Candidats : les tips d’investisseurs pour choisir une start-up en bonne santé
10 nov. 2021
7min
Rédacteur & Photographe
L’univers des start-ups est une grande nébuleuse. Ce n’est pas un hasard si on les représente par le symbole d’une fusée. Petites poussières à leurs débuts, elles se lancent à la conquête de nouveaux marchés et se développent vitesse grand V. Accélérateur, levée de fonds, buzz… certaines start-ups sont propulsées au septième ciel. Mais parfois, c’est le crash, avec ses nombreuses victimes collatérales. En témoigne la “fail story” de la start-up Take Eat Easy. Start-up star un jour, peut sombrer dans le trou noir un autre jour…
Alors comment s’y retrouver dans ce vaste écosystème ? À la manière des investisseurs, les candidats pour un job en start up misent sur un projet prometteur. Mais comment faire pour que cette candidature ne ressemble pas trop à un pari risqué ? Et comment évaluer une start-up avant d’y mettre les pieds ? Pour y répondre, nous avons interrogé Adrien Chaltiel, fondateur d’Eldorado, la plateforme de financement de start-ups, et Yves Weisselberger, co-fondateur de Klee Group, KDS (Neo Technology) et SnapCar (devenue Le Cab). Les deux serial entrepreneurs et Business Angels vous livrent leurs conseils d’investisseurs avisés…
S’investir dans une start-up : d’abord le coup de cœur…
Si le candidat à l’emploi était un investisseur, il serait probablement un Business Angel. C’est-à-dire, un particulier qui investit son propre patrimoine dans un projet innovant ou à fort potentiel. « Le candidat n’agit pas comme un fonds d’investissement, explique Adrien Chaltiel. Sa démarche ne se fonde pas sur un business model. Il n’a pas de compte à rendre à ses propres investisseurs et son objectif n’est pas de tripler sa mise dans les cinq ans. » Non, à l’image de l’investisseur en « Love Money » (famille, amis, proches) ou du Business Angel, le candidat fonctionne davantage à l’affect. « Il ne s’investit pas sur un critère financier, mais il s’engage sur un projet auquel il croit, une aventure, une équipe, une vision qu’il partage et des valeurs communes. » Mais à la différence de l’investisseur, le candidat en start-up ne mise pas d’argent. « Quand on rejoint une boîte, on s’investit soi-même, résume Yves Weisselberger. Il y a forcément un côté coup de cœur. L’entreprise me fait rêver, l’équipe a su me séduire, le sujet me plaît, le job m’attire… Un rapport humain, de confiance, se crée. Une relation personnelle s’installe. »
Ensuite, l’analyse cérébrale…
C’est bien connu, « l’amour rend aveugle et le mariage lui rend la vue ». Si s’investir dans une start-up n’est pas aussi engageant qu’un mariage, c’est un acte qui ne peut être pris à la légère. « En moyenne, on ne s’engage dans une entreprise que cinq à dix fois dans sa vie, constate Yves Weisselberger. On peut se laisser séduire ou toucher par un projet, mais, à un moment donné, une vision plus cérébrale et rationnelle doit intervenir. Le candidat doit apprendre à connaître l’entreprise autrement que par sa première impression. Une start-up sympathique ne suffit pas. Il faut être sûr que l’on a quelque chose à y apprendre, que l’expérience va nous faire progresser. »
À cet égard, le candidat se distingue franchement de l’investisseur. « La règle du jeu d’un investisseur, c’est de n’investir que de l’argent que l’on peut perdre », reprend le fondateur de SnapCar. Le candidat, lui, a bien plus à perdre. Plus encore que le Business Angel, il doit s’assurer d’un certain retour sur l’investissement de sa personne.
