Manager de proximité : l’art d’avoir le c** entre deux chaises

20 déc. 2021 - mis à jour le 22 mars 2023

5min

Manager de proximité : l’art d’avoir le c** entre deux chaises
auteur.e
Marlène Moreira

Journaliste indépendante.

La fonction de manager de proximité rime-t-elle avec cadeau empoisonné ? Zoom sur le kit de survie pour faciliter les premiers pas des débutants.

Le manager de proximité, c’est quoi au juste ? La vision du contremaître des films de Charlie Chaplin est tenace, mais est-ce encore une réalité ? À la différence d’un « top manager » qui encadre d’autres managers, le manager de proximité gère des opérationnels, des collaborateurs « de terrain »… dont il est souvent issu. Une posture particulière qui vient avec son lot de challenges.

Un manager de proximité a les fesses entre deux chaises

Une étude OpinionWay x Talentsoft de 2021 révèle que 98 % des dirigeants voient dans les middle managers un atout indispensable au bon fonctionnement de l’entreprise… contre seulement 61 % des opérationnels. Pas de doute, se questionner sur cette casquette si particulière est dans l’air du temps. Alors, qui est-il vraiment ? Quel est son rôle ? « Le manager de proximité est l’interface entre deux mondes : le monde de la production et celui du management », commence Bertrand Duséhu. Au carrefour de ces deux univers, il est amené à jongler avec des personnalités et des egos très différents. Un travail d’équilibriste pour lequel peu sont réellement préparés.

Finies, les petites plaisanteries sur les chaussettes colorées de la directrice ou la calvitie naissante d’un top manager. Du jour au lendemain, celui qui devient manager de proximité passe de l’autre côté de la barrière. Il prend le rôle de bras droit de la direction, tout en restant en contact permanent avec le terrain, jouant le rôle de tampon censé absorber et protéger son équipe de certaines pressions. « C’est pourquoi beaucoup n’ont pas forcément le courage de devenir de vrais managers, ils ont du mal à faire la part des choses. Ils doivent être autant d’un côté que de l’autre et ne pas rester partie prenante de leur équipe, par exemple en continuant à critiquer sa hiérarchie », illustre Bertrand Duséhu. Et les difficultés ne s’arrêtent pas là.

Une promotion… et son package de complexité

Confier un poste de manager est généralement perçu comme une promotion, une évolution positive confiée à un collaborateur qui excelle dans son travail. Pour autant, la personne désignée n’a pas réellement son mot à dire, et ne l’accepte pas toujours avec plaisir. « Pour moi c’est plus une obligation qu’autre chose. Je préfèrerais qu’on me laisse faire mon travail tranquillement. Alors la première fois que l’on m’a proposé le poste, j’ai refusé, et il a été confié à un collègue. Mais quand celui-ci est parti à la retraite, je n’ai plus eu le choix. C’est moi qui avais le plus d’expérience, alors je suis devenu middle manager. Et ça ne m’enchante pas », confie Philippe, chef d’équipe dans un atelier de modelage.

« Le manager de proximité qui n’a pas choisi de l’être se trouve dans une position difficile. Le sentiment de ne pas être à sa place peut conduire à beaucoup de stress », alerte Bertrand Duséhu. Les formations – quand on peut en bénéficier – permettent de développer les capacités managériales qui semblent si instinctives pour d’autres. Et n’oublions pas que ce rôle vient souvent s’ajouter aux missions de production : le nouveau middle manager doit ainsi endosser son rôle tout en étant aussi productif qu’avant.

