BADASS : 10 expressions inutiles qui plombent notre image pro
29 sept. 2021
5min
Journaliste, conférencière et autrice spécialiste de la vie professionnelle des femmes
BADASS - Vous vous sentez illégitimes, désemparées, impostrices ou juste « pas assez » au travail ? Mesdames, vous êtes (tristement) loin d’être seules. Dans cette série, notre experte du Lab et autrice du livre de coaching Libre de prendre le pouvoir sur ma carrière Lucile Quillet décortique pour vous comment sortir de la posture de la “bonne élève” qui arrange tout le monde (sauf elle), et enfin rayonner, asseoir votre valeur et obtenir ce que vous méritez vraiment.
Ce sont de tout petits mots, qui peuvent avoir de grandes conséquences, à force de les utiliser régulièrement. On les glisse machinalement par-ci par-là tout au long de la journée en pensant qu’ils lubrifient notre propos : ils nous évitent de passer pour quelqu’un qui a la grosse tête, on paraît modeste, reconnaissante, inoffensive, polie… Bref, ces petits mots et tournures cochent les cases du conditionnement de femme : rester à sa place, sans aucune velléité de briller plus que nécessaire, voire moins que mérité (puisque nous sommes si humbles).
Évidemment, on ne s’en rend même pas compte la plupart du temps. Vous vous souvenez peut-être de cette épiphanie que j’ai vécue en relisant de vieilles lettres de motivation, où je me positionnais malgré moi comme une personne passive et autorisée ? Eh bien, en tendant l’oreille, j’ai repéré d’autres mots, d’autres expressions absolument inutiles qui peuvent nuire à long terme à notre aura professionnelle.
Je me suis dit qu’il serait judicieux de faire là, ici, tout de suite, un medley de toutes ces expressions à jeter aux orties, histoire d’affirmer sa légitimité et ses réussites… et en profiter pour passer en revue les nouveaux réflexes rhétoriques à adopter.
Dans la catégorie “manque de confiance”
« Je ne te prendrai que deux minutes »
- Ce que l’on veut dire par là : « Je te dérange de façon impromptue mais ce ne sera pas long. »
- Ce que les autres entendent : « Pardon, je ronge de ton temps si précieux, c’est ma faute, je suis un boulet, mais je n’ai pas le choix, sois clément·e. »
- On peut remplacer par : « Je te prends deux minutes », tout simplement : annoncez vos besoins comme nécessaires et professionnels. Votre temps est aussi important que celui de votre interlocuteur. Si vous ne l’énoncez pas comme un problème, ça ne le sera pas. Après tout, tout le monde se dérange tout le temps : ça s’appelle travailler de façon collective (et ce n’est pas la fin du monde).
« Je serais plus que ravie de pouvoir échanger avec vous »
- Ce que l’on veut dire par là : « J’ai très envie de vous rencontrer et poursuivre cet échange, je suis sûre que cela sera fructueux. »
- Ce que les autres entendent : « Ce serait vraiment super sympa de votre part de m’accorder un peu de temps, je suis toute disponible pour me caler dans le moindre interstice de votre emploi du temps. »
- On peut remplacer par : le bénéfice réciproque. « Nous avons beaucoup de choses à nous dire », « je suis certaine que nous gagnerions à nous rencontrer. »
« Pardon »
- Ce que l’on veut dire par là : « Je n’ai pas assuré, je suis désolée, excuse-moi. »
- Ce que les autres entendent : « Pardon, absous-moi de mes fautes, Ô grand(e) maître(sse), sans quoi j’errerai et brûlerai dans les abysses en attendant ta clémence… » Non, vraiment, « pardon », c’est beaucoup trop fort.
- On peut remplacer par : des excuses plus légères et moins graves. « Je suis vraiment désolée », « excuse-moi ». Ok, vous avez fait une erreur, mais pas besoin de faire racheter votre âme non plus.
Dans la catégorie “passivité”
« Cette expérience m’a permis », ou sa variante « j’ai pu apprendre… »
- Ce que l’on veut dire par là : « Voici le contexte dans lequel j’ai progressé. »
- Ce que les autres entendent : « J’ai été nourrie par des éléments extérieurs à ma volonté, mon parcours m’a fait, je n’ai pas fait mon parcours. »
- On peut remplacer par : la première personne du singulier et un verbe d’action, pas de permission. « J’ai appris », « à travers cette expérience, j’ai compris que… »
« J’ai eu de la chance…»
- Ce que l’on veut dire par là : On loue sa bonne étoile d’avoir placé sur notre route le bon job, le bon employeur, la bonne rencontre au bon moment. On fait preuve de modestie face au destin qui abat les cartes selon sa propre logique.
