« Le combat de la mère freelance ? Poser des limites à son entourage »
05 mai 2022
6min
Photographe chez Welcome to the Jungle
Rédactrice et podcasteuse - Spécialiste de l’empowerment au féminin
TRIBUNE - Huit. Je viens de compter. Huit semaines de vacances scolaires sur dix mois d’école (et je ne compte donc pas les deux mois d’été) pour tout enfant à partir de 3 ans. Donc 15 ans pendant lesquels il va falloir savoir où et comment caser son/ses enfant(s) pendant ces semaines de l’angoisse. Semaines de l’angoisse ? Oui, je commence fort. Pardonnez-moi (ou pas), je suis mère mais aussi entrepreneure freelance. Et dans ma vie, ce combo s’appelle en fait la double peine.
Ce qu’on imagine - et pourquoi je suis devenue freelance
Au départ, j’ai quitté l’entreprise après un licenciement économique qui m’arrangeait bien. J’y voyais l’opportunité de laisser un environnement qui ne me convenait plus, la promesse de commencer quelque chose de nouveau, d’entamer une page blanche. Et j’ai fait le choix de devenir auto-entrepreneure, sans trop me poser de questions.
« Tu vas pouvoir profiter de tes enfants. » C’est la phrase qu’on m’a sortie quand j’ai quitté mon dernier emploi salarié et qui m’avait suffisamment surprise pour que je m’en souvienne des années plus tard - sans que sur le coup j’en capte sa signification. Normal : il fallait d’abord que je la vive pendant un long moment, cette vie de mère (et de mère d’enfants en bas âge dans mon cas). J’étais encore trop “baby entrepreneure” à l’époque pour en comprendre toutes les subtilités.
J’ai tenté l’entrepreneuriat comme je me suis lancée dans la maternité, par curiosité (hello respectueux à Gisèle Halimi), je n’avais pas d’a-priori, j’étais naïve. Rien ne remplace le vécu, et ça vaut pour le freelancing comme pour la parentalité.
Comment on voit le freelancing dans les grandes lignes
Quand on parle de freelancing dans notre société, on entend liberté, flexibilité (je reviendrais sur ce faux copain limite pervers), indépendance, fin de l’autorité et des boss potentiellement toxiques. “Ne plus subir”, “choisir”, sont les leitmotivs de notre société et du travail au 21ème siècle. Pouvoir créer son propre métier, ses propres conditions de travail, c’est vrai que ça fait rêver et que c’est - en partie- possible.
Évidemment, on entend aussi un autre son de cloche : qu’il ne faut pas trop fantasmer sur ce mode de travail, que le stress et les lendemains incertains sont aussi la monnaie de la pièce. Ce sont des “warning” globaux où on considère que l’indépendant·e est une seule personne homogène. On ne conçoit pas - ou on ne veut pas concevoir ? - qu’une femme freelance aura des problèmes différents qu’un homme freelance. Et pourtant, on sait que le monde du travail est plus dur pour les mères, même si on parle de l’entreprise : pourquoi en serait-il autrement pour les mères freelances ?
Alors, pour dire simplement les choses, la réalité d’une maman-freelance c’est aussi en venir à regretter dans des élans tragiques les “bons vieux” horaires de bureau, ou à rêver de louer un espace en dehors de chez nous, pour ne plus se coltiner si facilement les rendez-vous médicaux des enfants ou celui avec la maîtresse à 12h un mardi.
Travailler de chez soi : une manière moderne de confiner les femmes au sein du foyer
La plupart du temps, n’importe quelle freelance va commencer sa nouvelle vie à travailler de chez elle. Logiquement, on n’a pas envie de payer des locaux ou un bureau en coworking, c’est le début de l’aventure, on limite les frais. Et puis on a tous fantasmé sur le fait de bosser avec son ordi sur le canapé du salon avec un café posé à côté de soi, en se disant que c’est fini les heures collé serré dans le métro à renifler les aisselles d’inconnus (spéciale dédicace cette fois à la ligne 13 à Paris).
Mais quand on travaille de chez soi, et d’autant plus quand on est mère, les frontières sont poreuses. Travailler de chez soi, c’est être dans le même espace que tout ce qui touche à la sphère domestique et donc à la gestion du foyer. Quand on travaille de chez soi, et même si les enfants sont à l’école et à la crèche, on va potentiellement par exemple se taper de ranger la table du petit dej’. Ce qui peut sembler comme des petits détails sans importance peut à la longue prendre de la place. Et oui, tout le monde est speed le matin, même la mère freelance. Mais la mère freelance reste chez elle. Et dans l’inconscient collectif de la famille, la mère freelance peut aussi se transformer en fée du logis accompli. Les deux images se brouillent : travailler de la maison et travailler pour la maison, on n’est pas à un mot près (encore une fois, humour caustique, je précise).
