« Avec l'inflation, mon salaire équivaut maintenant au SMIC »

25 mars 2024

8min

« Avec l'inflation, mon salaire équivaut maintenant au SMIC »
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Certaines personnes aux revenus légèrement plus élevés que le smic, voient leur salaire gelé depuis plusieurs mois voire années. En France, il faut savoir que seul le Smic est indexé sur l’inflation et suit son cours. Ces personnes se retrouvent donc talonnées de près par le salaire minimum. Dans un contexte inflationniste, où le coût de la vie augmente, que ressentent ces salariés dont les revenus se rapprochent ou se confondent désormais dangereusement avec le Smic ?

Le Smic (le salaire horaire minimum légal) indexé sur l’inflation, a augmenté huit fois depuis 2021 pour atteindre 1398 euros net en 2024, et rémunère aujourd’hui 17.3% de la population. En 30 ans le nombre de Smicards n’a jamais été aussi élevé. Et pour cause : ce taux absorbe petit à petit les salaires légèrement plus élevés et touchés de près par le salaire minimum. Que peuvent ressentir ces travailleurs ayant signé pour un salaire légèrement plus avantageux mais bel et bien rattrapés par l’inflation ?

Pour Philippe Poutou, ancien candidat à la présidentielle pour le NPA (Nouveau parti anticapitaliste) joint au téléphone, cette situation ne date pas d’hier. Lui-même était déjà concerné par cet état de fait lorsqu’il était employé chez Ford (poste occupé jusqu’en 2019), il explique : « Le contexte inflationniste est un facteur aggravant, car les salaires évoluent moins vite que les prix. Le Smic se rapproche peu à peu - et depuis longtemps - des salaires de base dans les grilles des entreprises. Nous le constations d’année en année chez Ford : le coefficient minimum finissait par être touché par l’augmentation du Smic ! »

Les grilles salariales mises en place par les conventions collectives selon les secteurs, ne sont pas toujours revalorisées. Et lorsqu’elles le sont, le décalage entre les différentes négociations et les revalorisations, est long. Les salariés gagnant juste au-dessus du Smic, pâtissent donc d’une stagnation de leurs revenus, ce qui les fait retomber à un montant équivalent au salaire minimum. Une situation vécue comme une régression sociale pour ces salariés qui se sentent « déclassés ».

« Les abonnements aux plateformes musicales et cinématographiques n’ont plus de place dans le foyer »

Jérôme, directeur d’un centre de loisirs à Bordeaux

Je vis avec ma fille qui est en études supérieures, et je gagne 1550 euros nets par mois pour un job aux 35 heures, soit 150 euros de plus que le Smic. Certains diront « c’est un bon salaire… » Mais, avec l’inflation et la flambée de l’immobilier, je n’ai plus les moyens de me loger sur Bordeaux et sa métropole. Malheureusement, je n’ai aucune perspective d’évolution salariale là où je travaille. Ce qu’on ne m’avait pas expliqué au moment de mon embauche, mais que j’ai compris en discutant avec mes collègues. Ceux-là mêmes, qui sont là depuis plusieurs années et qui finissent d’ailleurs par quitter l’organisation face à l’impossibilité de gagner plus tant il est difficile de vivre avec ce salaire. En effet, une fois que j’ai payé toutes mes charges fixes (loyer, pension, électricité, assurance, abonnement téléphonique et internet), il me reste entre 200 et 300 euros pour manger, payer mes frais de transport, quelques sorties et l’habillement.

Je vis dans le Libournais et je vais au travail sur Bordeaux en bus, pour faire des économies de carburant (le coût de mes déplacements serait deux fois plus élevé en voiture). Je calcule mes dépenses au plus juste, il n’y a pas la place pour les excès. Autant vous dire que les abonnements aux plateformes musicales et cinématographiques n’ont plus de place dans le foyer. De même, je prépare tous mes repas à l’avance pour minimiser les dépenses alimentaires. J’ai la chance de bénéficier d’un jardin partagé collectif, qui me permet de me fournir en légumes presque en totale autonomie. Enfin pour l’habillement, j’achète uniquement de l’occasion, dans les friperies et les braderies. J’ai fait le choix d’acheter un maximum de choses d’occasion pour le prix, mais aussi pour sortir de cette société de surconsommation et de surproduction. C’est qu’il faut être réactif pour pouvoir survivre avec un budget réduit ! Je guette les bons plans culturels pour sortir en famille, continuer à vivre, et s’ouvrir aux autres. J’avais eu une petite augmentation de salaire au 1er janvier dernier, mais on est en mars et elle a déjà été absorbée par l’inflation. Mon loyer a augmenté de 40 euros tout comme l’électricité le mois précédent, et le prix des courses ne cesse de grimper… Désormais, avec un salaire de 1550 euros net, je suis devenu précaire, alors que je ne l’étais pas il y a quelques années. Pendant que l’inflation ne cesse de galoper, les salaires, eux, stagnent. J’ai l’impression que mon niveau de vie recule. Je ne suis pas le seul bien sûr, la précarité augmente, et ça devient de plus en plus difficile de s’en sortir pour une nouvelle frange de la population. La conséquence, c’est que “non je n’ai pas envie de m’estimer heureux d’avoir un emploi” comme certains politiques cherchent à nous faire dire. J’ai beau aimer mon travail, mon emploi aujourd’hui ne me permet pas de vivre mais de “survivre”, et j’ai du mal à accepter cette réalité, je songe à changer de poste.

