Favoritisme au travail : la tolérance 0 est-elle essentielle ?

22 févr. 2023

5min

Favoritisme au travail : la tolérance 0 est-elle essentielle ?
auteur.e
Gabrielle de Loynes

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L’air de rien, le copinage au travail est un phénomène largement répandu. Fléau vecteur d’inégalités pour les uns, il est humainement inévitable pour les autres. Mais face au favoritisme, mieux vaut fermer les yeux ou appliquer la politique « tolérance 0 » ? Conversation sans langue de bois avec nos experts du Lab, Laetitia Vitaud et Ludovic Girodon.

Copinage ou favoritisme : de quoi parle-t-on ?

On connaissait le très décrié népotisme en politique ou dans les entreprises familiales. Cette attitude qui consiste à user de son influence pour procurer un avantage ou offrir un poste à son cousin, sa sœur, son meilleur ami. Mais connaissez-vous le favoritisme ? Sorte de copinage au travail, il revient à attribuer des avantages à un salarié plutôt qu’à un autre, par affect et non par mérite. De certaines affinités à une réelle amitié, voire un sentiment amoureux, le favori jouit, de fait, d’un statut particulier. Montant de la rémunération, nombre de jours de télétravail, promotion ou simples marques d’attention et de considération, le copinage revêt bien des formes en entreprise, se montrant plus ou moins discret. Mais que lui reproche-t-on exactement ? Et, à compétences égales, peut-on nous blâmer de favoriser celui qui nous est cher, plutôt qu’un parfait inconnu ?

Le principal problème du favoritisme tient en un mot : inégalité. Car, de cette différence de traitement entre deux salariés, résultent de nombreuses conséquences négatives : sentiment d’injustice, ambiance de travail dégradée, baisse de productivité, jalousie, démotivation… « De manière globale, résume Helena González-Gómez co-auteure de l’étude Inégalités sociétales, corruption et inégalités relationnelles dans les organisations (2021), les résultats sont évidents : lorsque le département RH de votre entreprise favorise plus qu’elle ne laisse place à la méritocratie, cela a un impact clairement négatif sur l’engagement au travail. Les employés se sentent de facto moins impliqués et moins concernés car ils ont le sentiment d’être traités de manière injuste par leur employeur. » Quand le copinage est érigé en pratique officielle, il porte donc préjudice au bon fonctionnement de l’entreprise. Mais faut-il pour autant bannir toute relation personnelle au travail ? À l’inverse, ne peuvent-elles pas être bénéfiques : plus on est amis, plus on travaille aussi ?

C’est ce que révèle en partie l’étude « Relationships at work » menée par LiveCareer en 2022. Sur un panel de 1 100 employés, la grande majorité reconnaît sans hésiter les avantages à entretenir une relation personnelle ou amicale au travail. Selon les personnes interrogées, travailler avec un ami augmenterait la satisfaction au travail (83 %), améliorerait la communication (83 %), favoriserait le sentiment de confiance (81 %), accroîtrait la productivité et la collaboration (81 %). Ami et collègue seraient donc le combo gagnant. Mais ces bénéfices prêchent-ils pour autant en faveur du favoritisme ? Pas tout à fait. Car, à en croire cette même étude, nombreux sont ceux qui jugent nécessaire de mettre fin à une relation au travail, si elle conduit à la diffusion de potins au bureau (32 %), à la promotion d’un ami (23 %), ou à un traitement inégal par l’employeur (15 %). En clair ? Collègues et amis : oui, mais pas à n’importe quel prix.

Managers, comment réagir au favoritisme ?

Le plus souvent, le manager ne commet pas de discrimination flagrante entre deux collaborateurs aux compétences égales. Le copinage est bien plus insidieux. Il se dissimule dans de petites faveurs accordées à l’un plutôt qu’à l’autre, par affection ou par considération. Comment le reconnaître et réagir ? Voici les astuces de nos experts.

Comment faire la différence entre de simples affinités et du favoritisme ?

Laetitia Vitaud : Les affinités au travail sont parfaitement naturelles. Elles ne constituent pas un problème en soi. À la différence de simples affinités, le favoritisme entraîne, quant à lui, un traitement préférentiel. Ce traitement distinct n’est pas fondé sur des critères objectifs, mais sur un jugement personnel. Cela conduit inévitablement à développer un sentiment d’injustice ou d’iniquité dans une organisation.

Ludovic Girodon : Il est vrai que les affinités sont impossibles à éviter dans la vie, comme au travail. C’est tout à fait normal d’être attiré par certaines personnes et repoussé par d’autres. Ce qui distingue les affinités du favoritisme, c’est une histoire de curseur. Car, quand on laisse ces affinités prendre le pas sur nos actions, ou nos décisions, cela devient du favoritisme. Or, ce traitement de faveur a un impact sur l’équipe. Il met à mal les trois piliers, vecteurs de confiance entre une équipe et son manager : la transparence (les autres ne comprennent plus le fonctionnement de l’équipe), l’empathie (le manager ne se met pas à la place de l’équipe) et la cohérence (il sort de toute réflexion rationnelle).

