« DRH : il ne faut pas seulement respecter les gens, il faut les aimer »

13 févr. 2023

4min

« DRH : il ne faut pas seulement respecter les gens, il faut les aimer »
auteur.e
Sophie Dussaussois

Journaliste, éditrice et auteure de documentaires pour la jeunesse

Il considère le Code du travail comme un ennemi et affirme que « la plupart des DRH sabotent le travail ». Rencontre avec Erik Leleu, ex Directeur des Ressources Humaines du groupe Vinci.

Agrégé d’Histoire, Erik Leleu aurait pu passer sa vie à enseigner. Après 3 ans d’ennui au sein de l’Éducation Nationale, il bifurque vers le privé, bâtit sa carrière dans les plus grandes entreprises de la construction, jusqu’à devenir, entre 2010 et 2017, le DRH du plus gros projet européen de construction : la mise en place de la ligne TGV Tours-Bordeaux. Animé par la conviction fondée sur l’expérience « qu’un chantier, une usine, un bureau, un commerce où les gens sont heureux d’être ensemble est plus productif », Erik Leleu préfère le terrain de la négo aux salons feutrés des grands comptes, avoue des amitiés rugueuses avec des syndicalistes, quelques filouteries pour obtenir des accords qui tiennent encore et fustige le règne du politiquement correct qui va de pair avec le délitement des liens humains. Rencontre avec l’auteur de Les salariés d’abord, DRH à contre-courant.

Vous dites que le Code du travail est un ennemi, qu’il est l’arme des faibles. Pourquoi ?

Si un gynécologue mène un accouchement avec un manuel d’obstétrique sous les yeux, il n’inspire pas confiance. Eh bien, c’est pareil pour un DRH qui doit gérer des relations humaines ! Quand vous avez un problème, mieux vaut d’abord réfléchir à la manière de le résoudre, avec bon sens, humanisme et de façon collective. Ce n’est qu’après qu’on regarde ce que dit la loi. Il m’est arrivé à de multiples reprises de ne pas la respecter. De la direction aux syndicats, personne n’y a trouvé à redire ! Le Code du travail protège des abus, des postures qui vont trop loin. Il sert à mesurer le risque, mais il doit rester à sa place. Les réglementations empêchent l’imagination.

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Vous dénoncez les DRH juristes, les techniciens, les « politiquement corrects » qui sabotent le travail. N’est-ce pas provocateur ?

C’est vrai que je passe pour un DRH atypique, voire peu fréquentable. Heureusement, le fait d’avoir été à des postes compliqués et d’y avoir réussi me protège. Je me bats en permanence contre le politiquement correct. Je ne le suis pas, d’où cette étiquette de « provocateur ». Mais on peut aussi parler d’honnêteté et de transparence, à mon égard. Dans tous les cas, je m’efforce d’avoir une parole claire et directe, que ce soit avec mes étudiants ou en négo. Et je crois qu’un DRH se doit d’être humaniste.

De quelle façon ?

Autrefois, les DRH et les inspecteurs du travail étaient issus de formations variées, et pouvaient venir des universités d’histoire, de lettres… Ils étaient plus généralistes. Aujourd’hui, les deux cursus sont de plus en plus juridiques. Les juristes parlent aux juristes ! Et cette évolution va dans le sens d’une déshumanisation des relations au sein de l’entreprise, ce que je déplore. Depuis le début de ma carrière, je donne des cours, d’abord dans le cadre du master « Ressources Humaines » de Lille, puis à l’Institut de Gestion Sociale de Paris. Quand vous demandez aux jeunes « Qu’est-ce que sont les relations sociales ? », ils ont tous la vision réductrice du rapport de force employeurs / employés. Or, c’est bien plus vaste que ça. Les salariés sont les seuls à être au centre des relations sociales. L’objectif du DRH, c’est l’intérêt général de l’entreprise, et donc les salariés. Et s’il y a une seule règle à retenir, c’est de ne pas prendre les gens pour des cons, du président à l’ouvrier. Un bon DRH doit avoir une âme de négociateur et la négo est un jeu permanent. Rien ne se passe dans les réunions formelles, tout se joue en dehors.

« Tout est dans le regard que les managers posent sur leurs collaborateurs. La clé repose sur la confiance. »

On parle beaucoup de bien-être au travail. Quelle est votre vision sur ce point ?

L’entreprise ne dure et ne réussit que par les femmes et les hommes qui y travaillent. Il faut veiller à ce qu’ils s’y sentent bien. Cette position n’est pas « gentille » ou bienveillante, elle est pragmatique. D’ailleurs, je me méfie de cette notion de bienveillance qui peut amener à édulcorer le discours, quand la vérité est difficile à dire et à entendre. C’est anecdotique, mais selon moi, les salles de baby-foot sont de la poudre aux yeux. Pour savoir si on se sent bien dans son boulot, le meilleur indicateur est lorsqu’on est content, le matin, de partir au travail. Pour ça, il est nécessaire d’avoir de bonnes conditions de travail, des missions claires, bien définies, de savoir qui peut nous aider. Je suis aussi favorable au télétravail. Tout est dans le regard que les managers posent sur leurs collaborateurs. La clé repose sur la confiance. Si on est dans la défiance, ça ne peut pas fonctionner. Vous n’emmènerez pas vos équipes.

Vous rendez hommage aux leaders discrets. Qui sont-ils ?

Ce sont tous ceux qui ne font pas de bruit, les taiseux qui ne sont pas commerciaux d’eux-mêmes, mais qui sont les véritables chevilles ouvrières de leurs équipes. Ils savent transmettre leur savoir-faire et emmener les autres. Un DRH doit savoir repérer ces joyaux et faire confiance à son intuition. Cette intuition est sa vraie valeur ajoutée.

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Selon vous, le DRH est à la fois le « bouffon du roi » et un « équilibriste dont la logique doit prévaloir sur celle du financier ». Ou se situe-t-il exactement ?

Le bouffon du roi est celui qui dit la vérité. Il est l’inverse du courtisan et du politiquement correct. Pour faire ce métier, il ne faut pas seulement respecter les gens, il faut les aimer : du président à l’ouvrier. Cette posture permet de dire les choses, d’éviter ainsi à la personne en face de soi d’aller dans le mur, et de sanctionner positivement ou négativement. Dire les choses à un collaborateur ou à son patron n’est pas toujours simple, cela demande du courage. Et cela signifie aussi qu’il faut être en mesure d’entendre les autres et de les prendre en compte. Un bon DRH laisse la porte de son bureau ouverte, tous peuvent y entrer, et il peut ainsi mettre de l’huile dans les rouages plutôt que sur le feu. Le DRH n’est pas plus d’un côté que de l’autre : il doit ramener tout le monde vers l’intérêt général.

Vous affirmez le besoin, pour les entreprises, d’avoir des représentants du personnel qui disent « patron, tu déconnes ». Selon vous, ils ne sont pas des « patates chaudes ». Pourquoi ?

Les entreprises ont l’obligation légale de mettre en place des instances représentatives du personnel, c’est la loi, alors autant faire en sorte que les relations soient constructives, voire agréables ! Les représentants du personnel assurent une fonction support essentielle et tant mieux s’ils servent de poils à gratter ! Ils agacent, car ils appuient là où ça fait mal, mais les patrons doivent l’entendre. Il est toujours plus facile de rester dans le conflit, que de construire un compromis. Le métier de DRH vise aussi à désamorcer la crise pour éviter le conflit et le basculement dans les questions d’orgueil, d’ego ou de fierté.

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Article édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ

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