Devenir un bon manager de proximité : mode d’emploi

La fonction de manager de proximité serait-elle donc un cadeau empoisonné ? Pas toujours, et heureusement. Quelques conseils simples permettent de faciliter les premiers pas des débutants :

  • Clarifier sa position ou changer d’équipe. Bien souvent, le top management confie au manager de proximité la direction de ses anciens collègues. Une difficulté supplémentaire, car ceux-ci auront tendance, naturellement ou non, à le lui rappeler. « Pour la majorité de mes collègues, cela n’a pas été un problème. Car j’ai toujours eu une position de transmission de savoir, elle était juste officieuse. Mais pour l’un d’entre eux, ça a été compliqué. Il était jaloux : il critiquait mon travail, ma façon de faire, toujours à essayer de trouver une faille. Alors que je lui aurais laissé le poste avec plaisir si j’avais pu », illustre Philippe. Quand c’est possible, prendre en charge une autre équipe permet de contourner cette difficulté. Sinon, c’est à la hiérarchie de préparer le terrain en légitimant le nouveau manager dans son rôle, auprès de ses anciens collègues.

  • Se former et apprendre. « Le management est avant tout une question de personnalité. Et ce n’est pas parce que l’on est doué dans ce que l’on fait que l’on sera un bon manager », explique Bertrand Duséhu. Si certains naissent avec les compétences de vrais leaders, d’autres doivent les apprendre et les travailler. « Les formations et les jeux de rôle sur les problématiques classiques du manager, comme la gestion des conflits, sont particulièrement utiles », illustre Bertrand Duséhu. Si possible, permettre au manager de proximité d’être supervisé par son top manager ou par un pair dans ses premiers pas est l’assurance (ou presque) d’une évolution en douceur.

  • Prendre de la hauteur pour éviter les travers les plus classiques. Attention à ne pas devenir un « petit chef » ! Car la tentation de s’impliquer dans le travail de ses ex-collègues est grande… d’autant plus pour un manager de proximité, souvent promu pour son expertise sur un sujet avant ses compétences de leadership. « Au contraire, il doit jouer un rôle d’aiguilleur et guider son équipe en lui laissant de l’autonomie ». C’est la position qu’a choisi d’adopter Philippe : « Je considère que je ne gère pas des personnes, mais plutôt la manière de réaliser le travail. Je suis garant de la méthode. Concrètement, à chaque nouvelle commande, c’est moi qui propose une approche pour la réaliser, mais je ne suis pas derrière le dos de l’équipe à surveiller si le travail est bien fait. Je veux que chacun prenne ses responsabilités ».

  • Encourager la collaboration. Dans cette position d’aiguilleur, le manager de proximité est là pour mettre de l’huile dans les rouages, plutôt que de donner des ordres. Pourtant, pour quelqu’un qui serait déjà en difficulté dans son rôle, associer son équipe aux prises de décision peut faire peur : vont-ils me trouver légitime si je ne les dirige pas ? « Au contraire, une décision collégiale doit être comprise comme une concertation qui permet au manager de prendre sa décision », ajoute Bertrand Duséhu.

Managers de proximité : une espèce en voie de disparition ?

Ce n’est un secret pour personne, les générations qui rejoignent le monde du travail aujourd’hui montrent le besoin d’être écoutées, de trouver du sens. De comprendre les directives avant de les exécuter. De trouver un équilibre entre leur travail et leur quotidien. Des questionnements auxquels le middle manager peut-il apporter une réponse ? Selon l’étude OpinionWay, si les dirigeants attendent principalement des managers de proximité de continuer à motiver les équipes et assurer la bonne organisation de la production après la crise, les besoins des opérationnels sont toutes autres. Pour la majorité des encadrés, ils doivent avant tout être attentifs à l’équilibre vie pro / vie perso de leur équipe, et se préoccuper de leur état de santé moral et physique.

Alors, le manager de proximité « à l’ancienne » est-il amené à disparaître ? « Il est surtout amené à changer. On lui demande de plus en plus d’être créatif, d’être partie prenante de la recherche de solution. C’est de plus en plus rare de voir des “contremaîtres”. Au contraire, on lui demande toujours plus d’autonomie et de responsabilité », explique Bertrand Duséhu. Et si, malgré ces nombreux défis, le manager de proximité était celui de demain ?

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Article édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ

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