GRAND ANGLE | Vers l'infini et en-dessous
27 oct. 2021
6min
Photographe chez Welcome to the Jungle
Journalist & Content Manager
Bienvenue dans les entrailles de la Terre, là où des scientifiques font tourbillonner des particules pour pénétrer la matière et répondre à la question à mille protons : mais au juste, d’où vient-on ? Un job passionnant, non ? Pour nous accompagner dans ce voyage intergalactique, Laetitia Bardo, Cheffe de la sécurité pour l’expérience ATLAS au sein du CERN (European Concil for Nuclear Research). Sa mission ? Veiller à la sécurité des quelques 3000 scientifiques qui s’affairent autour d’ATLAS, le plus grand détecteur de particules jamais construit. Un métier de haute voltige dans un milieu encore très masculin.
Que se passe-t-il lorsque des particules entrent en collision à la vitesse de la lumière ? Quelque chose proche du Big Bang. C’est en tout cas l’objet des études de physique fondamentale menées par le CERN (European Council for Nuclear Research), l’un des plus grands laboratoires scientifiques au monde, à cheval entre Genève et le Pays de Gex. L’institution est notamment connue pour son Grand collisionneur de hadrons, un anneau géant de 27 km de circonférence (la distance entre un Paris-Évry tout de même), formé de milliers d’aimants supraconducteurs et doté de structures accélératrices pour accroître l’énergie des particules à chaque passage. Le tube est traversé par quatre détecteurs de particules parmi lesquels ATLAS. C’est dans cette structure que Laetitia exerce son job de cheffe de la sécurité.
8h30. Laetitia arrive de bon matin pour prendre son poste. À première vue, on a l’impression de débarquer dans une zone industrielle un brin désolée. Mais l’essentiel est ailleurs. Enfoui sous terre. Un décor fantasmagorique pimpé d’une fresque grandeur nature peinte sur l’un des innombrables bâtiments que compte le CERN. Édifiée en 1954, cette superstructure est aussi atomisée que la physique des particules qu’elle entend étudier (elle s’étend sur 213 hectares !). Au total, près de 17 500 personnes venues des quatre coins du globe s’affairent ici (10 000 de manière simultanée). Un personnel multiculturel qui fait la joie de Laetitia. « J’ai débuté ma carrière au sein de l’ESA (European Space Agency). Aujourd’hui, je serais incapable de travailler dans un univers franco-français. J’adore me confronter à d’autres nationalités. C’est d’autant plus un challenge dans mon poste que nous n’avons pas tous la même appréhension du risque selon les cultures », lance la jeune femme en pénétrant au pas de course dans un immeuble en apparence ordinaire.
Alors que je trépigne à l’idée de découvrir les installations, il me faudra encore m’armer de patience avant de m’aventurer dans les profondeurs de la “caverne” - le nom donné en interne à l’antre d’ATLAS. Laetitia nous mène d’abord dans la salle de contrôle, l’une de ses trois zones de travail. Une pièce qui joue un rôle fondamental puisqu’aucun physicien ou mécanicien n’est autorisé à descendre sous terre s’il n’est pas supervisé. « En ce moment, la salle est peu remplie car ATLAS connaît son deuxième long arrêt technique. Une phase de récolte de données et de maintenance qui est fondamentale avant la reprise prévue au printemps 2022. Ensuite, lorsque nous serons en phase de “run”, plus personne ne sera autorisé à descendre, sauf dans des cas précis, pour réaliser de courtes maintenances par exemple », nous explique Laetitia.
Dans la salle de contrôle, l’ambiance est calme et quelques personnes chuchotent. Pourtant, le nombre d’écrans présents dans la pièce nous laisse imaginer l’effervescence des grands jours lorsque le détecteur est en période d’activité. Laetitia est notamment en charge des 7 personnes qui composent ce desk. « Cela n’a pas été facile de me faire accepter par cette équipe qui était gérée par un homme plus âgé que moi et qui partageait la même culture que mes collaborateurs (principalement les pays de l’Est). Mais je crois qu’ils ont compris que je n’étais pas là pour leur rentrer dedans mais plutôt pour améliorer leur quotidien. Je pense que l’on peut recadrer gentiment si l’on fait toujours preuve de droiture », nous confie Laetitia qui affirme s’évertuer à se montrer ferme sans jamais sombrer dans l’autoritarisme.
Laetitia nous conduit désormais sur son terrain de jeu favori. Nous découvrons alors un hall de surface gigantesque, et surtout ce puits vertigineux par lequel les équipements sont acheminés tout droit vers le cœur d’ATLAS. Mon cœur bondit alors que je me penche depuis la plateforme verte au-dessus de ce vide intersidéral. « Les manœuvres sont extrêmement périlleuses, car il y a très peu de jeu pour faire descendre le matériel à 100 mètres sous terre », explique notre interlocutrice.
