Métiers du funéraire : rencontre avec les professionnels qui soulagent les proches
31 oct. 2022 - mis à jour le 31 oct. 2022
4min
Parce qu’elle nous concerne tous, parce qu’elle est synonyme de moments douloureux ou parce que l’on est superstitieux, on évite le plus souvent de parler de la mort. La perte d’un proche, le deuil et les dispositions funéraires sont rarement abordés au détour d'une conversation à la machine à café, d’un déjeuner dominical ou de manière impersonnelle. Mais qu’en est-il de ceux qui, tous les jours, prennent soin de nos morts et allègent les responsabilités soudaines de familles endeuillées ? Focus sur des métiers nécessaires, trop souvent dans l’ombre.
« Les pompes funèbres nous avaient tellement bien guidés que j’ai réalisé que je voulais faire la même chose. Une cliente qui se plaignait d’une mèche de travers n’avait plus aucun sens » – Virginie, maître de cérémonie, 44 ans, Cherbourg
OGF Cotentin
J’avais 17 ans quand, un soir, j’ai annoncé à mes parents que je voulais rendre beaux les morts. Je ne savais pas qu’il s’agissait de thanatopraxie, et j’ai fini par passer à autre chose et devenir coiffeuse. Lorsque j’ai perdu ma maman il y a 8 ans, j’ai repensé au soin des personnes endeuillées. Les pompes funèbres nous avaient tellement bien guidés et accompagnés que j’ai réalisé que je voulais faire la même chose. Entendre une cliente se plaindre pour une mèche de travers n’avait plus aucun sens pour moi, c’était devenu superficiel.
On est complètement perdus lorsqu’un proche décède, et mon métier consiste à accompagner les familles à faire ce dernier cadeau à leur proche. Depuis six ans, je prends contact avec les familles, je leur explique le déroulement de la cérémonie, je réponds à leurs questions et à leurs souhaits s’ils en ont… J’aide à créer une cérémonie qui rende hommage à la vie de leur proche. Chaque famille, chaque histoire, chaque décès est différent : il s’agit de s’adapter, tout en étant respectueux, discret, à l’écoute et bienveillant. Quand les familles ressortent de la cérémonie moins tendues, apaisées et vous remercient, ça n’a pas de prix. Elles nous font confiance, nous ouvrent les portes de leur intimité et le lien qui se créé est indescriptible.
« Quand on enlève un stigmate de douleur, de maladie, d’accident, on rend l’image de la mort plus tolérable » – Céline, thanatopractrice, 31 ans, Paris.
Mon métier existe dans de nombreux pays sous le terme d’embaumeur, mais en France on utilise le néologisme de thanatopracteur, afin de s’éloigner de l’embaumement antique. Concrètement, j’apporte des soins de conservation au défunt pour permettre aux familles de se recueillir dans des conditions d’hygiène et de présentation favorables. Après l’injection d’un fluide conservateur et désinfectant par le réseau artériel et veineux qui retarde la dégradation du corps, je réalise une toilette, un habillage et un travail de cosmétologie (si nécessaire). C’est lors d’une réflexion sur une potentielle reconversion que j’ai découvert ce métier. Je suis initialement body piercer, et la thanatopraxie avait l’avantage d’allier ma passion pour l’anatomie et mon envie de travailler dans le soin à la personne.
La mort est porteuse d’un réel paradoxe : elle est partout, mais présente nulle part. On la voit dans les films, les séries, les jeux vidéos, mais la mort réelle, celle qui fait partie de notre parcours de vie est étouffée, cachée, taboue. Au sein même du milieu funéraire, les thanatopracteurs ont un statut assez particulier. Nous sommes peu en contact avec les familles contrairement aux conseillers funéraires, agents de funérarium, porteurs… Et nous travaillons à huis clos, dans les labos avec le défunt. C’est un métier de l’ombre et ça le rend mystérieux. Dans ce contexte social ambivalent, la thanatopraxie, née en réponse à l’affaiblissement des rites funéraires, vient atténuer la distance entre les morts et les vivants. Quand on enlève un stigmate de douleur, de maladie, d’accident, on rend l’image de la mort plus tolérable. On n’efface ni la perte ni la douleur des proches, mais on aide au travail de deuil.