« J’ai honte de dire que je gagne désormais le Smic, c’était une fierté de gagner “plus” »

Sarah, aide à domicile à Orvault (44)

Je suis aide à domicile depuis plus de dix ans. Avant j’étais payée un peu au-dessus du Smic, mais avec l’inflation je gagne moins surtout par rapport à mon nombre d’heures travaillées ! Je ne peux désormais plus me payer une petite sortie de temps en temps. Surtout, j’ai honte de dire que je gagne désormais le Smic : c’était une fierté de gagner « plus ». Ça peut paraître bête, mais psychologiquement c’était important à mes yeux de ne pas appartenir à la catégorie du salaire minimum. Je vis seule et mon salaire me permet tout juste de régler mes factures. Par exemple, il ne faut surtout pas que je tombe malade, au risque de ne plus pouvoir joindre les deux bouts. Dans ma situation, chaque jour travaillé compte énormément. De même que chaque variation de prix.

L’augmentation de l’essence pèse ainsi beaucoup sur mes charges mensuelles, car je suis obligée d’être sur la route toute la journée (sans compter l’usure de la voiture…). De plus, je fais un métier difficile physiquement et mentalement. Une pénibilité du travail qui ne me donne pourtant droit à aucune prime, aucun 13e mois ni ticket resto : aucune reconnaissance ! J’ai fait des études pour exercer un métier qui est très utile à la société, et pourtant je gagne de moins en moins. Le coût de la vie augmente mais pas mon salaire, et je fais partie aujourd’hui des revenus les plus bas. Cela me donne l’impression d’être transparente, de descendre de l’échelle sociale. Heureusement que j’aime ce que je fais car sinon j’aurais démissionné depuis longtemps (je me suis déjà posée la question plusieurs fois). Mais je ne fais pas payer mes désillusions répétées aux personnes âgées dont je m’occupe. Eux ne sont pas responsables, et méritent d’être soignés au mieux. Donc, en attendant des jours plus heureux, je serre les dents et m’accroche. Si toutefois une opportunité se présente dans un secteur complètement différent malheureusement je pense que je la saisirais dans l’espoir d’avoir de la reconnaissance et pourquoi pas, grimper des échelons et évoluer positivement. Je suis désolée, mais un employé se donne et s’investit lorsque sa hiérarchie lui donne la motivation nécessaire !

« Le coût de la vie a tellement enflé que mon augmentation ne m’a pas donné un meilleur train de vie ! Au final, je ne fais rien de plus que quand j’ai débuté »

Jeanne, architecte d’intérieur à Grenoble

J’ai un Bac+5 en architecture. Des études coûteuses financées par mes parents, et un job étudiant. Si bien que j’imaginais, naïvement peut-être, qu’après ça, j’allais bien gagner ma vie, ou au moins correctement. Eh bien, j’ai vite déchanté ! Comme souvent dans ce métier, on commence en agence, car on n’a pas les moyens d’ouvrir sa propre entreprise. J’ai pris un premier poste il y a deux ans, et comme je débutais, j’ai accepté les conditions minimales proposées, soit un salaire de 1400 euros net, même si je trouvais ça déjà limite. Entre le loyer, l’alimentation, et les factures à payer, je pouvais tout juste m’offrir Netflix, et une ou deux sorties pour finir à zéro à la fin du mois. J’ai eu ensuite des petites augmentations jusqu’à gagner 1570 euros nets avant que je ne démissionne. En dépit de cette amélioration salariale, le coût de la vie a tellement augmenté que je n’ai de toute façon pas pu accéder à un meilleur train de vie ! Pas de plaisir en plus, voire même moins, ce qui m’a poussé à arrêter ce job pour me lancer à mon compte, grâce à une aide financière de mes parents encore une fois (j’ai cette chance). Certains diront que c’est risqué, mais je ne voulais plus travailler 40 heures payées 35, et m’avouer que je gagnais en réalité l’équivalent d’un Smic ! Car oui, si je ramenais mon nombre d’heures travaillées à mon salaire d’alors, ça revenait au même ! J’aurais fini par ne plus m’investir et fournir un travail médiocre, comme une sorte d’obligation que je ne voulais ni infliger à moi-même, ni aux clients…

