Managers : 6 astuces pour tirer le meilleur de vos émotions au travail
06 sept. 2021
6min
CEO Connection Leadership - Coach, conférencière, auteure de “Réveiller sa vie par la méditation de pleine conscience” et “Mes petites routines : Booster sa confiance en soi” (éd. Marabout)
Nous avons tendance à croire que nos émotions ne bouillonnent qu’en notre for intérieur. Pourtant, c’est tout l’inverse : elles s’expriment à travers une réalité physique qui se transmet d’un individu à l’autre. Notre experte Betsy Parayil-Pezard dévoile aux managers comment prendre conscience de l’impact de leur état émotionnel sur leur environnement de travail et à emprunter le meilleur chemin possible de leadership.
Au commencement était l’émotion
En 1994, Daniel Goleman publiait un ouvrage désormais historique intitulé L’intelligence émotionnelle. Il tentait d’y expliquer pourquoi les professionnel·le·s avec un QI élevé pouvaient être dépassé·e·s professionnellement par d’autres au QI moins élevé. La raison ? Leur capacité à décrypter leurs émotions et celles des autres, et à agir en fonction de cette information. Aujourd’hui encore, le concept est mal compris en entreprise. Car il ne suffit pas d’être simplement au courant de cet état de fait. Les managers doivent réellement être formé·e·s et entrainé·e·s à reconnaître, comprendre et gérer l’aspect émotionnel des projets et équipes dont ils / elles ont la charge, et aussi à prendre en compte le phénomène de contagion émotionnelle. C’est ce dont j’aimerais vous parler aujourd’hui.
Mais avant toute chose, penchons-nous d’un peu plus près sur les émotions. Certaines théories identifient 8 émotions basiques, d’autres 12, alors qu’une étude sur plusieurs milliers de personnes menée à l’Université de Californie en 2017 en a répertorié 27. Dans tous les cas, les émotions sont plus que de simples pensées. Elles s’incarnent dans le corps. D’après la Dr. Barbara Frederickson, il s’agit d’un regroupement de phénomènes qui émergent et évoluent.
- En premier lieu, il y a des circonstances (par exemple, ma patronne me dit qu’elle veut me parler).
- Puis l’appréciation de ces circonstances. D’un côté, je peux penser que j’ai bien réussi mes derniers projets et qu’elle veut me parler de mon évolution, et donc j’aime cette opportunité de se parler. À l’inverse, je peux me dire que j’ai fait plein d’erreurs dernièrement, et qu’elle veut me reprocher quelque chose, et je n’aime pas. Quoi qu’il en soit, il y a des histoires conscientes et inconscientes qui se fabriquent constamment car nos cerveaux sont câblés pour anticiper le futur et nous permettre d’agir pour nous protéger, ou essayer de créer le meilleur résultat possible. Cette étape est binaire (j’aime / j’aime pas), pour classer rapidement l’expérience et nous mettre en mouvement.
- La suite est physique : par exemple, des papillons dans le ventre, des mains qui transpirent, la gorge qui s’assèche, un mal de tête, des hormones. Il y a aussi des pensées qui émergent.
- Puis, la dernière étape, c’est l’action. Je vais répondre, je vais agir. Peut-être vais-je appeler un collègue pour me déstresser ou partager mon excitation. Peut-être vais-je m’isoler pour me calmer.
Pourquoi les émotions (des managers) sont hautement contagieuses
Par delà ce phénomène individuel, il est encore plus intéressant d’observer que les émotions sont aussi collectives, et qu’elles se transmettent d’un humain à l’autre. Depuis les années 50, les chercheur·se·s ont compris et démontré – d’abord sur les animaux puis les humains – comment notre cerveau est organisé pour recréer les expressions des autres sur notre propre visage. Les neuroscientifiques ont ainsi identifié un type de neurones (les neurones miroirs) qui détecte cette information et la reproduit à l’intérieur de notre propre système. Concrètement, même si vous pensez que personne ne se rend compte de votre humeur détestable en réunion aujourd’hui, vos bras croisés et votre regard déconnecté vont envoyer un message inconscient à l’assemblée (même si vous souriez). Une étude a par exemple démontré que quand des sujets étaient mis dans la même pièce qu’un individu très motivé, leur performance s’améliorait. Et l’inverse se vérifiait. La motivation baissait quand les participant·e·s étaient en présence d’un individu qui avait l’air peu motivé. Dans les deux cas, les participant·e·s n’étaient pas conscient·e·s de l’influence de cette personne. En résumé, les émotions ne sont pas personnelles, mais plutôt partagées.
Il faut aussi savoir que plus on est placé·e haut dans la hiérarchie, plus le risque de propagation émotionnelle est élevé. Pourquoi ? Tout simplement car un·e dirigeant·e est plus regardé·e et remarqué·e, et que nous avons une tendance inconsciente à nous aligner avec des personnes qui ont du pouvoir. « Nous imitons des personnes que nous apprécions et qui ont un degré supérieur d’influence sociale, » explique Dr. Jared O’Garro-Moore, psychiatre.
