« Depuis la crise, mon manager est nettement moins cool qu’avant ». Témoignages
24 juil. 2020
7min
Senior Editor - SOCIETY @ Welcome to the Jungle
Control-freak, démissionnaires, intolérants ou tout simplement flippés… Les managers seraient devenus « bien moins cools qu’avant » la pandémie. C’est en tout cas l’avis de 56% des salariés français, selon une étude QAPA datée de juin 2020. Mais que s’est-il passé ? Récits de celles et ceux qui subissent les tensions depuis quelques semaines.
« J’ai fini par faire des crises d’angoisse quand je voyais son nom apparaître sur un écran »
Sarah, Développeuse senior dans une start-up parisienne, 31 ans
Depuis un an et demi que je suis à ce poste, ma manageuse a toujours été très bienveillante envers moi. Elle avait même parfois un côté trop maternel : elle pesait tout le temps ses mots, et je devais moi-même lui dire d’être plus cash dans ses retours ! Et puis, le confinement est arrivé, et la psychologie de toute la boîte a soudainement changé. Le stress est venu par le haut, et ma manageuse s’est mise à me « micro-manager ». Tous les matins, elle voulait savoir où j’en étais de tel projet, si j’avais pensé à faire ça la veille au soir, comment allait se dérouler mon planning aujourd’hui… Puis, pendant la journée, c’était des demandes constantes, des vérifications sans fin, des reproches aussi. Je ne saurais même pas dire combien je recevais de messages d’elle chaque jour ! C’est devenu intenable. J’ai fini par faire des crises d’angoisse quand je voyais son nom apparaître sur un écran… Peu à peu, j’ai totalement perdu confiance en mes capacités, alors que j’ai toujours été quelqu’un de sûr de moi.
Le pire, c’est le double discours qu’elle et la boîte tenaient. Je suis jeune maman et je jonglais du soir au matin entre le travail et mon fils. Au départ, elle m’a dit qu’on adapterait ma charge de travail et qu’il fallait que je me repose… pour, à l’arrivée, me reprocher de ne pas réaliser toutes mes tâches. Et si je finissais à 23h parce que je ne m’en sortais pas, elle me disait que je n’avais qu’à mieux m’organiser. Au bout d’un moment, j’ai demandé à passer en chômage partiel, tellement je n’y arrivais plus. Mais cela m’a été refusé au motif que mon poste était essentiel à la reprise de l’activité. Je crois que j’ai frôlé le burn-out.
Heureusement, après le déconfinement, j’ai quitté Paris pour prendre du recul et télétravailler à la campagne. Cela m’a fait énormément de bien. Ma manageuse s’est elle aussi relâchée, mais clairement quelque chose s’est brisé dans notre relation. Nous qui partagions énormément de valeurs, je sais désormais que les relations en entreprise restent dépendantes de la bonne santé de la boîte.Business is business.
« C’était des demandes constantes, des vérifications sans fin, des reproches aussi. Je ne saurais même pas dire combien je recevais de messages d’elle chaque jour ! » Sarah
« Elle se permet de juger les autres sur cette période compliquée »
Fanny, Key account manageuse à Lyon, 35 ans
En fait, je ne sais pas si ma manageuse est devenue moins cool avec cette crise, ou si j’ai simplement découvert chez elle à quel point elle était égoïste et intolérante…
Tout a commencé avec le confinement. Alors que je venais tout juste de reprendre le management d’une nouvelle équipe (sur une spécificité que je ne maîtrisais pas encore), ma boss a quasiment “disparu” de la circulation. Elle est partie à la montagne avec ses enfants, et pendant ces deux mois cloîtrés chacun chez soi, elle m’a clairement montré que mon accompagnement sur cette prise de poste était le cadet de ses soucis. Pas une seule fois je n’ai réussi à faire mon point d’une heure avec elle ! Soit elle arrivait en retard, soit son réseau ne fonctionnait pas… Un jour, alors que nous étions en rendez-vous important avec un prestataire externe, son fils s’est mis à râler à côté et elle nous a planté là en disant : « Je vous laisse, je dois aller lui donner goûter » !