Désormais, je dois me débrouiller seule pour trouver mes chantiers, c’est difficile mais au moins je n’ai plus l’impression de régresser ou de faire un pas en avant pour reculer trois années en arrière. Le bilan de mon expérience du salariat se résume ainsi : mettre ma vie privée de côté, n’avoir aucun avantage, et être rémunéré quasiment au salaire minimum. Un constat d’autant plus difficile à accepter quand on a fait autant d’études. Je n’arrivais pas à me défaire de ce sentiment de honte. Certains architectes d’intérieurs gagnent très bien leur vie, moi non. Une différence de salaire qui pouvait laisser penser que j’étais mauvaise, c’était rabaissant. Au moins, depuis que je gère mon entreprise, je ne peux m’en prendre qu’à moi-même si mon revenu stagne, surtout je me sens plus libre, et j’ai le sentiment de me bouger pour faire progresser mon niveau de vie.

« Je ne veux pas d’un pansement fallacieux ou me faire berner par une augmentation qui n’en est pas une »

Frédéric, intervenant Social à Bordeaux

J’ai intégré l’association qui m’emploie en Décembre 2019 dans le service d’accueil des personnes en errance sur la ville de Bordeaux. Un poste en CDD payé alors 1270 euros net par mois. Au bout de trois ans et plusieurs CDD, j’ai enfin signé un CDI et intégré par la même occasion l’IRTS (institut de formation des travailleurs sociaux) pour obtenir le diplôme d’éducateur spécialisé en situation d’emploi, soit l’équivalent d’un Bac+3. Nos missions principales sont d’assurer l’hébergement des demandeurs d’asile pouvant en bénéficier, procéder à l’ouverture de leurs droits sociaux et à une veille juridique. Nous sommes au quotidien avec des personnes en grandes difficultés, ce n’est pas un travail facile, il faut être armé mentalement. En 2024, je passe à 1501 euros net par mois, je suis donc « mieux » payé que le smic. Une augmentation illusoire, car en réalité j’ai juste bénéficié de la prime Ségur (celle promise pendant le covid, réservée au personnel non soignant exerçant auprès de personnes en difficulté sociale) ! Et ce supplément de 183 euros n’est pas versé indéfiniment.

Je ne veux pas d’un pansement fallacieux ou me faire berner par une augmentation qui n’en est pas une. Sans compter que quand cette prime Ségur ne sera plus versée, le calcul est vite fait : 1501-183 = 1318 euros. Je retournerai donc au Smic voire… à moins (ce dernier s’élevant à 1398 € en janvier 2024). J’en déduis donc que mon taux horaire de 13.38 euros brut actuel, est en réalité inférieur au salaire minimum. Quelle valeur donne-t-on à mon labeur quotidien et à mes missions ? Est-ce seulement légal ? Où sont les augmentations dues à l’ancienneté ? Ma frustration vient également du fait qu’il semble impossible d’être revalorisé financièrement. En effet, les possibles augmentations sont annexées à la convention collective CHRS et à une grille salariale intangible (d’après la direction) et dépendent de l’ancienneté et éventuellement des formations… Je suis la preuve vivante que même en remplissant ces conditions je n’ai obtenu aucune revalorisation.

De plus, il est illégal d’être payé en dessous du salaire minimum ! Pour moi, mon salaire était indexé sur l’augmentation du Smic, mais vu la faible évolution de mon revenu, j’ai dû mal comprendre ! J’espère valider ma formation actuelle se terminant dans un an pour faire valoir mon droit à un meilleur salaire et j’espère - encore un peu au fond de moi - être récompensé de l’effort et de l’abnégation fournis mais sans trop me faire d’illusion… Ce n’est pas facile de gagner un peu plus pendant un temps, parvenir à s’octroyer quelques petits plaisirs, et repartir en arrière. Faire un métier qu’on aime n’a pas de prix, si ce n’est celui de la réalité économique. Je pense que nos hiérarchies profitent du fait que nous soyons très investis professionnellement dans notre mission pour refuser nos demandes d’augmentation, sans craindre nos démissions. C’est quand même le monde à l’envers : je me forme, je commence à cumuler des années d’ancienneté, et pour me remercier je retourne au Smic !

Article écrit par Célyne df Mazieres et édité par Aurélie Cerffond, photo Thomas Decamps pour WTTJ

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