Comment féminiser ses offres d’emploi ?
01 juin 2020
6min
Rédacteur
La diversité fait la force, ce n’est plus à prouver ! Pourtant, si la performance des équipes s’améliore avec elle, la parité n’est pas encore un réflexe pour les entreprises. Comment remédier à cette fracture dès la phase de recrutement ?
On le sait, les équipes les plus performantes sont aussi les plus diverses (la diversité de genre est même un facteur de compétitivité qui peut améliorer la performance jusqu’à 15%). Or, en Europe, seul un manager sur trois est une femme. Dans certains secteurs, comme la tech, la fracture est encore plus visible.
Un changement lexical, dès le recrutement, peut-il être la clé vers plus de mixité dans des secteurs pénuriques ? Si l’on se fie à la découverte de Goldman Sachs, la réponse est oui. En 2013, la banque d’investissement avait retiré de ses offres d’emploi et de ses campagnes de communication le terme « agressive» (agressif). Résultat : les candidatures féminines avaient bondi de 50 %. Même constat chez Atlassian, qui a vu ses candidatures féminines bondir de 80% après avoir banni des expression telles que « Recherche ninja du codage informatique » de ses annonces.
Quelques mots mal choisis et c’est tout un pan de la population qualifiée qui ne sent pas concerné par l’offre d’emploi. Tour d’horizon des bonnes pratiques pour éviter le faux-pas excluant.
« Ce n’est pas ce que vous dites, c’est la manière que vous avez de le dire qui heurte les personnes. »
Jeanne Bordeau, linguiste et fondatrice de l’institut de la qualité d’expression
Les limites juridiques
La loi est très claire : il n’est pas possible de mentionner dans l’offre d’emploi que le poste est réservé aux femmes (et inversement). Il y a tout de même une exception : vous pouvez indiquer le sexe du candidat recherché si l’appartenance à l’un ou l’autre sexe est une condition déterminante de l’exercice d’un emploi (exemple : casting d’artistes, mannequins…)
Au nom de la lutte contre les inégalités entre hommes et femmes, certains accords, dans le cadre d’un plan pour l’égalité professionnelle peuvent autoriser de favoriser temporairement le recrutement des femmes dans les secteurs qui en manquent, mais le poste ne peut pas être réservé uniquement aux femmes. Dans le cadre d’un « plan pour l’égalité entre les femmes et les hommes », vous pouvez écrire dans l’offre : « à compétences égales, priorité aux candidatures féminines ».
Choisissez précautionneusement les mots sur votre annonce
Abondant dans le sens de l’expérience vécue par Goldman Sachs, une étude Linkedin a montré que certains mots peuvent avoir un effet dissuasif auprès d’une audience féminine. C’est le cas de l’adjectif “exigeant” : une femme sur 4 s’autocensure face à un environnement de travail décrit comme exigeant, selon cette étude.
Une femme sur 4 s’autocensure face à un environnement de travail décrit comme « exigeant »
A l’inverse, certains adjectifs utilisés dans la description des soft skills du candidat recherché encouragent davantage les femmes à postuler. C’est le cas pour « optimiste », « méticuleux/se/rigoureux/se » ou encore « confiant.e ». Selon cette même étude, cette différenciation linguistique se ressent même lors des entretiens : tandis que les hommes se définissent aisément comme «puissant.e », « volontaire » et « confiant.e », les femmes choisissent davantage des adjectifs comme « sympathique » et « coopératif/ve » pour se définir.
L’étude Linkedin relève aussi une autre constante. Si à l’issue d’un entretien professionnel l’objectif pour l’homme comme pour la femme consiste à convaincre, l’image souhaitant être projetée n’est pas la même : les hommes chercheront à démontrer leur honnêteté quand les femmes chercheront à démontrer leur compétence.
