Management en berne : 10 conseils pour lui redonner ses lettres de noblesse
14 oct. 2024
7min
85 % des managers jugent leur métier plus compliqué qu’auparavant, tandis que 63 % des salariés ne sont pas satisfaits de leur relation avec leur N+1. Si la crise du management a bel et bien lieu, quelles sont les pistes à envisager pour (enfin) changer la donne en profondeur ?
Entre managers et collaborateurs, la guerre n’aura certes pas lieu mais une chose est certaine : tout le monde se sent perdant. « À l’heure actuelle, toutes les études montrent que tant du côté des collaborateurs que des managers, personne n’est satisfait », constate Ludovic Girodon, auteur et conférencier en management. S’il était autrefois perçu comme le Saint Graal, le management ne fait clairement plus rêver : 1 cadre sur 5 ne souhaite plus gérer d’équipe selon une étude OpinionWay de mars 2021.
C’est le cas de Christophe (1) , manager commercial dans un grand groupe. Après dix années de bons et loyaux services, il a troqué son poste de responsable d’équipe contre celui de contributeur individuel. « À la longue, gérer de l’humain est très usant. Je me sentais toujours pris entre le marteau et l’enclume : d’un côté, nos objectifs d’équipe étaient toujours plus difficiles à atteindre, et de l’autre, je me devais d’être à l’écoute des demandes toujours plus personnalisées des collaborateurs. Au milieu de tout cela, je n’avais pas le sentiment d’obtenir de la reconnaissance de la part de ma direction, ni de mon équipe. En optant pour un poste d’expert-référent, sans lien hiérarchique avec les personnes que j’accompagne, je me sens beaucoup plus libre. Sans compter que je touche le même salaire au final », témoigne-t-il. Pour peu, le passage au statut de contributeur individuel serait aujourd’hui une récompense ! Mais pour quelles raisons un tel revirement est-il d’actualité ? Est-il possible de renverser la vapeur, et si oui comment ?
Des injonctions paradoxales qui minent le management
Comme Christophe, de nombreux talents fuient le management pour ne pas se retrouver pris en étau par les injonctions paradoxales de leur direction. « Le management est devenu un métier ingrat, souvent pas assez payé par rapport à sa complexité. On demande au manager d’être le premier RH de l’entreprise, le premier communicant, le premier gestionnaire des conflits, le premier responsable de la qualité… Je crois que les managers font ce qu’ils peuvent, mais que c’est devenu extrêmement compliqué », pointe Luc Bretones, fondateur de NextGen et expert en nouvelles gouvernances.
Il constate ainsi que deux types de managers émergent : il y a celui qui parvient à prendre du recul sur les demandes de sa direction et ainsi à adapter son discours face aux équipes, et celui qui ne va pas réussir à amortir cette verticalité et se muer en courroie de transmission brute et froide des demandes qui émanent de tout en haut. Cette seconde posture, qui ne favorise pas la collaboration, conduit souvent le manager à l’échec avec des équipes en totale perte de sens. « Le problème, c’est qu’un manager qui n’est pas à sa bonne place va créer un effet de levier considérable puisque ce sont tous les membres de son équipe qui vont être impactés », relève Ludovic Girodon.
Alors, n’est-il pas temps de revenir aux sources du management ? Mieux défini et plus spécialisé, le management pourrait-il retrouver ses lettres de noblesse ? Et comment muer vers une organisation plus collaborative ? Nos experts nous livrent ici dix pistes pour réinventer le management.
10 techniques pour un management consenti, clairvoyant et participatif
1. Se questionner sur la raison d’être du manager
C’est un peu le b.a.-ba, et pourtant, peu d’entreprises prennent le temps de poser les bases, de dresser le portrait robot de leur manager idéal. À savoir, qu’est-ce que cela signifie d’être manager dans cette entreprise ? Qu’attend-t-on d’un manager ? Trop souvent, on multiplie les attentes et donc les casquettes du manager, ce qui revient au final à chercher le mouton à cinq pattes. « Il est nécessaire de faire ce travail de clarification pour que les gens puissent se projeter dans le rôle de manager, pour susciter des envies ou vocations en interne, ou même permettre à chacun d’identifier des collaborateurs qui rempliraient bien ce rôle. Cela pourrait permettre d’éviter certaines déceptions* », estime Ludovic Girodon.