Comment prendre conscience que l’on fait du favoritisme ?

Ludovic Girodon : C’est compliqué pour le manager de s’en rendre compte puisqu’il est lui-même générateur de ce dysfonctionnement. Il n’y a pas de recette miracle, mais la première chose est de savoir si on est capable de prendre du recul, de se remettre en cause et de se poser des questions. Plus on est capable de le faire, plus on est à même de percevoir le traitement de faveur. La capacité à se remettre en question est une qualité essentielle du manager. Sa perception des autres et son empathie envers le reste de l’équipe doivent aussi lui permettre de s’en apercevoir. Si le manager a instauré un climat d’écoute et de confiance, l’équipe est en capacité de lui parler. Cela demande au préalable d’instituer une véritable culture du feedback.

Laetitia Vitaud : Parfois, on assiste au schéma inverse. Certains managers ont une relation d’amitié ou familiale avec un collaborateur et s’interdisent, par principe, de le valoriser ou de promouvoir son travail. C’est le cas notamment chez les professeurs qui comptent dans leur classe un de leurs enfants. On observe qu’ils ont tendance à le noter très sévèrement, plus durement que ce qu’il mérite. Un traitement de défaveur adopté par réflexe, pour éviter de donner l’impression qu’ils font du favoritisme ou qu’ils en font des chouchous. C’est également un problème.

Comment réagir face à un salarié qui se sent lésé ?

Ludovic Girodon : Il est rare qu’un collaborateur se confie à son manager sur une problématique de favoritisme. Si c’est votre cas, il ne faut pas hésiter à mettre les pieds dans le plat : poser des questions, s’excuser et reconnaître ses erreurs. Admettez que vous passez du temps avec untel et que vous vous rendez compte que cela a un impact sur l’équipe. Il faut se questionner, écouter et surtout agir en conséquence. Engagez-vous à rectifier ça. Concrètement ? Vous pouvez repousser les moments partagés avec ce collègue en dehors du temps de travail. N’hésitez pas à passer d’autant plus de temps avec la personne lésée. Soyez vigilant sur l’écoute, la disponibilité et la réactivité dont vous lui témoignez.

Laetitia Vitaud : En fait, je crois qu’il n’y a qu’une seule façon de réagir devant un collaborateur qui nous partage un sentiment d’injustice : l’écouter et lui donner l’opportunité de s’exprimer, sans être immédiatement dans le déni. Ensuite, pour éviter ce type de situation de conflit d’intérêts il faut mettre en place des procédures concrètes.

Justement, comment éviter concrètement le favoritisme ?

Laetitia Vitaud : En établissant des critères clairs et objectifs dans ses prises de décisions et ses actions ! Il faut aussi être conscient de ses préférences personnelles. Dès lors qu’on en a connaissance, on peut soigneusement éviter de se mettre dans une situation où on risque d’adopter des comportements de favoritisme. C’est comme la notion de conflit d’intérêts, il faut appliquer le principe de précaution : on essaie de ne pas prendre de décision quand on se trouve dans une situation à risque. En cas de doute, peut-être faut-il se demander : si c’était révélé au grand public, est-ce que j’en serai gêné ou pas ?

Ludovic Girodon : En matière de favoritisme, la prévention est, il me semble, plus utile que la guérison. Elle passe par un cadre égalitaire : des têtes à têtes avec chacun des membres de l’équipe, d’une même durée. Le manager doit essayer de faire en sorte que son agenda soit symétrique. Il faut y intégrer des moments où on parle boulot mais aussi des temps d’échanges informels où la parole est libérée. C’est important de se montrer très rigoureux sur le respect de ces points-là. Pour prendre de la hauteur sur sa pratique managériale, il est bon de se mettre des rituels, des rendez-vous avec soi-même. Cela peut être un temps de seulement quinze minutes bloqué dans l’agenda. Enfin, une autre manière de prendre du recul est de bénéficier d’un regard extérieur, celui d’une personne de confiance avec qui on peut discuter de ses pratiques managériales.

Certes, les affinités sont on ne peut plus banales. Cependant elles ne sont pas sans conséquence. De petites affinités, au copinage ou, pire, au favoritisme, il n’y a qu’un pas. Pour éviter d’en arriver là, managers : soyez vigilants. Prenez du recul, cultivez le doute et la remise en question de votre pratique managériale et, surtout, montrez-vous à l’écoute. Il y a peut-être dans votre équipe un collaborateur qui bénéficie d’un traitement de faveur…

Article édité par Mélissa Darré, photo : Thomas Decamps pour WTTJ.

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