- Ce que les autres entendent : « Je dois ce que j’ai/ce que je suis au hasard, je ne suis pas méritante, je n’ai pas réseauté, ni travaillé, ni tenu bon pour en arriver là : c’est arrivé tout cuit. » En vrai, tout le monde a plus ou moins de la chance à un moment (sauf que tous ne le rappellent pas à chaque fois).
- On peut remplacer par : la joie. « Je suis vraiment contente d’avoir rencontré Machin Machin à ce moment-là de ma carrière », « J’ai alors obtenu ce poste, qui a comblé mes attentes ».
Dans la catégorie “minimisation »
« C’était surtout un travail d’équipe »
- Ce que l’on veut dire par là : « C’est gentil, mais je n’ai pas tout fait toute seule, ça m’a fait plaisir de travailler avec ces gens, ne me donnez pas tout le crédit. »
- Ce que les autres entendent : « Je n’y suis pas pour grand-chose, vous m’honorez trop, arrêtez de me regarder et parler de moi, les autres méritent plus. »
- On peut remplacer par : un générique de fin. Si vous voulez rendre à César ce qui lui revient, très bien, mais ne vous rayez pas des crédits pour autant : « Merci, je suis très satisfaite, nous avons fait une bonne équipe avec Trucmuche, qui a été impressionnant·e sur tout l’aspect logistique. »
« J’ai fait une petite présentation », « j’ai fait un petit point »
- Ce que l’on veut dire par là : « J’ai fait ça rapidement avec aisance et spontanéité, tout comme je vais t’en parler. »
- Ce que les autres entendent : « J’ai fait ça, mais ça ne vaut pas grand-chose, ne croyez pas que c’est incroyable ou parfait, ça aurait même pu être mieux. »
- On peut remplacer : en supprimant le « petit ». D’un coup, tout a plus de prestance et de sérieux, tel que votre travail mérite d’être considéré.
« Merci, mais ce n’était pas grand-chose »
- Ce que l’on veut dire par là : « Merci, ça n’était pas douloureux, ça m’a fait plaisir. »
- Ce que les autres entendent : « Merci, mais vous avez tort et vous vous trompez, arrêtez de me complimenter. »
- On peut remplacer par : un silence après un « merci » et un sourire. Ou tirer le fil pour raconter les coulisses : « J’ai beaucoup appris sur ce projet », « cela me tenait à cœur », « cela me donne de l’énergie pour la suite ».
Dans la catégorie « déresponsabilisation des autres »
« Ils sont sympas quand même »
- Ce que l’on veut dire par là : « Je me sens respectée et bien ici, mon employeur est flexible, je sais qu’ailleurs ce n’est pas le cas. »
- Ce que les autres entendent : « J’ai de la chance, ils pourraient ne pas être aussi sympas mais ils le sont, ce sont de grands seigneurs charitables. »
- On peut remplacer par : une vision plus horizontale. « Je suis contente d’être dans une entreprise qui respecte ses salariés, c’est important pour moi », « mon employeur est réglo, c’est malheureusement rare de nos jours ».
« Désolée de vous couper mais il ne nous reste que cinq minutes… »
- Ce que l’on veut dire par là : « J’aimerais ne pas avoir à le faire mais je dois vous rappeler à l’ordre malheureusement pour que tout se déroule au mieux. »
- Ce que les autres entendent : « Je ne suis navrée, excusez-moi, mais je n’ai pas le choix, désolée d’être impolie, c’est ma faute. »
- On peut remplacer par : la réalité pragmatique : « Je dois vous couper car il ne nous reste que cinq minutes d’entretien. » Ce n’est pas votre faute si la personne n’est pas synthétique et doit être recadrée. Vous répond-t-elle « je suis navrée, je ne suis pas synthétique, je sollicite votre temps plus que prévu, je vais faire court » ? Pas toujours, elle peut même considérer qu’il est légitime d’être un peu vexé (puisque vous êtes désolée de la couper). Ne soyons plus désolée à la place des autres.
Vous avez le droit d’être humble, de partager les compliments, de vous excuser (et de vous planter)… Le but de l’exercice n’est pas de surjouer la confiance en soi, mais de ne plus se présenter à votre entourage comme un paillasson sur lequel on peut s’essuyer sans souci. Ce ne sont que des mots, mais ils traduisent aussi la façon dont vous vous percevez dans le monde professionnel. En parlant différemment aux autres, c’est avant tout vous-même qui vous considérerez autrement.
Édité par Éléa Foucher-Créteau ; Photo Thomas Decamps
Inspirez-vous davantage sur : Lucile Quillet
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