Autisme, TDAH, HPI : Comment décoder le monde du travail quand on est atypique ?
12 oct. 2021
4min
Journaliste independante.
Hypersensible, dyslexique, autiste, hyperactif… Pas facile de s’intégrer au monde environnant lorsque nos neurones fonctionnent fonctionnent différemment. Souvent jugées dispersées, émotives ou anxieuses, les personnes neuroatypiques peuvent rencontrer de nombreuses difficultés sur leur lieu de travail. Dans son dernier ouvrage J’ai pas les codes, l’autrice Christel Petitcollin, elle-même neuroatypique, décortique le monde “normopensant” pour donner des points de repères aux électrons libres qui pensent différemment. Pour Welcome To the Jungle, elle a accepté de décrypter l’entreprise pour aiguiller les neuroatypiques.
Pourquoi est-il nécessaire de comprendre les codes sociaux en vigueur lorsque l’on est neuroatypique ?
La norme étant majoritaire, les neurotypiques ne voient pas forcément l’intérêt de comprendre notre fonctionnement. Ils ont beaucoup de mal à se représenter notre pensée complexe arborescente ou notre hyperesthésie, qui se traduit par des sens beaucoup plus en alerte. De nombreux livres tentent de l’expliquer, avec plus ou moins de succès… J’ai donc décidé de prendre le problème dans l’autre sens pour expliquer le monde des neurotypiques aux neuroatypiques.
Quelles difficultés peut rencontrer une personne neuroatypique dans le monde du travail ?
Tout est compliqué ! Rien qu’au niveau sensoriel, l’entreprise comporte son lot de bruits, de mouvements et d’éclairages potentiellement dérangeants. Pour moi qui suis neuroatypique, me concentrer alors que quelqu’un téléphone à côté de moi est impossible. Nous sommes plus pluritâches que monotâches, ce qui peut dérouter nos collègues qui nous voient mener plusieurs dossiers de front. Nous ne disposons pas non plus des codes relationnels en vigueur dans l’entreprise, ce qui fait qu’on est souvent à côté de la plaque, on désarçonne nos collègues avec des réponses incongrues ou des comportements qui ne respectent pas les codes… En entreprise, le neuroatypique est un chien fou dans un jeu de quilles.
Quels types de postes conviennent le mieux aux neuroatypiques ? Et a contrario, dans quels postes sont-ils le moins à l’aise ?
Le poste idéal pour un neuroatypique est celui de plaque tournante qui rassemble l’information et la redistribue dans les différents services. Souvent, quand un neuroatypique occupe une telle place, il est épanoui et son efficacité rayonne. À l’inverse, les postes trop standardisés dans lesquels on demande d’appliquer des procédures pensées par d’autres ne leur conviennent pas du tout. Nous donner du pré-pensé sans nous associer au processus de réflexion est une mauvaise idée : soit nous n’arriverons pas à appliquer la procédure, soit nous la feront avec beaucoup de souffrance.
Est-il pertinent d’expliquer à ses collègues et sa hiérarchie le fonctionnement des neuroatypiques ?
Nous donnons souvent l’impression de partir dans tous les sens ou d’être vite fatigués. Nous pouvons expliquer que nous pensons différemment : au lieu de câbles bien alignés, nous avons une toile d’araignée dans la tête, dans laquelle on se retrouve très bien par ailleurs. L’hyperesthésie, soit le fait que nous ayons un système sensoriel plus sensible, explique aussi que nous soyons rapidement fatigués par l’open space, ses bruits et ses lumières. Détailler ceci peut être pertinent, mais il faut rester sobre et n’avoir que peu d’attentes car notre fonctionnement reste compliqué à cerner pour les neurotypiques.
Comment entretenir des relations professionnelles lorsque l’on ne dispose pas des codes sociaux en vigueur ?
