ma tablette et mon stylet, depuis le fond de mon canapé », Aurélie, 25 ans, designer culinaire indépendante
Pour moi, tout a changé au printemps 2022. D’abord, mon grand-père est décédé sans qu’on ne s’y attende. À peu près à la même période, mon frère et sa copine nous ont annoncé leur mariage. Toutes ces nouvelles m’ont mise face au temps qui passe et renvoyée à mon propre mal-être. J’ai réalisé que j’avais globalement besoin de changement, à commencer par mon couple. Alors, après avoir compris que je n’étais plus épanouie avec mon compagnon, j’ai fini par le quitter, ce qui a entraîné un effet domino jusqu’à ma vie professionnelle. Indépendante, je passais mon temps chez nous avant la rupture. Maintenant que je ne vivais plus avec lui, je ne supportais plus l’idée de continuer sur cette lancée. J’avais vraiment besoin de changer mes habitudes, de rencontrer du monde, de ne plus subir la solitude et la pression de l’auto-entrepreneuriat, bref : j’ai fini par recontacter un client qui m’avait déjà proposé un CDI, que j’avais refusé à l’époque. Heureusement, je suis tombée au bon moment. Ce client avait justement besoin de quelqu’un au quotidien. J’ai été soulagée de trouver un cadre plus rassurant, plus stable. Finalement, toutes ces difficultés m’ont aidée à sortir de ce que je pensais être ma zone de confort pendant un moment : en tête-à-tête avec ma tablette et mon stylet, depuis le fond de mon canapé.
« Moi qui étais déjà très à l’écoute, j’ai réalisé que mon accident me montrait sûrement la voie », Kévin, 27 ans, neuro-psycho-praticien
Il y a deux ans, j’ai été agressé dans la rue à Lyon trois jours avant de passer mon examen d’entrée à l’école et de débuter mon alternance au sein d’une boîte de recrutement, en mars 2020. Suite à cette agression, on m’a diagnostiqué un traumatisme crânien. Au moment du diagnostic, il a été difficile d’identifier les séquelles qui dureraient dans le temps. Mais peu à peu, on a compris que j’allais certainement être sujet à des pertes de mémoires récurrentes. Une fois en entreprise dans le cadre de mon alternance, j’ai commencé à avoir des petits trous de mémoire. Alors, par souci de conscience professionnelle et de transparence, j’ai décidé d’en parler à ma N+1 en lui confiant mon accident, dossier médical à l’appui, en lui précisant que je serais preneur de toute remarque au moindre petit oubli, pour me permettre de réajuster le tir au plus vite. Dès le lendemain, elle m’a convoquée avec ma N+2 pour m’annoncer qu’elles n’étaient pas sûres de me garder, sous prétexte qu’elles ne pouvaient plus me faire confiance, me reprochant des petites actions comme prétexte, et sans mentionner mes problèmes de santé. Le surlendemain, on commençait à me mettre au placard en m’imposant le télétravail. Et puis, on a mis fin à mon alternance. Suite à ce choc, je me suis beaucoup remis en question. Il m’aura fallu deux ans de réflexion pour comprendre que je n’étais pas responsable et que j’aurais très bien pu rester dans ce job si on m’avait accompagné. J’ai finalement décidé d’officialiser ma reconnaissance de travailleur handicapé. Et puis, un jour, je suis tombé sur l’interview d’un chercheur en neurosciences. Je me suis tout de suite passionné pour le fonctionnement du cerveau, son impact sur notre comportement, etc. Moi qui étais déjà très à l’écoute, j’ai réalisé que mon accident, puis cet article, me montraient sûrement la voie. Tout en reprenant mon travail dans le recrutement - à mon compte, cette fois -, j’ai commencé à partager mes découvertes sur le domaine de la neuroscience sur ma page LinkedIn. Ça m’a satisfait un moment puis j’ai eu envie d’aller plus loin, alors j’ai décidé d’accompagner les personnes qui, comme moi, avaient des troubles neurologiques et l’envie d’apprendre à vivre avec. C’est donc ce que j’ai fait, tout en obtenant ma certification en psychologie et en neurosciences. Et cerise sur le gâteau, j’ouvre mon cabinet de thérapeuthe en janvier prochain !
« Il aura fallu le Covid, la maladie et un deuil… pour que je me décide à mener la vie que je souhaitais », Charlotte, 33 ans, assistante et formatrice
Cela faisait dix-huit ans que j’étais salariée, que j’occupais des postes administratifs. Et puis, en 2020, comme beaucoup d’actifs, j’ai découvert le télétravail. Ça a été un vrai déclic ; je me suis imaginée indépendante pour la première fois de ma vie professionnelle. Cette idée a pris de plus en plus de place courant 2021, lorsque j’ai appris que je ne pourrais pas avoir d’enfant avec mon compagnon à cause d’une endométriose, et qu’un de mes chiens est décédé. Ce double deuil m’a menée à une grande remise en question et j’ai réalisé que je ne voulais plus passer autant de temps hors de chez moi, loin de mon mec et mon chien, ni me rendre au bureau avec d’importantes douleurs liées à ma maladie, ou encore devoir louper des rendez-vous médicaux à cause de rendez-vous pro. Alors, j’ai sauté le pas et décidé d’aménager mes horaires à mon rythme personnel et familial. J’ai créé mon job sur mesure en enfilant deux casquettes : celle d’assistante et celle de formatrice. J’ai donc pu continuer mon métier d’une autre manière, en écoutant mes besoins en termes d’horaires, de clients et d’intensité des missions. Depuis, je n’ai aucun regret malgré les difficultés réelles du travail indépendant. Le plus important pour moi est de savoir que je suis l’architecte et l’actrice principale de ma propre vie. Aujourd’hui, je peux dire que ces épreuves m’ont appris à me mettre en priorité, même si cela implique de sortir de ma zone de confort. Il aura fallu le Covid, la maladie et un deuil… pour que je me décide à mener la vie que je souhaitais.
Article édité par Gabrielle Predko ; Photo de Thomas Decamps.
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