La force des discrets : en finir avec l'injonction de l'extraversion
25 févr. 2020
4min
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Fondateur, auteur, rédacteur @Word Shaper
On a tous un collègue qui prend un peu plus de place que les autres, une amie qui parle avec plus de bagout, un frère ou une soeur qui se met plus facilement en avant lors des réunions de famille… Ce type de comportement est généralement celui des extravertis. Il est souvent valorisé parce qu’on l’assimile à une forme de confiance en soi et à une capacité presque innée à sociabiliser. On a tendance à idéaliser davantage ceux qui prennent la parole, qui ont des opinions et les exposent avec aisance.
Qu’en est-il des autres ? Ceux pour qui tout cela semble plus compliqué, ceux pour qui être sur le devant de la scène n’est pas évident, voire suscite de la peur et de l’angoisse ? Ce sont les introvertis, ceux dont Susan Cain, coach et consultante américaine, veut redorer le blason dans son ouvrage La Force des discrets, sous-titré le pouvoir des introvertis dans un monde trop bavard. Ses recherches à la fois sociologiques, psychologiques et biologiques, démontrent que la sensibilité des introvertis a souvent permis aux plus grands projets d’aboutir et aux grandes entreprises de réussir._
L’extraverti : un idéal social
Dans notre société du spectacle, comme nous le rappelle Guy Debord dans son ouvrage éponyme, la popularité se mesure en nombre de followers ou de likes. On applaudit ceux qui savent se mettre en scène, ceux qui relèvent des défis, ceux qui font rire ou qui, tout simplement, savent se faire entendre. La personnalité extravertie est souvent celle qui suscite le plus de convoitises dans le monde professionnel car considérée comme plus apte à travailler en équipe, à exprimer des idées : l’extraverti serait à l’aise en toute situation. À l’inverse, les personnalités introverties sont souvent associées à un profil solitaire, asocial, timide, distrait ou taiseux, à qui l’on n’aurait pas grand chose à envier.
Dans son ouvrage, Susan Cain évoque la prédominance de la “culture du caractère” jusqu’au XXème siècle. En d’autres termes, les personnes intègres, humbles, tempérées et avec les plus grandes valeurs morales étaient respectées : un modèle qui était, selon l’auteure, favorable aux introvertis, donc. Nous aurions ensuite migré vers une “culture de la personnalité”, plus favorable, cette fois, aux extravertis. En effet, avec l’arrivée du capitalisme, il est devenu impératif de faire bonne impression et d’avoir du bagout pour pouvoir vendre son produit ou son service, mais aussi pour se vendre soi.
Selon l’auteure américaine, il y aurait même aujourd’hui dans la société un “idéal extraverti”. Les introvertis y vivraient « comme des femmes vivant dans un monde d’hommes. » C’est ainsi que les personnalités introverties (estimées à 30%-50% de la population) auraient tendance, selon Susan Cain, à jouer un rôle au quotidien pour tenter de répondre aux attentes de la société et tendre vers l’idéal extraverti : déjeuner avec ses collègues alors que l’on préfèrerait un moment de solitude, suivre une formation de prise de parole en public pour enfiler le costume du parfait orateur…
Les qualités de l’introverti
Comme le titre de son ouvrage l’indique, Susan Cain souhaite célébrer les qualités souvent inhérentes aux personnalités introverties et pourtant souvent sous-estimées. Elle explique que les personnes introverties sont moins concentrées sur leur propre ego et donc moins obsédées par leur succès personnel, elles seraient ainsi plus enclines à développer et faire prospérer de façon efficace une entreprise par exemple. De la même façon, leur humilité leur permettrait d’écouter et de faire participer davantage leurs collaborateurs à la prise de décision.
Cain consacre aussi une partie de son ouvrage à rappeler que le travail de groupe a tendance à tuer la créativité plutôt qu’à la stimuler. En effet, dans de nombreuses institutions (écoles, universités, entreprises, associations), il est demandé de savoir travailler en groupe, de mener des projets ensemble, voire parfois de s’adapter à un open space. En bref, le travail de groupe est idéalisé dans toutes les sphères de la société. Pourtant, ne sommes-nous pas plus apte à développer des idées lorsqu’on est seul ? Selon Susan Cain, c’est précisément cet instinct qui pousse les introvertis à s’isoler plus que les autres et à mener une réflexion plus efficace que celle des groupes. Comme ils percevraient les stimulations extérieures plus intensément, ils auraient davantage besoin de calme pour s’en protéger.
De l’importance du choix de carrière
La coach explique dans son livre que les personnes introverties ont tendance à moins s’écouter que les autres, à mettre leurs propres envies et émotions de côté pour jouer le rôle que l’on attend d’elles. Cependant, si elles sont un jour amenées à sortir de leur zone de confort au cours de leur carrière, les personnes introverties le feront plus facilement si elles sont passionnées par leur domaine d’activité. Cain convoque l’exemple de deux avocates introverties pour illustrer son propos. L’une est épanouie bien qu’elle se fasse violence pour prendre la parole en public car elle travaille dans l’humanitaire et que son métier a du sens pour elle. En revanche, sa collègue exerce dans un domaine qui ne la passionne pas et chaque plaidoirie la rend malade. Le choix est vite vu, non ?
Si vous êtes plutôt introverti et faites le choix d’un métier qui ne vous passionne pas, assurez-vous qu’il vous apporte néanmoins des conditions propices à vos besoins d’introverti. C’est-à-dire, par exemple, la possibilité de télétravailler ou d’avoir un bureau personnel plutôt qu’une place en open space.
La complémentarité des introvertis et extravertis
Loin de penser que les introvertis ne sont pas faits pour s’entendre avec les extravertis, Susan Cain est convaincue que ces deux personnalités sont complémentaires et que leur collaboration est nécessaire, notamment en entreprise. Ils ont beaucoup à s’apporter mutuellement, à condition néanmoins de savoir communiquer correctement. En effet, selon l’auteur, les uns ont généralement tendance à vouloir éviter le conflit à tout prix, tandis que les autres ont tendance à maîtriser les joutes verbales. Cain recommande de parler en toute transparence de ces différences et des préférences de chacun pour parvenir à des compromis constructifs. Cela peut consister, par exemple, à dire clairement à votre collègue un peu trop bavard de vous laisser seul lorsque vous avez besoin de calme pour réfléchir et avancer sur un dossier. À l’inverse, vous pouvez définir des moments où vous serez ensemble pour mettre vos idées en commun.
Dans cet ouvrage très riche, Susan Cain écrit : « Le secret de la vie consiste à se placer dans la bonne lumière. Pour certains ce sont les projecteurs d’Hollywood, pour d’autres le halo ouaté d’une lampe de bureau ». De Chopin, à Bill Gates en passant par Gandhi, les recherches de Cain sont finalement une belle illustration du fait que les introvertis ne sont pas forcément les timides maladifs que l’on imagine. Ils ont aussi la créativité qu’il faut pour rayonner dans de grandes entreprises, en politique ou encore dans les arts. Comme souvent, pour une cohabitation et une collaboration positive au travail, l’essentiel est surtout d’avoir envie de comprendre l’autre et son fonctionnement.
Photo by WTTJ
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