« Lors d'une crise, si on n’obtient pas l’adhésion de ses équipes, on est cuit »

23 mars 2020

4min

« Lors d'une crise, si on n’obtient pas l’adhésion de ses équipes, on est cuit »
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La situation inédite engendrée par la crise sanitaire du Covid-19 a forcé employeur.e.s et collaborateurs/ trices à réévaluer leurs tâches et leurs rythmes de travail en un temps record. Au gré des annonces gouvernementales, les décideur.e.s adaptent leurs actions et leurs stratégies, alors que les collaborateurs / collaboratrices tentent de maintenir le cap. Comment organiser ses ressources de sorte à rester le plus agile possible ? Comment communiquer avec ses équipes en période de crise ? Selim Miled, président du cabinet de conseil en gestion de crise « Crisalyde », partage son expérience.

WTTJ : Les entreprises auraient-elles pu anticiper une telle crise?

Nous avons un long historique de pandémie dans l’histoire de l’humanité, avec quelques aperçus au cours des dernières décennies. La crise de la grippe H1N1, par exemple, nous a permis d’avoir une idée de ce à quoi on pouvait s’attendre. Ebola aussi nous a montré comment une maladie pouvait se propager dans le monde tel qu’on le connaît. Lorsqu’on réfléchit en terme de « gestion de risques », on dispose des éléments pour anticiper ce type d’épidémie et de l’impact qu’elle peut avoir. Mais ce n’est pas parce qu’on sait qu’un astéroïde peut s’écraser sur Terre qu’on va investir pour mettre un bouclier en métal autour de la planète. On savait que c’était possible, mais la probabilité pour que cela arrive était relativement faible pour que finalement ça n’inquiète pas outre mesure. La gestion de crise c’est toujours une histoire d’arbitrage entre le risque encouru et ce que ça coûte de s’y préparer. En l’occurrence, ici, le monde entier a considéré que ça ne valait pas le coup de se préparer à une crise de cette ampleur là.

« Moins de 20 % des entreprises avaient un PCA (Plan de continuité d’activité) adapté aux événements de la crise sanitaire actuelle. »

Pourtant, certaines entreprises avaient intégré un volet pandémie à leur PCA (Plan de Continuité d’Activité, un document élaborant les probabilités de risques et les différents scénarii pour continuer l’activité)…

Oui, mais il s’agit d’une minorité. Je dirais que moins de 20% des entreprises avaient un PCA (Plan de continuité d’activité) adapté aux événements de la crise sanitaire actuelle. La première raison est culturelle, en France nous avons une culture très régalienne qui augmente nos attentes vis-à-vis de l’État quant à la résolution des problèmes, et baisse notre niveau de préparation. Ensuite, dans notre culture latine, nous sommes essentiellement dans un principe de réaction immédiate, qui retombe très vite : après la crise financière de 2008, il y a eu un pic où les entreprises ont créé leurs PCA pendant deux ans… qu’elles n’ont jamais actualisé depuis. Enfin, beaucoup d’entreprises avaient des PCA mono-thématiques, sur la question sécuritaire, par exemple. Après les attentats de 2015, un marché a été lancé sur toute la France pour former les universités, écoles, rectorats à la gestion de crise. Depuis 4 ans, ce travail porte exclusivement sur des problématiques de type sécuritaire. Aujourd’hui, malgré tous ces efforts, beaucoup se retrouvent démunis face à cette pandémie, comme si rien n’avait été fait.

Quel est l’intérêt de l’élaboration d’un PCA aujourd’hui ?

Ce n’est pas parce que la crise a commencé qu’il est trop tard pour en faire un. Le premier intérêt c’est de réussir à absorber l’impact de la crise en permettant la continuité des activités et surtout d’arrêter au plus tôt et dans les meilleures conditions les activités non essentielles, pour réallouer les ressources sur les fonctions prioritaires et critiques qu’on veut maintenir. Le deuxième intérêt est de se préparer à des indisponibilités personnelles, type arrêt de travail ou maladie. Enfin, le troisième intérêt : anticiper au mieux la reprise des activités, puisqu’on aura mieux absorbé l’impact pendant la crise et préservé ses ressources de sorte à ce qu’on se projette plus vite et plus concrètement sur le redémarrage.