Il n’y a pas que les mots eux-mêmes, il y a aussi les concepts : les descriptifs de poste et annonces qui laissent imaginer une compétition intense et un individualisme forcené ont tendance à rebuter davantage les femmes. En effet, elles ont souvent été éduquées dans l’idée qu’il fallait s’effacer derrière le collectif et servir l’équipe avant tout. Par conséquent, les textes qui mettent en avant l’importance du collaboratif et l’esprit d’équipe sont susceptibles de séduire davantage les femmes. C’est pour cette raison que l’entreprise Slack insère dans ses messages des expressions telles que « avoir à cœur » ou « relations durables », statistiquement plus susceptibles d’attirer les candidatures féminines.
Rédigez votre annonce de manière inclusive
Dès la conception de l’annonce, il s’agit de commencer par adopter une écriture inclusive. Celle-ci consiste à mentionner la dénomination au masculin comme au féminin et à le métier visé. Attention : ce type d’écriture doit se retrouver dans l’intégralité de l’annonce et non se cantonner au seul intitulé de poste.
Evitez l’emploi d’adjectif genré terminant par un participe passé par défaut et préférez leurs des mises en formes neutres comme « confirmé.e », « expert.e », « motivé.e ».
Pour la linguiste et artiste Jeanne Bordeau, cela permet d’éviter un biais majeur de perception des annonces : celui du niveau de responsabilité attribué aux métiers eux-mêmes. « Il y a une imprégnation culturelle qui connote des rôles attribués aux métiers, en fonction du genre du mot» explique-t-elle. «La différenciation de perception la plus marquante est celle entre “la secrétaire” et “le secrétaire”, ce dernier renvoyant presque implicitement au titre de “secrétaire général”. » Il en va de même pour la boulangère, qui vend le pain, et le boulanger qui le pétrit, ou encore de la “nourrice” pour lequel il n’existe même pas d’équivalent masculin tellement le métier est rattaché à un genre. «La langue c’est comme l’imprégnation de tout un mode de pensée : ce n’est pas uniquement un outil. Cela raconte une culture, des induits, des connotations culturelles. »
Faites de l’IA votre alliée
Le contenu discriminant des messages n’apparaît pas toujours d’emblée.
Textio, une start-up originaire de Seattle, propose aux entreprises un outil d’intelligence artificielle qui analyse la performance de leurs communications. Parmi les données analysées : les éléments de langage appropriés à la cible recherchée. Une de leurs études basée sur plusieurs centaines de millions d’offre d’emploi révèle que les femmes ont moins tendance à postuler que les hommes à une annonce qui contient le verbe «diriger ». Kieran Snyder, directrice générale de Textio explique : « si l’on change le verbe “diriger” par “construire”, les réponses à l’annonce sont bien différentes ». Les résultats sont probants : grâce à Textio, Johnson & Johnson annonce avoir enregistré une hausse en 2018 de 90 000 candidates (soit une hausse de 9% par rapport à 2017). Fait rare pour être souligné, cette startup tech, cofondée par Kieran Snyder bénéficie d’une mixité homme/femme de 50%.
Mentionnez les perspectives d’évolution et l’ambiance de travail
« L’évocation d’une possibilité d’évolution, d’un accompagnement ou d’une formation continue constitue une piste intéressante pour permettre aux femmes d’acquérir le boost de confiance dont elles peuvent avoir besoin dans leur vie professionnelle. »
Joanna Kirk, entrepreneuse et co-directrice de StartHer
Si votre offre d’emploi doit valoriser l’ambiance de travail (critère d’attractivité N1 tous genres confondus), la flexibilité horaire et géographique ne doit pas être mise de côté : D’après une étude Indeed 2019, les femmes priorisent davantage que les hommes les questions d’horaires (69% contre 59% pour les hommes) plutôt que la distance domicile/bureau (78% contre 67% pour les femmes) et l’équilibre vie pro/vie perso (70% contre 61%).