En soi, je comprenais que ça devait être difficile pour elle de mener tout de front avec sa vie de famille ! Donc au début je ne lui en ai pas tenu rigueur. Le problème, c’est qu’au moment du déconfinement j’ai compris qu’elle se permettait de juger les autres sur cette période, sans jamais se remettre elle-même en question. Par exemple, elle n’a de cesse de critiquer une autre salariée de l’équipe, parce que celle-ci n’arrive pas à s’organiser avec ses enfants pour revenir au bureau, et qu’elle a donc demandé à rester en télétravail cet été. Ma manageuse m’a fait des remarques du style : « Je ne comprends pas, elle aurait pu prévoir d’envoyer ses enfants chez leurs grand-parents ! De toute façon, travailler avec des petits à la maison, ne me dis pas qu’elle est à 100%, elle n’arrivera jamais à tout faire… Elle n’a qu’à s’organiser avec son mari au lieu de tout faire à sa place à la maison… » etc. ! Bref, des réflexions que j’ai trouvées vraiment limite ! J’ai toujours su qu’elle était un peu “donneuse de leçon”, mais là elle ne s’en cache plus du tout. On dirait qu’elle cherche à débusquer tous ceux qui auraient pu devenir tire-au-flanc avec le télétravail. Mais entre nous, quand il a fallu revenir au bureau, c’est elle qui a débarqué avec le meilleur bronzage…
« On dirait qu’elle cherche à débusquer tous ceux qui auraient pu devenir tire-au-flanc avec le télétravail. Mais entre nous, quand il a fallu revenir au bureau, c’est elle qui a débarqué avec le meilleur bronzage… » Fanny
« Je ne dirais pas qu’il est démissionnaire, mais pas loin ! »
Diane, Chargée d’affaires dans l’Est, 39 ans
Mon boss, qui dirige toute la partie commerciale de la région Grand Est, est devenu manager un peu par la force des choses. À la base c’est un ingénieur expert dans son domaine, réellement passionné par ce qu’il fait, et qui avait toujours été exigeant mais juste avec ses équipes. Et clairement, il y a eu un avant et un après confinement. Ce n’est plus le même. Au fil des semaines, c’est comme s’il avait peu à peu décroché. Aujourd’hui, je ne dirais pas qu’il est démissionnaire, mais pas loin ! Il ne nous accompagne plus, si on a un problème il nous dit de « nous débrouiller » il ne suit plus nos résultats ni ceux de l’entreprise alors qu’il les connaissait par cœur… La semaine dernière, il m’a félicité pour un deal à 5 000 euros, alors qu’en parallèle j’en avais signé un à 25 000 euros et qu’il ne l’avait même pas vu passer ! Lui qui était constamment positif, hyper investi, il ne nous coache plus et ne cherche plus du tout à nous motiver… Parfois, il nous glisse même des petits messages désespérants sur notre situation, comme par exemple : « De toute façon, ça va être de pire en pire. On ne sait pas ce que ça va donner… Si vous voulez partir je comprendrais. » Il n’a plus du tout confiance en l’entreprise, et ne s’en cache pas.
La raison d’un tel revirement, mon manager m’en a parlé assez librement. En fait, il est juste dépité. Il est déçu des choix qui ont été pris par la Direction nationale pendant la crise. Notre entreprise a perdu des millions d’euros, il a fallu licencier 40 personnes sur 120, et lui n’a pas du tout été consulté donc il s’est senti trahi.
Aujourd’hui pour moi, avoir un manager quasi démissionnaire, forcément ça ne me tire pas vers le haut ! D’un autre côté, je sais ce que j’ai à faire et je n’ai jamais aimé être managée donc cela m’arrange un peu. Aujourd’hui, soyons clairs, j’attends juste qu’il parte pour pouvoir prendre sa place (rires) !
« Si on a un problème il nous dit de « nous débrouiller » il ne suit plus nos résultats ni ceux de l’entreprise alors qu’il les connaissait par cœur… » Diane
« Désormais, il contrôle notre arrivée dans l’open-space »
Dorian, Responsable e-commerce dans le Limousin, 33 ans
Après sept ans sous les ordres de mon manager, je pensais vraiment le connaître. Nous sommes treize dans son équipe, et personne n’aurait pu parier qu’il changerait du tout au tout ! Jusque-là, c’était un manager 100% dans la confiance, limite trop, à ne pas toujours être très regardant sur ce que l’on faisait…
Avec le télétravail forcé, il s’est mis à observer tous nos faits et gestes, à tout noter, à tout fliquer à la virgule prêt. Si on faisait la moindre mini-erreur, elle était immédiatement relevée, et il nous la faisait durement remarquer. Le jour où j’ai oublié une pastille sur un produit du site internet, au-milieu de 1000 autres produits, ça a presque été une affaire d’État !
Pour être sûr que nous étions constamment connectés, il organisait toutes nos journées très précisément : un “bonjour” forcé sur Teamz à 9h, suivi d’un point d’équipe à 10h pile sur Google Meet, puis au fil de la journée des questions inutiles, juste pour s’assurer qu’on répondait rapidement.
Avec la fin du confinement, la situation ne s’est pas améliorée. Alors que le gouvernement prônait le télétravail, pour des raisons sanitaires évidentes, nous avons dû batailler avec lui pour qu’il ne nous force pas à revenir tous les jours au bureau ! Puis, alors que les autres départements de l’entreprise ont peu à peu eu le droit d’aménager leur télétravail comme ils le souhaitaient, il a fini par nous “accorder” UN jour par semaine de télétravail, , mais en râlant ! Il ne cessait de nous répéter que c’était pour la cohésion de l’équipe, mais nous rappelait à l’ordre dès qu’on papotait un peu trop pour lui ! Un jour que je partageais une recette avec ma collègue, il est sorti de son bureau pour nous dire : « Et du coup, je mets de la chantilly par-dessus ou ça se passe comment ? »
Désormais, nos horaires sont totalement encadrés, alors que jusqu’ici nous n’avions jamais eu de reproches. Son discours s’est transformé en : « Les horaires c’est 9h 13h - 14h 18h, rien d’autres, j’en ai marre des pauses déjeuner à rallonge, et des gens qui arrivent à 9h07 ! » Typiquement ce matin, au lieu de se mettre dans son bureau fermé, il était dans l’open space pour guetter nos arrivées…
« Le jour où j’ai oublié une pastille sur un produit du site internet, au-milieu de 1000 autres produits, ça a presque été une affaire d’État ! » Dorian
Je ne sais pas trop d’où vient un tel changement. On dirait que soudainement, il a eu peur de perdre le pouvoir qu’il avait sur son équipe…
*Méthodologie : Sondage réalisé le 17 et 19 juin 2020 auprès de 4,5 millions de personnes sur la plateforme QAPA. 52% de non-cadres ; 48% sont des cadres. Toutes les informations mises en avant sont déclaratives.
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