Par quoi commencer ?

Il faut savoir qu’on ne fera pas aujourd’hui un PCA dans les règles de l’art, étant donné qu’il faut agir en urgence. Aujourd’hui, on va être sur du jetable : ce plan de continuité ne pourra pas être réutilisé pour une autre crise. C’est un travail qui concernera les 8 prochaines semaines. Chaque PCA est évidemment dépendant du secteur d’activité, du nombre de salarié.e.s, mais les étapes sont globalement les mêmes. Tout d’abord, passer par les managers de proximité pour identifier les besoins, collaborateurs par collaborateurs. Voici les questions à se poser :

  • Est-ce que cette personne est en capacité de poursuivre son travail et dans quelles modalités (télétravail ou pas) ?
  • Si elle est capable techniquement de poursuivre son travail, est-ce que cette personne a toujours quelque chose à faire ou pas ?
  • Si oui : est-ce que ces tâches sont prioritaires dans le contexte ?
  • Et si non, est-ce qu’on peut réallouer cette personne à un autre secteur d’activité qui aurait besoin de ressources ?

Si on a répondu oui à toutes ces étapes, il faut créer des backups, de façon à ce que l’activité se poursuive en cas d’arrêt maladie. Puis, il faut anticiper plusieurs scénarii, plusieurs mois à l’avance et les actualiser. Il y a deux semaine, nous avions 8 scénarii d’évolution de la crise (le confinement était une des options). Cette semaine, on en a 4 à peu près. À chaque fois qu’un élément majeur dans la situation nationale évolue, on active tel scénario et à chaque fois qu’on prend un embranchement dans les scénarii, on réévalue la branche. Actuellement, il faut tabler sur une réévaluation quasi hebdomadaire des scenarii. Enfin, il est nécessaire de constituer une cellule de crise efficace et agile : pas plus de 6 personnes et ne pas hésiter à la séparer entre la cellule « stratégie » et la cellule « opérationnelles » ou « métiers ».

« Une cellule de crise efficace ? Pas plus de 6 personnes. »

Comment communiquer sur ce PCA en interne ?

Je conseille une communication quotidienne ou tous les deux jours minimum à l’ensemble des effectifs. En rappelant les points essentiels : voilà la situation, les rappels du gouvernement, voici ce qu’on a mis en place, ce que vous devez faire et comment ça va vous impacter. Il ne faut pas avoir peur de répéter les messages et de rappeler ce qui ne change pas (ne pas communiquer uniquement sur les éléments qui ont bougés). Le maillon essentiel c’est le management humain. Pour cela, les dirigeant.e.s doivent s’appuyer sur leurs ressources internes, passer par les managers de proximité : c’est vital pour obtenir une adhésion. En situation de crise, si on n’obtient pas l’adhésion de ses équipes, on est cuit.

« En situation de crise, si on n’obtient pas l’adhésion de ses équipes, on est cuit »

Selim Miled

Quid du plan de reprise d’activité ? Quand faut-il y réfléchir ?

Une fois la crise gérée, le plus tôt est le mieux. Comme pour tout, le maître-mot est l’anticipation. Par exemple, certaines entreprises peuvent déjà anticiper un redémarrage très fort, avec une sur commande en sortie de la crise. Exemple avec les événements sportifs et culturels, qui ont été repoussées à peu près au même moment. Il va y avoir une surcharge d’activité et donc un risque de pénurie de main d’œuvre. C’est donc dès maintenant qu’il faut identifier et fidéliser les ressources externes qui vont appuyer l’activité au sortir de cette crise.

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