Il faut donc mener sa petite enquête pour savoir où l’on met les pieds. « Il y a un travail de recherches approfondies à faire sur la start up qu’on souhaite rejoindre, ajoute le fondateur d’Eldorado. Se renseigner sur l’équipe fondatrice, rechercher le retour d’expériences d’anciens collaborateurs, voir s’il y a beaucoup de turnover dans l’entreprise, consulter les pages Welcome to the Jungle, Glassdoor, LinkedIn de la boîte… » Tout cela doit permettre de valider ou d’infirmer sa première impression. « Aussi, il n’est pas interdit de poser des questions aux fondateurs, complète Yves Weisselberger. Au contraire, le candidat peut demander des chiffres (trésorerie, levée de fonds…) pour s’assurer de la solidité et la pérennité d’un projet. »
Le “pitch deck start-up”, ou les 3 paramètres à prendre en compte
Le « pitch deck », c’est le fameux PowerPoint qui permet en quelques slides aux start-uppeurs de résumer et convaincre un investisseur. Lorsqu’on lui pitch un projet, l’investisseur met en route son radar. Un radar qui peut aussi servir de boussole au candidat à l’emploi…
Si l’on en croit l’expérience de nos deux Business Angels, il y a principalement trois paramètres à vérifier avant de miser sur une start-up…
1. L’équipe qui porte le projet
Pour Yves Weisselberger, la composition de l’équipe est déterminante. « L’équipe fondatrice doit être inspirante, détaille-t-il. Elle doit porter une vision et incarner le projet. Il faut aussi qu’elle ait la capacité de faire, de construire. Les entrepreneurs doivent toucher à tout dans l’entreprise mais aussi témoigner d’une certaine énergie et d’une bonne ténacité. » La personnalité, les valeurs, l’ADN des fondateurs, leur originalité… Autant d’indices qu’Adrien Chaltiel scrute avec attention. « Il n’y a pas de stéréotype de l’entrepreneur à succès, pas de combinaison gagnante, assure-t-il. Mais ce qui importe, c’est la cohérence de l’équipe avec son projet. Les fondateurs doivent être complémentaires, passionnés et résilients. »
2. La taille du marché et la « scalabilité »
« Quelle est la taille du marché ?, interroge Adrien Chaltiel. Est-il large ou est-ce un marché de niche ? Qui sont les concurrents ? Il faut aussi regarder l’aspect « scalable », c’est à dire la réplicabilité du business sur d’autres marchés (villes, pays, secteurs). Mais le marché c’est une chose. Ce qui compte aussi, c’est la capacité de l’équipe fondatrice à réaliser le fameux « pivot », c’est à dire à adapter son business model et même son projet aux évolutions du marché. » Actuel, mais aussi futur, le marché attaqué a donc toute son importance.
3. La valeur ajoutée, ce petit truc en plus
Sur ce point encore, les deux Business Angels s’accordent. « Le projet doit impérativement aborder le marché en proposant une valeur ajoutée, explique Yves Weisselberger. Qu’est-ce qui le différencie des acteurs existants ? En quoi est-ce innovant ? » C’est là que réside le secret de la start-up à succès. Sa capacité à innover, à « disrupter le marché ». Pour Adrien Chaltiel, la clé est là. « Le projet doit me convaincre sur ce point, précise-t-il. En quoi le produit ou le service proposé sur le marché va devenir un « must have » et non simplement un « nice to have » ? En quoi deviendra-t-il indispensable ? »
Équipe, scalabilité, valeur ajoutée. Voilà les trois ingrédients indispensables pour s’assurer de la solidité d’un projet. « Pour autant, nuance le fondateur de SnapCar, quand on cherche un job, c’est différent. Ces trois paramètres doivent être analysés pour savoir où l’on met les pieds. Mais rien n’empêche un candidat de choisir d’y aller, même si ces paramètres ne sont pas réunis. L’ambiance, l’équipe, le poste proposé, bien d’autres éléments entrent en ligne de compte… »
Bien évaluer la balance bénéfices / risques…
Qu’on soit candidat à l’emploi ou Business Angel, lorsqu’on décide de s’investir dans une start-up, on prend des risques. « Le tout, c’est de connaître ces risques, d’en avoir conscience », insiste Yves Weisselberger. C’est la fameuse balance bénéfices / risques qu’il vaut mieux faire pencher dans un sens plutôt que dans l’autre. Au fil des ans, ces deux entrepreneurs et investisseurs aguerris ont appris à repérer les signaux forts de réussite et à détecter les signaux d’alerte. En voici quelques exemples :
Les signaux forts :
Pour Yves Weisselberger, pas de doute, « une belle levée de fonds réalisée auprès de fonds solides est évidemment gage d’une certaine pérennité », de même qu’« une start-up qui présente une importante trésorerie ou qui a atteint la rentabilité se montre rassurante ».