« La première fois que j’ai porté un cercueil en cérémonie, ça m’a fait tout drôle. Il fallait savoir où se mettre, être coordonné avec les autres porteurs, être suffisamment à l’aise » – Florian, conseiller funéraire, 27 ans, Paris.
À 20 ans, j’enchainais les petits jobs quand j’ai postulé dans une structure funéraire familiale. On m’a entraîné deux fois à porter des cercueils vides, et je suis vite arrivé sur ma première cérémonie. Ça m’a fait tout drôle : il fallait savoir où se mettre, être coordonné avec les autres porteurs, être à l’aise pour éviter que ça ne se ressente… J’ai ensuite décidé d’approfondir l’expérience, que j’ai trouvé agréable, en devenant maître de cérémonie, puis conseiller funéraire. Désormais, je m’occupe de plusieurs volets : l’organisation des obsèques, la vente d’articles funéraires, de monuments, mais aussi de contrats obsèques prévoyance. On essaie d’accompagner les familles pour qu’elles se reposent sur nous et que le jour des obsèques, dont on peut se souvenir très longtemps, tout soit réglé comme du papier à musique.
Je me rends compte que mon métier est méconnu et lorsqu’il devient un sujet de discussion en soirée ou que je rencontre de nouvelles personnes, les gens sont curieux. Je pense que la mauvaise réputation des pompes funèbres, dont on dit qu’elles font commerce de la mort, est doucement en train de s’estomper. Mais hormis à la Toussaint, on ne parle pas de nos métiers. Pendant la crise du Covid, je partais tôt le matin, je rentrais me coucher et je recommençais le lendemain. C’était sans fin. Tous les métiers essentiels ont été applaudis, mais nous sommes encore une fois restés dans l’ombre.
« Quand je quitte le bureau, une espèce de gomme passe dans ma tête » – Mikael, responsable de crématorium, 48 ans, Paris.
Un peu par hasard, j’ai travaillé un été avec un ami dans sa société de transports de corps sans cercueil. Les vacances terminées, j’ai fait l’armée, et à mon retour, Pôle Emploi m’a ramené vers le funéraire. J’ai été embauché dans la chambre funéraire d’un hôpital où je me suis vite pris de passion pour le métier, et où je suis resté dix-sept ans. Les décès avaient lieu dans l’hôpital et la famille arrivait deux heures après, j’étais littéralement le premier contact du cycle de deuil. En chambre funéraire comme en crématorium, où je travaille désormais, notre rôle est d’accompagner les familles, de leur expliquer les démarches administratives et de les aider à organiser une cérémonie la plus personnalisée possible.
Le soir, quand je quitte le bureau, une espèce de gomme passe dans ma tête et je rentre chez moi profiter de ma famille. Côtoyer des personnes en deuil quotidiennement n’est pas évident émotionnellement, c’est aussi pour cela que je fais tout mon possible pour que mon équipe se sente bien. Quand nous ne sommes pas en contact avec les familles et que nous travaillons sur des missions plus techniques, l’ambiance est plus légère. Dans certaines cérémonies, les familles décident parfois de trinquer au champagne autour du cercueil : les proches sont évidemment toujours en deuil, mais on sent qu’ils passent une nouvelle étape. Comme les défunts ne sont plus là, il faut prendre soin des vivants.
Ultime échelon des métiers du soin à la personne, le funéraire n’en reste pas moins fondamentalement important. La patience, le respect, l’empathie et le choix des mots sont plus importants que jamais face à des personnes endeuillées et vulnérables. Et si l’ensemble des témoins interrogés dans le cadre de cet article est arrivé dans le milieu par des chemins plus ou moins hasardeux, tous sont quotidiennement animés par ce même désir : faire de la cérémonie un hommage réussi, et aider les familles à avancer dans cette première étape très concrète et symbolique du deuil.
Article édité par Gabrielle Predko ; Photos de Thomas Decamps.
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