Or quand on travaille de la maison, la vie prend encore plus de place : parentalité, corvées domestiques, c’est un travail gratuit qui ne fait pas avancer. Et qui freine encore plus quand on débute une activité en freelance.
Comment la société perçoit les mères freelance
« Ils savent que vous travaillez de chez vous, que vous n’êtes pas loin » Ce sont les mots de ma médecin généraliste alors que je me plaignais que la crèche m’appelle à tout va pour venir chercher un de mes enfants, pour des motifs que j’estimais vraiment exagérés.
On savait que les écoles et crèches avaient tendance à plus appeler les mères que les pères quand il y avait un problème - Laetitia Vitaud parle de pénalité maternelle qui freine justement la carrière des femmes - Mais lorsqu’on sait que vous travaillez de chez vous, on en déduit - injustement - que vous êtes beaucoup plus disponible et flexible pour répondre aux aléas de la garde d’enfants. On se doit donc de venir chercher son enfant quand celui-ci se fait piquer par une guêpe dans la cour de récré (vécu).
Et l’exemple qu’on donne à ses enfants
Les enfants aussi intègrent assez rapidement qu’on travaille de la maison et qu’on dépend moins de facteurs extérieurs inhérents à l’entreprise. Il arrive vite l’âge où les enfants tentent de louper l’école en simulant par exemple un mal de ventre. Ils savent qu’en se plaignant, avec un peu de chance, on va appeler maman et elle viendra nous chercher. Petit moment confession pas du tout parentalité positive : j’ai déjà menti à mon enfant en disant que j’étais en déplacement pendant une journée quand je sentais leur côté Actors Studio se révéler alors qu’on partait pour l’école. (Spoiler : ça marche.)
« Le fait d’être freelance et mère ne doit pas empêcher le recours à des aides périscolaires ou des baby-sitters pour que vous puissiez développer sereinement votre activité » Anne-Laure Baratin, rédactrice et podcasteuse
Le VRAI challenge de la mère freelance
Quand on est une mère freelance, c’est un travail permanent de ne pas faire trop de place à tout ce qui touche au quotidien : ce n’est pas parce qu’on est à domicile, qu’on est obligée de lancer des machines à tout va. Le panier peut déborder, il n’y aura pas mort d’homme (la preuve, il déborde déjà).
Ce n’est pas parce que vous êtes plus flexibles que vous êtes la mum in charge de la maisonnée - sauf si vous le voulez. Attention à la fameuse culpabilité qui peut s’inviter et dont on nous parle tant. Bizarrement elle ne s’est pas encore invitée dans la tête de mon mari, mais là aussi je m’égare.
À la genèse de cette culpabilité, quand on débute en freelance : le problème (l’évidence ?) est que l’on ne va pas forcément se verser un salaire de dingue les premiers mois voire années. L’activité va mettre du temps à se structurer et c’est normal. La culpabilité de ne pas “assurer” financièrement comme c’était le cas avant en tant que salariée, ou juste de gagner moins que son conjoint, peut se traduire par un surinvestissement de la sphère familiale et domestique. On “compense” en allant chercher les enfants plus tôt ou en les gérant le mercredi et les vacances scolaires. Mais cela risque de se faire au détriment de votre nouvelle activité, car ce temps “gratuit” que vous consacrez à votre maison et à vos enfants, est potentiellement un temps “perdu” pour le développement de votre activité.
Là aussi tout est une question de curseur, et de choix. Mais le fait d’être freelance et mère ne doit pas empêcher le recours à des aides périscolaires ou des baby-sitters pour que vous puissiez développer sereinement votre activité.
En définitive, la libération de la mère freelance - oui oui, parlons de libération - passera par le fait de prendre son travail très au sérieux et d’assumer vouloir de la flexibilité pour son travail et son épanouissement perso, plutôt que d’être à 16h15 devant les grilles de l’école ou de se transformer en cabinet médical pour gérer tous les rendez-vous médicaux de la famille.
Son nouveau combat, trouver plus de clients ? Non, poser des limites à son entourage et imposer sa vision du travail (son travail pour se verser un salaire, être indépendante, et payer les stages de poney qui coutent un rein notamment).
C’est un combat fatiguant et parfois culpabilisant, qui demande de ne rien lâcher. Mais qui en vaut la peine pour vivre la vie pro dont on a chacune le droit, selon nos envies et en acceptant de se lâcher la grappe à soi.
Article édité par Clémence Lesacq ; Photos par Thomas Decamps pour WTTJ
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