Managers : vous avez plus d’impact sur vos salariés que vous ne l’imaginez !

18 sept. 2023

6min

Managers : vous avez plus d’impact sur vos salariés que vous ne l’imaginez !
auteur.e
Florence Abitbol

Journaliste indépendante et rédactrice de contenus

contributeur.e.s

Jongler entre travail et temps libre demeure un exercice délicat pour les collaborateurs. Les facteurs de stress sont nombreux, et le manager joue lui aussi un rôle non négligeable en matière de sécurité psychologique des équipes. Décryptage d’un poste à haute influence.

La réflexion autour de l’impact du travail sur la santé mentale des employés met désormais en lumière son influence sur l’investissement au travail, mais aussi au-delà des bureaux. La sécurité psychologique en entreprise est devenue un critère crucial pour les collaborateurs : le sondage mené en 2022 par le Workforce Institute de l’UKG indique que 81% des collaborateurs favorisent une bonne santé mentale à un poste à haut revenu. Se sentir bien dans son job garantit par extension la paix dans sa vie privée.

De la perméabilité vie pro / vie perso

Les répercussions du vécu au travail dans le privé remettent encore plus en question l’imperméabilité de ces deux notions, encore présentées comme strictement distinctes. En réalité, nous faisons quotidiennement les frais de leur porosité : une séparation parfaite entre le monde du travail et la vie privée, comme dans la série Severance, n’existe bel et bien que dans la science-fiction. « Vie pro et vie perso sont toujours entrelacées. Notre expérience de vie, marquée par les émotions, ne connaît pas de barrière. De la même manière, nos décisions professionnelles impliquent des éléments personnels. Il faut arrêter les politiques d’organisation du travail qui nient cette perméabilité existante et intrinsèque », considère Sandra Fillaudeau, fondatrice de Conscious Cultures et créatrice du podcast Les Équilibristes.

Si le clivage des deux n’existe pas vraiment, Sandra pointe que l’amalgame n’est pas non plus souhaitable. « Cela soulève la question de l’identité à travers la notion d’authenticité : comment je suis moi dans un environnement de travail ? Lorsqu’il favorise un mimétisme professionnel, il est néfaste pour le collaborateur, car il les étouffe. Mais l’invitation à être authentique reste naïve : on ne peut ou ne veut pas tout confier de sa vie personnelle au travail. Il y a une ligne à trouver entre l’intime et le public », pose encore notre experte. Pour un collaborateur, poser des limites reste donc indispensable pour assurer sa bonne santé mentale. Cette démarcation s’ajustant le plus souvent en fonction des sensibilités, et au fur et à mesure des expériences de la vie et de l’entreprise.

Il y a une ligne à trouver entre l’intime et le public

La place à part du manager

Charge de travail, gestion du temps et moyens accordés sont parmi les facteurs de stress qui impactent les collaborateurs. Or, ces éléments organisationnels sont régis et incarnés par le manager. L’étude du Workforce Institute pointe d’ailleurs leur influence sur la santé mentale de leurs équipes : ils auraient un impact supérieur à celui d’un conjoint ou d’un docteur ! Le manager est certes en position de pouvoir, mais aussi de responsabilités. « La relation entre collaborateur et manager est asymétrique : ce dernier a un pouvoir décisionnaire, donne des ressources, de la reconnaissance, mais aussi de la charge de travail. Ses enjeux reposent sur la création d’un collectif, et la collaboration au sein de l’équipe. Mais il a aussi des devoirs, notamment protéger la santé des collaborateurs », analyse Christophe Nguyen, psychologue du travail.

Or, cette position est complexe, car il faut jongler avec plusieurs impératifs qui ne se recoupent pas toujours. « Il faut atteindre les objectifs de performance demandés par l’entreprise et assurer le bien-être de l’équipe », renchérit notre expert. La proximité avec le manager fait prédominer son influence sur le quotidien, comme le pointe Sandra : « Le manager est le garant de la culture à l’échelle locale en entreprise. Ce sont les valeurs portées par le manager qui vont être expérimentées par l’équipe. Son comportement peut impacter sur les règles explicites et implicites de l’entreprise, souvent de manière involontaire. » Si cette influence est prégnante, elle devient problématique lorsque l’attitude du manager nuit au bien-être au travail et qu’elle n’est pas remise en question.