N’oubliez pas, en matière de recrutement « les femmes attirent les femmes », aussi veillez à impliquer les personnalités féminines de votre top management ou des collaboratrices lors des entretiens de recrutement. Pour aller plus loin, organisez autant que possible des entretiens de recrutement faisant intervenir un duo d’intervieweurs mixtes. C’est là le meilleur moyen de montrer que les perspectives d’évolution ne sont pas un vain mot.
Enfin l’intégration de profils plus féminins peut être facilité par la mise en place d’un programme d’accompagnement ou d’une formation interne. L’idée d’après Joanna Kirk rejoint la raison d’être de la promotion de rôles modèles : montrer aux femmes qu’elles ne sont pas seules.
Pour aller plus loin, le think tank des entreprises technologiques en hyper-croissance The Galion Project a édité le Gender Agreement, un outil pour aider les entrepreneurs de la tech à instaurer un meilleur équilibre hommes/femmes dans leurs équipes.
Illustrez votre annonces grâce aux « rôles modèles » féminins
Si vous souhaitez faire référence à des personnalités inspirantes (réelles ou issues de la pop culture), veillez à citer aussi bien des rôles modèles féminins que masculins.
L’occasion de rappeler d’abord que la pop culture regorge de figures de femmes puissantes. Outre Wonder Woman, citons pêle-mêle Harley Quinn (Batman), Claire Underwood (House of Cards), Shuri (Black Panther), Buffy Summers, Trinity (Matrix)… Pour des exemples IRL, piochez vos exemples de « rôles modèles » dans votre entreprise : via une galeries de “portraits” sur le site de l’entreprise, des personnes qui prennent la parole dans des séminaires ou conférences ou dans les médias… ou vous-même en tant que recruteuse.
Par ailleurs, comme le souligne Joanna Kirk, experte en stratégie de communication, la liste des 20 femmes à suivre dans l’année éditée par StartHer présente des entrepreneuses inspirantes, des « rôles modèles » issus de différents domaines qui sont autant d’héroïnes contemporaines du quotidien auxquelles les femmes peuvent s’identifier.
Gare à l’abondance des critères de sélection
Afin de permettre à un maximum de femmes de candidater veillez à limiter le nombre de critères de sélection dans votre annonce.
Ces critères sont autant de barrières pour les candidats et plus encore pour les femmes, plus à même de souffrir du syndrome de l’imposteur. D’après Joanna Kirk, les profils féminins vont être tentés de répondre à la majorité des critères qui sont listés dans l’annonce avant de répondre. Peut-être faut-il y voir une autre façon de faire par rapport à des profils masculins qui se disent « j’aurai le temps d’apprendre, je vais me débrouiller ». « Je me lance et puis je m’adapte après ».
« Dès l’offre d’emploi, les profils féminins auront tendance à s’auto-censurer quand elles se poseront des questions du type « est-ce que je remplis l’ensemble des critères ? ». Autant de critères qui sont susceptibles de les dissuader de postuler. »
Joanna Kirk, entrepreneuse et co-directrice de StartHer
Démontrez votre engagement (sincère) sur les questions d’égalité des genres
Comme le souligne Joanna Kirk, pour espérer voir infuser de l’inclusivité dans une organisation, l’idée est d’y penser dès le lancement de l’entreprise au travers du duo complémentaire d’un cofondateur et d’une cofondatrice.
Dès l’annonce, l’entreprise doit être en mesure de démontrer son engagement sincère dans la défense de la valeur “inclusion” et présenter ses actions concrètes (rédaction d’une charte d’inclusivité, participation à des évènements féministes, soutien à des associations ou des organismes prônant une plus grande représentation des femmes dans l’entreprise que ce soit dans ses effectifs comme dans sa direction). Il conviendra de montrer et de prouver que vous êtes une entreprise qui ne fait aucune distinction entre femmes et hommes grilles de salaires transparentes, règles promotionnelles, prises de paroles et de décision).
Exemple : la startup Germinal a mis en place une grille salariale avec des critères précis et rendus public dès l’entretien de manière à neutraliser toute inégalité dans la négociation salariale.
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