Managers : pourquoi la moitié de votre équipe ne se sent pas respectée au travail ?

11 mars 2024

4min

Managers : pourquoi la moitié de votre équipe ne se sent pas respectée au travail ?
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Laetitia VitaudExpert du Lab

Autrice, consultante et conférencière sur le futur du travail, spécialiste de la productivité, de l’âge et du travail des femmes

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De nos jours, un salarié sur deux ne se sentirait pas respecté au travail. En cause ? Une hausse des incivilités venant dégrader les relations entre collègues, clients et managers notamment. Un problème de taille qui, aux yeux de notre experte Laetitia Vitaud, révèlerait des maux plus profonds sur la relation managériale et le rapport au travail.

Il n’y a pas que sur les réseaux sociaux que les insultes et agressions en tout genre augmentent nettement. Au travail, de plus en plus de salariés disent être confrontés à des clients, des collègues ou des managers qui leur manquent de respect. Tant et si bien que se multiplient, ici et là, dans les lieux accueillant du public, ces petites affiches sur lesquelles on peut lire : « Vous avez droit au respect, nos employés aussi. »
Depuis la pandémie, les « incivilités », agressions verbales (et parfois physiques) et autres expressions d’une irritabilité devenue incontrôlable dégradent toutes les relations. À tel point que l’on en vient à se demander : le respect est-il en train de devenir la valeur dont nous manquons le plus ? Que se passe-t-il dans le monde du travail pour que tant de personnes ressentent ce déclin du respect ? Et surtout, comment y remédier ?

L’explosion des incivilités au travail comme ailleurs

Elles peuvent sembler a priori relativement inoffensives : après tout, les incivilités ne sont pas des crimes. Mais derrière ce mot se cachent des agressions verbales, des injures, insultes et comportements inappropriés. Autant de signes qui témoignent d’un manque de considération pour autrui en tant que sujet humain. Ce sont tous les comportements qui vont à l’encontre des normes sociales de politesse, de respect et de courtoisie. Issu du latin « incivilitas », le mot est composé du préfixe « in » qui illustre la négation, et du mot « civilité » qui désigne, à l’origine, l’appartenance à une cité ou à une communauté civilisée, et par extension, le respect des règles et des conventions sociales qui la font fonctionner.

La montée de l’individualisme, l’isolement croissant, l’enfermement dans les « bulles algorithmiques » d’Internet, l’expérience des confinements et la dégradation de la santé mentale semblent avoir transformé nos modes de communication et la manière dont nous percevons les individus dans les interactions du quotidien. Les codes de politesse élémentaire qui nous faisaient nous « tenir » en société ont été comme balayés. Une érosion de l’empathie nous conduit à percevoir les autres non plus comme nos semblables mais comme des obstacles, altérant de fait la qualité de nos relations interpersonnelles.

Partout, ces comportements « incivils » sont en forte augmentation. Au travail, les salariés au contact du public sont les premiers concernés. En effet, les clients mécontents ou usagers frustrés s’en prennent à ces travailleurs « en première ligne », à l’image des caissières, des maires (69 % des maires disent avoir été victimes d’incivilités en 2023), des enseignants, des conducteurs RATP ou encore des agents de France Travail (ex-Pôle Emploi), pour n’en citer que quelques exemples. Et le phénomène n’est pas uniquement français : Outre-Manche, par exemple, on parle ainsi de air rage à propos de la hausse des agressions subies par le personnel de bord dans les avions. Sans grande surprise, les femmes sont plus exposées à ces incivilités, du fait qu’elles sont très nombreuses dans les emplois de service où l’on est au contact du public.

Service client et management : même combat ?

Dans les articles que j’ai lus sur les incivilités, j’ai été frappée par le parallèle entre les clients ou usagers en colère et les salariés mécontents. C’est comme si le sentiment de maltraitance des uns rejaillissait sur les autres, et vice versa. Dans mon propos, il ne s’agit pas de défendre ces consommateurs capricieux qui attendent qu’on les traite comme des rois et maltraitent ceux qu’ils estiment devoir être à leur service. Je pense plutôt à tous ces clients et usagers qui ont le sentiment croissant d’être maltraités -pas uniquement parce que les prix ont grimpé plus vite que leur pouvoir d’achat- et dont la maltraitance rejaillit sur le travail. Ils se sentent « chosifiés » de la même manière que des salariés peuvent se sentir traités comme des machines.

Les consommateurs sont de plus en plus mis à contribution, tout en étant moins écoutés et moins conseillés. Il y a en effet deux grandes tendances qui transforment le service client à notre époque : la première consiste à faire faire ce service par le client lui-même via un écran (remplir un formulaire, passer commande au restaurant, trouver la réponse à sa question en ligne…) ; la seconde est de l’automatiser avec des chatbots et des boîtes vocales automatiques. Dans les deux cas, la déshumanisation est flagrante. Les personnes moins à l’aise avec les outils numériques sont démunies. Les individus dont les problèmes ne sont pas prévus sont laissés à l’abandon.

Inversement, la bien traitance des employés rejaillit sur les clients. Le lien positif entre l’expérience des salariés et l’expérience client a été mis en lumière par de nombreuses études. Par exemple, une enquête américaine Gallup montre que des employés satisfaits font des clients satisfaits. « Il est peu probable que les employés offrent un service hautement empathique, attentionné et personnel, si leur employeur ne cultive pas une culture organisationnelle qui embrasse ces valeurs », résume ainsi l’auteure Denise Lee Yohn pour la Harvard Business Review. Et qu’est-ce qui fait des salariés satisfaits ? De bonnes conditions de travail (cadences soutenables, bonne ergonomie, outils de travail performants…), des consignes claires, des relations positives avec leurs collègues… et du respect.

Les bienfaits d’une stratégie de la qualité

La dignité au travail se réfère au droit fondamental de chaque individu à être traité avec respect, équité et reconnaissance dans son environnement professionnel. Cela englobe le respect de l’intégrité et des droits de chaque travailleur, quel que soit son statut ou sa fonction. La dignité au travail implique également de garantir des conditions de travail sûres, un traitement égalitaire, des opportunités de développement professionnel et une protection contre toute forme de discrimination, de harcèlement ou d’exploitation. Or, le compte n’y est pas aujourd’hui.

Si l’augmentation des cadences de travail, le sentiment d’aliénation et la déshumanisation au travail ne sont pas des sujets nouveaux, certains chercheurs, dont Bruno Palier, expliquent que le travail s’est dégradé ces trois dernières décennies pour un grand nombre d’individus. La stratégie économique qui fait du travail un « coût », qu’il s’agit de réduire, abîme le respect de la dignité des travailleurs. Il faudrait lui préférer la « stratégie de la qualité » qui permet de développer des relations de travail empreintes de respect.

En somme, la promotion du respect est d’abord un sujet managérial. De bonnes conditions de travail, le temps de bien faire les choses et l’humanité de la relation managériale sont la base sur laquelle le respect peut prospérer. Promouvoir une culture du respect, cela passe aussi par le fait de ne pas tolérer certains comportements, ni les « sales cons » qui les perpétuent. Surtout, l’exemplarité managériale reste fondamentale : elle seule peut engendrer un socle culturel respectueux ou, à l’inverse, développer une méfiance généralisée et engendrer des incivilités.

Article écrit par Laetitia Vitaud et édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.

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