« Une équipe fondatrice qui a déjà fait ses preuves sur un autre projet à succès, qui a déjà réussi plusieurs levées de fonds importantes et qui a une beau parcours et un réseau solide », est un signe qui ne trompe pas selon Adrien Chaltiel.
Autre indice de confiance pour lui, « les collaborateurs en interne ont l’air heureux, il y a peu de turnover et les anciens salariés ont gardé de bons rapports avec les fondateurs ».
Les signaux d’alerte :
Un élément qui devrait être rédhibitoire pour tout candidat à l’emploi, selon le fondateur de SnapCar, c’est « la perception d’un manque d’authenticité ou de sincérité dans la démarche des fondateurs. Si vous avez un doute sur leur passion, leur motivation dans le projet, alors il ne faut pas y aller ».
Si l’équipe n’incarne pas vos valeurs, ne semble pas posséder les qualités managériales que vous recherchez et n’est pas en mesure de vous présenter le projet avec honnêteté dès l’entretien d’embauche, fuyez !
Regardez les missions qui vous sont proposées sur la fiche de poste. « Si votre poste n’est pas vraiment défini, ajoute Adrien Chaltiel, si aucun outil n’est mis en place pour vous permettre de réaliser votre travail dans de bonnes conditions, si vous n’avez pas de véritable manager et que tout semble à l’arrache, c’est le signe que le projet n’est pas mûr, qu’il est encore brouillon. »
Pire encore, poursuit le fondateur d’Eldorado, « si les fondateurs ne sont pas en mesure de vous donner une vision claire de la boîte à trois ou cinq ans, si rien n’est sûr et qu’il faudra pivoter en permanence, ça risque d’être épuisant pour le candidat ».
La start-up que vous souhaitez rejoindre affiche des “red flags” ? Ce n’est pas forcément le signe qu’il faut prendre ses jambes à son cou. « On peut décider de rejoindre une start-up mal financée, ou avec seulement trois mois de cash en trésorerie, assure le fondateur de SnapCar. En revanche, on doit accepter que le projet puisse échouer, qu’elle puisse mettre la clé sous la porte. Le risque se prend en conscience. C’est au candidat d’aller chercher l’information pour prendre une décision éclairée. »
Miser sur une start-up, toujours un pari !
S’engager dans une start-up comporte nécessairement des risques. « C’est toujours un pari, ajoute Yves Weisselberger. Si on recherche la sécurité avant tout, alors mieux vaut rejoindre un grand groupe. Il y a plus d’excitation dans l’univers start-up, mais indéniablement plus de risques. Pour rejoindre cet écosystème, il faut être prêt à accepter la vitesse, à travailler et à être performant, à sortir de sa zone de confort et se montrer polyvalent. »
Soyez prévenus donc, on ne rejoint pas une start-up avec une assurance tous risques ! « Il faut le savoir. L’aléa est inhérent à tout projet entrepreneurial. Mais il ne doit pas vous paralyser pour autant, poursuit-il. Si on en est conscient et qu’on l’accepte, tout est possible. Cela n’est pas mauvais en soi. Certes, plus on rejoint une start-up à ses débuts, plus l’incertitude est grande. Mais cette prise de risque se rémunère ! Elle est rarement valorisée en salaire quand la start-up est jeune, mais en BSPCE (Bons de Souscription de Parts de Créateurs d’Entreprises) ou en stock-options… »
Oui, il y a quelques poussières d’étoiles dans la galaxie. De futures licornes prennent naissance quelque part dans l’univers start-ups. Avant de foncer tête baissée dans l’écosystème, observez attentivement l’étoile que vous avez dans le viseur. Mettez vos lunettes. Celles du cœur, mais sans oublier le prisme cérébral. Pour le reste, faites-vous confiance. On aura beau interroger tous les investisseurs de la Terre, « il n’y a pas de formule magique ou de recette à succès, assure Adrien Chaltiel. Sinon ça se saurait ! »
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