Arrivés nez à nez avec ce panneau, nous nous sentons comme dans un épisode de “Dark”. Question plus que légitime pour des néophytes : quel est le taux de radioactivité du site ? D’autant plus que le dosimètre accroché au cou de Laetitia n’est pas de nature à nous rassurer. « Simple mesure de sécurité !», nous réconforte-t-elle. « En réalité, le véritable danger concerne le travail en hauteur, d’autant plus que certains aiment jouer les acrobates. Il m’est arrivé qu’on débarque en urgence pour me dire que quelqu’un s’était électrocuté, ou avait chuté d’un échafaudage. Heureusement, rien de grave. Dans tous les cas, il est de mon devoir de fournir à chacun les bonnes formations, le bon matériel, et d’établir des rappels à l’ordre quand cela est nécessaire. Les défis sont nombreux mais c’est clairement ce que j’aime ici. J’ai quitté mon précédent poste car il n’y avait pas assez de risques », s’amuse Laetitia. En la matière, notre cheffe de la sécurité est servie ! Car ici, tout est contrôlé au millimètre et les conséquences peuvent vite être dramatiques. « Nous avons connu deux ou trois départs de feux dont l’un qui s’est passé juste avant Noël. Je me suis retrouvée réveillée en pleine nuit avec toute ma famille, en train de guider à distance les pompiers. Heureusement, cela n’a jamais dégénéré », poursuit-elle.
Arrivée dans l’ascenseur qui nous mènera au centre de l’Univers (ou presque), Laetitia s’immobilise quelques secondes et fixe une petite caméra. Grâce à un logiciel de reconnaissance visuelle digne de Minority Report, la voilà qui ouvre les accès vers la “caverne”, l’antre d’ATLAS. Pour nous, ce sera moins spectaculaire : un simple badge de visiteurs suffit à nous libérer l’accès. S’ensuit une longue descente de plusieurs minutes en ascenseur. « Si quelqu’un tente de forcer un accès qui ne lui est pas autorisé, il a intérêt à pouvoir se justifier !», rapporte notre interlocutrice.
Nous voilà désormais face à la bête planquée à 100 mètres sous terre. Un amas de panneaux innervé de câbles et tuyaux que Laetitia ne se lasse pas de contempler. Étrange créature en sommeil qui se laisse encore approcher par nous, minuscules terriens emmitouflés dans notre cape d’apprenti-sorcier, galvanisés par l’idée de déjouer le plus grand des mystères. « Vous êtes chanceux de pouvoir l’observer car dans quelques mois, cela ne sera plus possible avec le retour de la mise en activité », souligne-t-elle. Le détecteur ATLAS mesure 46m de long, 25m de haut et autant de large. Il pèse 7000 tonnes, soit le détecteur de particules le plus volumineux jamais construit. Avec le détecteur CMS, il est connu dans le monde entier pour avoir reconstitué les interactions à l’œuvre dans le Boson de Higgs. Une star chez les adeptes de la physique fondamentale !
Une icône qui a besoin d’être sans cesse révisée et augmentée pour améliorer ses performances et collecter davantage de données. Laetitia doit alors veiller à la sécurité de toutes/tous lors des manœuvres techniques comme celle réalisée par ce technicien qui est en train de changer l’un des panneaux du détecteur.
Nous arpentons maintenant d’interminables escaliers avec Laetitia. « Vous voyez ici, le risque est aussi cardiologique ! Je n’ai pas tellement besoin de refaire du sport à la maison », plaisante-t-elle à mesure que nous grimpons les étages. Lorsque nous traversons des passerelles suspendues, me voilà à nouveau prise de vertige. « Au départ, je n’étais pas très à l’aise non plus sur ces plateformes », me réconforte-t-elle. En moyenne, Laetitia passe 3 à 4 heures sous terre chaque jour, sans pour autant se sentir déboussolée par le manque de lumière naturelle. « J’adore passer du temps sous terre avec les équipes », lance-t-elle.
Je regarde à ma droite, pas un chat. Pas plus qu’à gauche. Je perçois juste la fuite de millions de connectiques. Au sein d’ATLAS, câbles, tubes et connecteurs en tous genres s’entremêlent jusqu’à se fondre dans un esthétisme certain. Un no man’s land en apparence, et pourtant, nous ne sommes pas seuls dans la caverne. « La structure est si grande qu’on ne se rend pas compte que l’on est parfois une cinquantaine à travailler sous terre dans la caverne », affirme Laetitia.
Au détour de ses inspections, Laetitia entame une discussion avec un technicien d’origine italienne. La jeune femme évolue ainsi dans un milieu majoritairement masculin (20% de femmes travaillent au CERN tous statuts confondus), ce qui ne lui pose aucun problème, au contraire. « Quand on est une femme, on se souvient plus facilement de nous, et je crois que notre présence est appréciée. Je dirais plutôt que mon défaut, c’est peut-être que je les materne un peu trop ! De plus, je n’ai jamais fait face à des remarques déplacées. Le CERN tente de recruter davantage de femmes, et clairement, elles ne doivent pas hésiter à sauter le pas », recommande Laetitia.
17h. Nous faisons le chemin inverse pour remonter à la surface. Nous voilà en compagnie des collègues féminines de Laetitia dans son bureau. Deux homologues qu’elle supervise et avec lesquelles elle partage sa vue sur le Mont-Blanc par temps clair. Le moment est venu de checker ses emails après avoir passé la journée sur le terrain. « J’apprends avant tout mon métier sur le terrain même si je dois aussi assurer des missions de bureau », nous confie-t-elle. Quelques heures de travail l’attendent encore. « Au CERN, on ne pointe pas», lance-t-elle au détour d’un sourire. Peu importe. La jeune femme espère encore contribuer à cette incroyable odyssée. « Mon contrat se termine en 2024, mais j’aimerais vraiment pouvoir rester pour le prochain long arrêt technique. Les challenges vont être énormes car nous allons upgrader le détecteur afin d’augmenter la qualité et le nombre de données que nous pourrons recevoir. Cela me mènerait jusqu’en… 2030 ! », nous confie cette passionnée. Les lois de l’attraction…
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