C’est très complexe… Je rêve d’un monde idéal où les neurotypiques prendraient le temps de nous expliquer nos gaffes avec bienveillance. Prenons l’exemple du “ça va ?” : dans les codes neurotypiques, on répond “oui ça va”. C’est une entrée en matière pour ne pas s’adresser frontalement aux autres, inutile d’aller chercher notre carnet de santé. De nombreux codes régissent les interactions neurotypiques, mais le fait de ne disposer d’aucun code est très insécurisant pour nous. Nous devons comprendre que nos interactions s’insèrent dans un contexte et nous imposer un “cadre relationnel” en évitant certains comportements. Cela nous fera gagner en sécurité : nous ne sommes pas obligés d’être en danger permanent de déraper ou de gaffer. Le commérage autour de la machine à café nous paraît par exemple souvent futile, mais il crée du lien social et participe à détendre l’ambiance. Dans ces moments-là, mieux vaut éviter d’aborder des sujets trop profonds ou d’appuyer là où ça fait mal, au risque de plomber l’ambiance.
Comment mieux aborder les réunions qui peuvent paraître aussi interminables que vaines aux personnes neuroatypiques ?
Les réunions sont le théâtre de jeux de pouvoir et de positionnements hiérarchiques qui nous échappent complètement, ce qui peut vite les rendre stériles à nos yeux. J’ai rencontré un neuroatypique membre d’un comité des fêtes de son entreprise qui était comme une usine à gaz dans ces réunions, qui sont surtout un prétexte pour se retrouver et passer un bon moment. Les atypiques prennent beaucoup trop les choses à cœur et tombent vite dans le tragique. Ce qui est important, c’est de dédramatiser les enjeux et le temps perdu et travailler sa capacité à être détendu afin de profiter de ces moments collectifs.
Pourquoi les neuroatypiques ont-ils du mal avec les codes vestimentaires ?
Étants hyperesthésiques, les neuroatypiques sont très attachés à leur confort : les pulls qui grattent, les cravates qui serrent, les ceintures qui empêchent de respirer leur sont inconfortables et ils ne comprennent pas l’importance du dress code ou décident de rentrer en dissidence pour protéger leur individualité. Sauf qu’il ne s’agit pas d’un simple jeu : les codes vestimentaires propres au travail participent à créer un sentiment d’appartenance au sein de l’entreprise. Si on s’écoutait, on viendrait travailler en jogging ou en pyjama, ce qui est rarement bien vu… Accepter de porter une chemise ou une cravate lorsque notre milieu professionnel le requiert, c’est aussi montrer une volonté d’intégration.
Les neuroatypiques sont particulièrement sensibles à la perte de sens, qui est l’une des principales causes de burn out. Comment envisager son travail de manière à y trouver du sens ?
Les atypiques sont increvables : si notre travail nous motive, on se ressource dans le plaisir que l’on trouve à travailler. Quand on s’effondre, c’est justement parce que l’énergie investie nous semble dénuée de sens. Nous avons tous besoin de trouver du sens dans ce que nous faisons, mais lorsque nous avons une pensée complexe arborescente, ce besoin de complexité est d’autant plus élaboré, et travailler pour gagner sa vie n’est pas suffisant. L’idéal est d’identifier les valeurs qui nous animent : pour ma part, ma valeur noyau est le partage d’informations. Le jour où je ne me retrouverai plus dans cette valeur, je pourrais partir en vrille. Il faut être au contact de ses valeurs et encore une fois, dédramatiser les choses pour retrouver légèreté et insouciance.
Qu’ont à gagner les neuroatypiques à jouer le jeu de l’entreprise ?
Une entreprise est comme un orchestre : quand on joue le jeu, que notre instrument est accordé, on atteint l’harmonie collective, et cela peut être très plaisant. Si je veux jouer mon morceau dans mon coin ou que je ne règle pas mon instrument, je complique tout. Même si l’union est imparfaite, elle fait la force.
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Photo par Welcome to the Jungle
Édité par Gabrielle Predko
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