4 conseils pour prendre le pouls de son impact en tant que manager

Conseil n°1 : Prendre la température du bien-être de son équipe

Pour jauger de son influence, rien de mieux que le dialogue avec ses collaborateurs. Si ce travail est collectif, c’est au manager d’initier la conversation - et donc d’être prêt à entendre d’éventuelles critiques. Sandra note qu’il est important d’instaurer un bon climat pour aborder le fonctionnement du management : « On attend aujourd’hui des managers qu’ils aient un recul sur leur pratique : être capable d’entendre et de solliciter des feedbacks de la part de leurs équipes. Pour mettre le sujet sur la table, il faut créer un environnement propice aux échanges honnêtes, afin que les équipes soient suffisamment responsabilisées et se sentent en sécurité pour faire leurs retours. »

Un environnement ouvert et bienveillant ne sert pas à dorloter les collaborateurs, mais vient leur donner plus d’autonomie à travers un tissu relationnel. « Il faut instaurer une forme de confiance et de proximité relationnelle pour que l’équipe parle librement, afin d’expliciter le contrat moral, ce que l’on attend les uns des autres. C’est la responsabilité du collaborateur de s’exprimer et celle du manager de se poser en soutien, en montrant qu’il est disponible pour eux », explique Christophe. De ces échanges, le manager pourra mieux connaître les limites de chacun et agir préventivement sur le bien-être de son équipe. « Les échanges réguliers permettent de se donner des repères, interroger les limites des missions, des horaires, la quantification et qualification de la charge de travail », avance encore le psychologue du travail.

Conseil n°2 : Lancer son introspection

Certes, les collaborateurs ont leur rôle à jouer, mais le manager a aussi besoin de faire le point avec lui-même et son rapport à son travail. Une posture qui n’est pas évidente pour ces postes souvent surchargés, mais la distance apporte de la perspective, essentielle selon Sandra. « Il faut que le manager se questionne sur ses pratiques et surtout se détache de l’idéal de son poste, notamment sur la disponibilité, la gestion du temps et de l’énergie. Les managers bien dans leurs baskets avec une vie en dehors de leur travail sont ceux qui posent des limites claires. Ça ne change pas la manière dont ils sont perçus par leur équipe, au contraire, ils donnent le bon exemple à leurs collaborateurs et aux autres managers », abonde notre experte.

Interroger ses pratiques permet aussi de mieux comprendre les réactions de son équipe. « Si le manager ne suit pas les règles de déconnexion, c’est normal que les équipes l’imitent. Il est compliqué pour un jeune de 25 ans qui vient d’arriver dans une équipe de faire respecter le cloisonnement du temps de travail et vie intime », considère Sandra. Qu’il le veuille ou non, le manager impulse à travers son propre comportement le tempo de ses équipes : le risque de mimétisme doit donc être pris en compte : « Le manager ne doit pas uniquement se reposer sur le fait que les collaborateurs posent des limites. Il doit maintenir une cohérence entre son attitude et les règles qui permettent d’assurer le bien-être des collaborateurs. »

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Conseil n°3 : Les petits gestes qui comptent

Sophie manage une équipe de communication dans une agence de relation presse depuis 4 ans. Elle a compris que son rôle lui demandait non seulement des notions de leadership, mais aussi de retenue. « J’envoyais de temps en temps des récaps sur notre messagerie commune en dehors des horaires. Je n’attendais pas de retour immédiat, c’était une sorte de pense-bête qui pouvait servir à tous. Au début, je n’ai pas eu de retour là-dessus et je pensais que tout le monde était ok avec mon fonctionnement. Au bout de plusieurs semaines, une collaboratrice m’a indiqué que cela la dérangeait de recevoir des notifications : elle trouvait spécifiquement stressant d’avoir des directives le matin avant d’être sur son lieu de travail. Avec du recul, j’ai compris que mes messages affectaient son sentiment d’autonomie : ses to-do list recoupaient les miennes et les rappeler n’était pas pertinent pour elle. »

Désormais, Sophie utilise un logiciel partagé dédié au suivi des tâches, mis en place avec les membres de l’équipe. « Certains trouvaient ces reminders utiles, donc nous avons opté pour les conserver, mais ailleurs, dans une app où le contact est moins direct et sans notification. Je prends aussi le temps de les compléter avec eux en journée et pas seulement de mon côté », confie-t-elle. Un petit changement qui a permis d’initier une dynamique fructueuse et fait comprendre à Sophie l’importance d’une perspective de groupe.

Conseil n°4 : Une question d’équilibre

Cette approche collective est cruciale pour éviter certains faux pas managériaux. Vouloir le bien-être de chacun risque de freiner la collaboration des membres. « Il est important de mettre le curseur au bon endroit : questionner ce qui favorise le bien-être de chacun tout en interrogeant le bien-être de l’équipe. C’est difficile pour un manager de compiler les doléances personnelles et ils sont parfois mal à l’aise pour fixer les limites. Mais elles sont indispensables à l’échelle de l’équipe », indique Sandra. Au-delà de l’équilibre vie privée et vie publique, le manager doit aussi rester attentif au bon fonctionnement de l’équipe tout entière. « Le manager doit aborder à la fois le besoin d’individualisation du management et la co-responsabilisation du collectif, sans forcément s’oublier ou être le manager bisounours. C’est une posture assez fine à trouver », dénote Christophe. Un savant mélange à bien doser pour assurer sa place et remplir ses fonctions de manager, mais pas au détriment de son équipe.

Article édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps