Management : 5 leçons de rugby pour sublimer votre équipe

Trop souvent, le rugby français s’est retrouvé plaqué d’une image d’Épinal, où l’on chérit plutôt ses valeurs de bonhomme, la bonne entente entre copain(g)s et la performance physique un peu brutasse. Comme si on ne pouvait parler de ce sport – pourtant inventé par des gentlemans britanniques au XIXe siècle – qu’avec la bouche pleine, l’accent du Sud-ouest et le maillot trempé. Si elle se fonde sur de bons sentiments, cette vision du rugby fait malheureusement trop peu de cas d’une discipline sportive bien plus complexe, qui a toujours laissé davantage de terrain que les autres à l’innovation managériale. À tel point que ses concepts infusent désormais largement le monde de l’entreprise.

Depuis que le rugby est devenu professionnel en 1995, on ne compte plus le nombre d’anciens joueurs reconvertis en conférenciers, invités par les boîtes à dérouler des slides sur la performance ou le management. Business en plein croissance, la « masterclass du coach » serait aujourd’hui devenue un atout incontournable des dirigeants qui veulent inspirer leurs équipes dans les moments charnières. Ça tombe bien, cette année, la Coupe du monde de rugby est organisée en France. L’occasion de mettre un bon coup de projecteur sur quelques rudiments des équipes de rugby, et notamment du XV de France, pour magnifier un groupe. Comme une belle conquête, ces leçons pourraient bien faire grandir le vôtre. Et promis, vous n’aurez pas besoin de prendre l’accent toulousain.

1. Donner du sens

🐓 La méthode du XV

Quand Fabien Galthié, sélectionneur du XV de France, a pris ses fonctions il y a quatre ans, le rugby français traversait une des périodes les plus sombres de son histoire. Énorme brouille entre la fédération et la ligue, une inédite neuvième place au classement mondial, un désamour sans précédent des supporters… Les échecs successifs de l’équipe ont même conduit la presse à parler de « défaites encourageantes ». Le premier acte du mandat du nouveau sélectionneur a donc été de reproduire du sens pour son équipe, son staff et le public. Ainsi, comme il l’explique dans plusieurs interviews, Fabien Galthié a d’abord redéfini la vision de sa mission autour de trois grands objectifs : rassembler, fédérer et partager. Puis, en lorgnant sur la méthode OKR (Objectives and key results), son staff a décliné ces objectifs en trois résultats clés mesurables :

• Gagner des matchs
• Rentrer dans le top 3 mondial
• Gagner des titres

Après quatre ans de travail, le XV de France de Fabien Galthié affiche un pourcentage de 95 % de victoires sur les deux dernières années de compétition, a remporté le Grand Chelem du Tournoi des Six Nations en 2022 (le championnat d’Europe des Nations) et s’est hissé à la troisième place du classement mondial masculin du World Rugby derrière l’Irlande et la Nouvelle-Zélande. Une véritable entreprise à mission.

🏉 La passe à votre équipe

Quand vous ferez l’esquisse de vos grands projets, rappelez-vous qu’une vision claire et partagée sera le « SMIC » de votre intervention. Choisissez une méthode, OKR ou pas, mais sélectionnez surtout des objectifs mesurables que l’ensemble de votre équipe opérationnelle et stratégique peuvent partager. La clé réside dans la clarté des énoncés. « Gagner des matchs », c’est aussi limpide qu’un plaquage de Sébastien Chabal. Vous pourrez même écrire vos objectifs sur un tableau noir si vous le voulez.

2. Avoir du flair

🐓 La méthode du XV

Dans un entretien accordé à Charles Pépin sur France Inter, Fabien Galthié confie que « tous les crans de performance qu’on a réalisés avec cette équipe de France, c’était toujours quand on était face au ravin. Il y avait cette forme d’instincts grégaires qui fait que nous, les Gaulois, on ne voulait pas disparaître ». À grand renfort de philosophie, le coach de l’équipe de France a donc décidé de bâtir sur cet ADN pour en faire un des chromosomes du joueur de rugby français et l’énonçait à tout son groupe. Tout comme il a décidé d’ériger une autre qualité, le « French Flair » (cette capacité d’intuition du joueur français à prendre des initiatives imprévues) en un véritable gène. L’instinct grégaire et le French Flair donc, conceptualisés comme deux caractéristiques essentielles de l’institution dans lesquelles l’équipe va aller puiser sa performance. En comprenant que peu importe le projet, la compétition ou l’adversaire, ces deux éléments constitutifs ressortiront dans une rencontre, à un moment donné.

🏉 La passe à votre équipe

Vous aurez beau vouloir renvoyer l’héritage de votre boîte dans ses 22, vous serez bien obligé de composer avec. Parce que l’ADN d’une entreprise et celui de votre parcours seront toujours là, que vous le vouliez ou non, tentez de trouver les chromosomes qui définissent votre groupe et affirmez-les comme les valeurs qui singulariseront votre travail collectif. En sport, on peut aussi appeler ça le style, qui ne pourra de toute façon pas être moins bon que les choix de lunettes de Fabien Galthié.

3. Poser le cadre

🐓 La méthode du XV

Fabien Galthié entraîne ce qui se fait de mieux au niveau mondial en termes de niveau. Sa mission – « gagner des matchs » – rencontre aussi la grande épreuve de la sélection des joueurs qui composeront un groupe de 33 pendant l’ensemble de la Coupe du monde. Ils étaient 42 au début de la préparation. Le sélectionneur doit donc annoncer à certains membres de l’effectif qu’ils ne participeront pas à la compétition de leur rêve. « Quand on convoque les joueurs aux rassemblements de l’équipe de France, explique Fabien Galthié, toujours au micro de Charles Pépin, on a une sorte de pacte avec eux qui s’appuie sur un cadre de jeu et un cadre de vie (…) Et le cadre de vie, c’est accepter de vivre des émotions très désagréables. » Le staff et le manager général préparent leurs annonces difficiles avec les principaux intéressés car « le pire, c’est de surprendre ». Mais surtout, le cadre d’exercice des fonctions est déterminé clairement à l’origine. Et le plus important pour le XV de France reste le projet, par définition collectif. « Les joueurs ont compris qu’ils atteindraient leurs objectifs seulement s’ils sont une belle équipe. Je leur dis alors : “Servez le projet et le projet va vous servir” », plante Galthié.

« Le cadre de vie, c’est accepter de vivre des émotions très désagréables. »

🏉 La passe à votre équipe

Vous l’entendez déjà dans certaines formations, le rappel du cadre est une des fonctions premières du manager. Le définir revient à cadrer le jeu, délimiter un terrain où il devient impossible pour quiconque de botter en touche. Pour ce faire, préférez un projet où il est facile pour votre équipe de se faire des passes. Posez un cadre de vie qui permet à vos individualités de s’oublier pour que vive le collectif. Et enfin, faites-le approuver par l’ensemble de vos collaborateurs. C’est votre pacte. Vous verrez, c’est 10 fois plus sexy qu’un contrat de travail.

4. Laisser la place aux émotions

🐓 La méthode du XV

On le disait, le rugby français est souvent rappelé à ses valeurs de combat, d’abnégation, de souffrance. Autant d’éléments qui alimentent le truisme qu’il faudrait « se faire mal au travail ». C’est éluder que le staff de Fabien Galthié travaille énormément sur les compétences émotionnelles de son équipe. Un gros boulot qui lui permet de motiver ses joueurs un peu mieux qu’en leur disant simplement : « Faut avoir du mental ». Aussi, les 30 personnes qui entourent l’entraîneur se chargent de gérer les émotions désagréables – la frustration, la colère, la peur, la culpabilité… – et les plus agréables parce qu’elles peuvent endormir un groupe et le ligoter dans le syndrôme de « la copie parfaite ». « La copie parfaite, elle ne m’intéresse pas. C’est proche d’un système scolaire où on donne trop d’importance à la bonne note. Ce qui m’intéresse, c’est la mission donc gagner des matchs », répète Fabien Galthié dans l’émission Sous le soleil de Platon. Ce travail de sape sur les compétences émotionnelles a permis au XV de France de se focaliser sur une aptitude invisibilisée du sportif de haut niveau, cachée derrière son savoir-faire ou ses capacités d’analyse. En plus, elle a permis à l’équipe de se méfier de l’euphorie des victoires et ainsi, de rester sur le toit du rugby mondial.

« Ce qui m’intéresse, c’est la mission donc gagner des matchs. »

🏉 La passe à votre équipe

Vous êtes convaincu du talent de vos champions. Mais plutôt que de gloser sur leur savoir-faire, bossez sur leurs compétences émotionnelles. Dans un monde hyper-concurrentiel, tout le monde est persuadé d’avoir la meilleure équipe. Ce qui fera la différence, c’est la capacité du collectif à rebondir après les échecs et/ou à rester sur la rampe du succès. Soyez attentifs aux réactions affectives, perfectionnez votre empathie et comme un bon vieux discours de vestiaire, verbalisez vos émotions en groupe après chaque projet. Et là, pour le coup, prenez l’accent si ça vous chante.

5. Bâtir la cohérence

🐓 La méthode du XV

Conséquence directe des quatre fondamentaux précédents, la cohérence du groupe se doit d’être palpable à l’aube d’une grande compétition. Pour y parvenir, Fabien Galthié lit beaucoup de philosophie à ses joueurs avant les matchs mais surtout, a décidé de construire une équipe aussi hétérogène que régulière : depuis quatre ans, le staff du XV de France a réussi à conserver 70 % de son effectif de départ. Cela grâce aux préceptes de la méthode Galthié et à l’organisation même de toutes les équipes de rugby moderne : la spécialisation des managers et des experts. Ainsi, chaque corps de l’équipe possède son propre référent manager ou expert : les avants (ceux qui jouent devant), et les 3/4 (ceux qui jouent derrière). Il existe par ailleurs un entraîneur de la défense, de l’attaque, de la conquête, de la touche, de la mêlée. En fonction des expertises, chacun est responsable d’une compétence, ce qui permet au manager général de déléguer et de responsabiliser son groupe.

🏉 La passe à votre équipe

La spécialisation et la cohérence de votre équipe vous permettra de manager en précisant les rôles de chacun. Si cette organisation nécessite que votre groupe soit pérenne, elle a le mérite de pouvoir proposer à vos collaborateurs de nouvelles missions et des fonctions de leadership qui sortent du cadre managérial habituel centré sur une relation en face-à-face. Elle doit aussi permettre la fluidité et l’agilité entre les sous-équipes dont chacune est responsable. Vous, il ne vous reste plus qu’à orchestrer tout ça. Et à lire de la philo.

Article édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