2. Disséquer les rôles du manager
Comme on vient de le voir au dessus, l’une des difficultés du manager actuel est qu’on lui demande en permanence de faire le grand écart : il doit tout à la fois respecter des objectifs chiffrés, se mettre dans la peau du manager coach, gérer une partie de l’opérationnel, assurer une partie plus RH… Pour sa part, Ludovic Girodon croit beaucoup en la spécialisation des managers. « Par exemple, on pourrait imaginer qu’une personne serait référente technique d’une équipe pendant 12 mois, une autre référente coach… Le fait d’avoir un comité d’accompagnement plus mouvant peut être une solution car le management requiert beaucoup d’énergie ce qui est compliqué à long terme, tandis que les besoins d’accompagnement des collaborateurs évoluent dans le temps », analyse notre expert. Un exemple mis en pratique au sein de la Fédération française des diabétiques.
3. Permettre aux collaborateurs d’élire leur manager
Connaissez-vous le concept d’élection sans candidat ? Dans ce procédé, ce sont les collaborateurs qui vont proposer un candidat et expliquer leur choix. Suite à l’exposition des argumentaires, un autre tour de concertation est organisé afin de voir si les propositions convergent vers quelques candidats, avant de parvenir à un choix final. Bien entendu, la dernière étape consiste à ce que la personne élue accepte le poste. Par exemple, chez Octo Technology, les collaborateurs décident eux-mêmes de leur futur manager en respectant certaines règles. « Ce dispositif est très intéressant car il permet de faire émerger un consentement collectif. La seule précaution à prendre est de veiller à ce que l’on ne choisisse pas une personne par affinités, mais bien parce qu’elle est compétente. Pour cela, il convient de s’assurer au préalable que les règles ont été bien comprises de tous, et que tout le monde est aligné avec la raison d’être et les objectifs de l’entreprise », recommande Luc Bretones.
4. Créer un parcours de sélection des managers
Trop de managers décrochent ce titre comme une simple promotion, sans que l’on se soit assuré qu’ils aient véritablement les qualités requises. « C’est pourquoi je crois qu’il faudrait créer un parcours de sélection des managers, pour s’assurer que l’on devient manager pour les bonnes raisons », lance Ludovic Girodon. À ce titre, on pourrait imaginer créer une sorte de comité de managers référents dans l’entreprise qui rencontreraient les personnes pressenties pour devenir managers, et pourraient contribuer à les sélectionner. Un partage d’expérience qui permettrait aussi à l’aspirant-manager d’avoir une vision plus claire des défis qui l’attendent, et donc, d’accepter le poste en pleine conscience.
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5. Mettre en place le facilitateur tournant
Pour responsabiliser l’équipe, et ne plus faire reposer l’entière charge de l’animation des rituels sur le manager, on peut mettre en place le rôle de « facilitateur tournant ». Il consiste à désigner, à tour de rôle, un membre différent afin d’animer les réunions ou les processus décisionnels. Ce facilitateur guide les échanges, s’assure que chacun s’exprime et que les discussions restent productives et respectueuses. « Ce processus permet de responsabiliser tout le monde car tôt ou tard, chacun va occuper ce rôle, ce qui modifie la posture des collaborateurs. Cela permet de surcroît au manager de se concentrer sur le fond des sujets », estime Luc Bretones qui a observé ce processus chez Talkspirit.