Les managers, trop peu accompagné·e·s émotionnellement
En tant que manager, il est donc important de conscientiser ces mécanismes, et surtout d’agir en fonction de ceux-ci. Cela signifie travailler sur son attitude et sa posture pour comprendre comment embarquer tout le monde dans une spirale positive. Mais pour travailler son attitude, il serait essentiel de cultiver ce qu’on appelle la « conscience de soi », considérée comme la base de l’intelligence émotionnelle. Alors que la plupart des personnes ont l’impression de bien se connaître et de savoir ce qu’on pense d’elles, cette qualité est plutôt rare. Dans une étude universitaire impliquant 5000 personnes, les chercheurs ont trouvé que seulement 10 à 15% des professionnels répondent réellement aux critères. Cette étude a mis au point l’idée qu’il y avait d’ailleurs deux sortes de conscience de soi, une version interne (je suis conscient·e de mon monde interne) et une version externe (je suis conscient·e de la perception des autres et de mon impact). Les outils de feedback en 360° peuvent aider les leaders à se rendre compte du décalage. Les managers sont particulièrement affecté·e·s par ce risque de mal comprendre leur impact. Au sein de la même étude, les chercheur·se·s ont découvert que les managers les plus expérimenté·e·s avaient l’évaluation la moins juste de la perception externe de leur propre leadership.
Malheureusement, j’estime que les managers sont encore peu accompagné·e·s sur le plan émotionnel, et les entreprises ont tendance à ne fournir des ressources qu’au top management. J’observe que les managers sont généralement pris·e·s en sandwich entre l’ambition stratégique de la direction de l’entreprise, et la pression du terrain opérationnel. Pendant la pandémie, ils / elles ont été en première ligne, et ont déployé des trésors d’innovation et une force d’empathie, souvent sans soutien spécifique.
6 astuces pratiques à mettre en œuvre
Si tel est votre cas, et que vous ne vous sentez pas accompagné·e par votre entreprise, vous pouvez cependant agir sans tarder en commençant déjà par lire sur le sujet, mais aussi tester certaines pratiques :
Lors de votre prochaine réunion, prenez conscience de votre état émotionnel avant de démarrer le meeting. Vous pouvez mettre en place des rituels comme 2 minutes de silence (ou de musique) avant de commencer. Certain·e·s managers demandent également à leurs collaborateur·rice·s quelle est leur « météo intérieure » sans exiger qu’ils / elles entrent dans les détails. L’objectif étant de ne pas entrer directement dans des sujets très techniques sans reconnaître la dimension émotionnelle qui affectent nos échanges et nos résultats, et de se connecter les un·e·s aux autres.
Offrez-vous 10 minutes de décompression en fin de journée. Respirez, demandez-vous comment vous vous sentez, était-ce une bonne ou une mauvaise journée ? Puis entrez peu à peu dans la granularité pour analyser les causes de cet état émotionnel. Quel est le rôle des émotions dans les sujets sous votre responsabilité : la performance, la prise de décision, l’acquisition des talents, le turnover, la gestion des équipes, la négociation, la gestion des conflits, l’innovation ?
N’hésitez pas à écrire pour affiner votre analyse. Une étude menée auprès de chômeur·se·s a par exemple démontré que ceux / celles qui écrivaient trois fois par semaine pour rendre compte de leur état émotionnel et de leurs recherches, trouvaient trois fois plus vite du travail que les autres. Vous pouvez également faire cet exercice en vous mettant à la place de l’un·e de vos collaborateur·rice·s. C’est très utile en cas de conflit (une étude a montré que nous perdons au moins 8 heures de productivité pour chaque conflit non traité). Vous pouvez développer le réflexe de vous tourner vers le problème plutôt que le fuir, en partant du principe que de manière générale, tout le monde préférerait qu’il soit réglé. Ceci demande souvent du courage de votre part.
Adressez les comportements des personnes négatives dans vos équipes pour comprendre la source des problèmes et les impliquer dans le changement. À tout moment, il est possible de se débrancher d’un système négatif. Comment ? En actant des petites décisions quotidiennes pour prendre part positivement à une situation. À l’inverse, il existe une théorie intéressante selon laquelle la dépression s’installe via la somme de multiples petits choix négatifs au quotidien. En tant que manager, et à travers vos actions, vous pouvez donc contribuer à lutter contre une ambiance délétère.
Attention aux environnements trop « cools ». Mettre un baby-foot ou organiser un team building exceptionnel, cela ne suffit pas ! Une positivité forcée peut être toxique. Il n’y a rien de plus dissonant pour votre équipe que l’injonction d’aller bien, car elle peut empêcher l’expression d’émotions négatives, qui est également nécessaire quand une situation est complexe ou non résolue. À l’inverse, un environnement sain laisse donc de la place à l’expression des émotions négatives et prodigue l’espace nécessaire pour explorer ce qui ne convient pas, et voir comment le changer, tout en cultivant consciemment les émotions positives comme l’espoir, l’optimisme et la fierté.
Respecter ses engagements, s’encourager, se soutenir, remercier, reconnaître mais aussi s’émerveiller ensemble, s’amuser, s’inspirer… Tels sont les piliers d’une culture positive sans bullshit. Tout·e manager fait face à une forme de complexité, et l’acceptation de cette réalité permet d’explorer d’autres champs de co-construction à partir des émotions positives.
Faites confiance à vos émotions !
Guide d’usage de l’intelligence émotionnelle en entreprise
Photo par Thomas Decamps
Article édité par Paulina Jonquères d’Oriola
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