6. Prendre les décisions par consentement
La prise de décision par consentement est un mode de décision dans lequel une proposition est adoptée dans la mesure où aucun participant n’a d’objection majeure à son égard. Contrairement au consensus, il ne s’agit pas d’obtenir un accord unanime, mais d’identifier s’il y a des oppositions bloquantes. Les objections sont ensuite discutées et, si possible, résolues. « C’est un mode de fonctionnement à la fois collaboratif, rapide et efficace. Pour ma part, je l’utilise dans mon entreprise et je ne pourrais plus m’en passer », assure Luc Bretones. Certains entrepôts logistiques de Decathlon en France pratiquent cette méthode, mais aussi la société de conseil IT Unic ou encore la Fondation CGénial.
7. Mettre en place des ateliers d’intelligence collective
Les ateliers d’intelligence collective sont des sessions collaboratives où un groupe de personnes met en commun ses idées, compétences et perspectives pour résoudre un problème ou innover. Le tout a lieu d’abord de manière individuelle, puis en sous-groupe, puis tous ensemble. Ces ateliers sont souvent animés par un facilitateur qui guide les participants à travers des techniques créatives comme le brainstorming, le design thinking ou les jeux de rôles. C’est le cas par exemple au sein d’Orange Business, la Banque Alternative Suisse ou encore Smart4 engineering. « Il est évident que pour résoudre un problème complexe, on avance bien plus vite avec plusieurs cerveaux. De plus, c’est extrêmement valorisant pour les collaborateurs, qui seront d’autant plus motivés à mettre en œuvre la solution qu’ils l’ont eux-mêmes trouvée. Chacun devient redevable de l’autre, et pas uniquement de son chef », affirme Luc Bretones.
8. Accompagner de manière plus rapprochée les managers
Selon une enquête Robert Walters d’août 2024, un tiers des managers n’a pas été formé et 57 % ne se sont pas sentis soutenus lors de leur prise de fonction. Pas d’annonce officielle de promotion, de changement de titre de poste ou d’augmentation de salaire : 53 % des managers interrogés déclarent avoir déjà été promus sans réelle reconnaissance de la part de leur entreprise. La porte ouverte au fameux syndrome de l’imposteur ! « Pour moi, c’est une ineptie, tout manager doit être accompagné, formé dans le temps, à travers du coaching individuel, des ateliers entre pairs, du mentorat avec des managers plus chevronnés… Tout cela est facile à organiser en interne, et permet au manager de se sentir moins seul », lance Ludovic Girodon.
9. Sonder régulièrement les collaborateurs
Pour savoir si les collaborateurs sont épanouis dans leur relation managériale, pourquoi ne pas les sonder en interne de manière régulière, comme le font les marques après un achat ? « On pourrait poser ce type de questions : êtes-vous satisfait de votre manager ? Recommanderiez-vous votre manager à une autre personne ? », illustre Ludovic Girodon. Il est bien entendu possible d’aller vers davantage de granularité, avec des questions plus précises par la suite. Au sein de KPMG, il s’agit d’une pratique régulière. Ces sondages sont pour le plus souvent anonymes, mais il existe des entreprises où l’on organise des feedbacks 360° où des collaborateurs peuvent être invités à participer pour faire un retour sur leur manager. Cela demande bien sûr un niveau de confiance élevé au préalable.
10. Prendre le relai du manager… tout simplement !
Lutter contre la verticalité n’incombe pas uniquement au manager. Charge aussi aux collaborateurs de modifier leur rapport avec leur N+1, en se montrant soutenant quand ce dernier traverse lui-aussi une période difficile. « J’ai déjà vu au sein de Swiss Leaders des collaborateurs qui s’étaient organisés pour prendre en charge l’équipe sur certains moments, afin de libérer du temps pour leur manager qu’ils aimaient beaucoup et qui était proche du point de rupture à cause d’une situation personnelle compliquée. J’ai trouvé que c’était un très bel exemple d’une équipe soudée, qui se fait confiance et se soutient à tous les niveaux », conclut Luc Bretones.
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(1) Le prénom a été modifié
Article rédigé par Paulina Jonquères d’Oriola et édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.
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