Arrêt maladie : « Je préfère poser des congés plutôt que de perdre en salaire »
21 mars 2024
4min
Assister à une réu avec 38°C de fièvre, siffler trois paquets de mouchoirs en une matinée, faire résonner vos quintes de toux à travers tout l’open space… Que celles et ceux qui ne sont jamais allés travailler en étant malades nous jettent la première pierre. Mais pourquoi rechigne-t-on tant à poser un arrêt maladie ? Quelles craintes nous guident lorsque l’on décide d’aller au bureau contre l’avis de notre médecin ? Ludovic, Carla, Aurélie et Hélène nous exposent ce qui les retient.
« J’aime bien être irréprochable, je ne veux pas passer pour le “faux malade”, celui qui s’absente tout le temps sans raison apparente »
Ludovic, data analyst, 37 ans
Récemment, j’ai eu une grosse grippe, le médecin m’a arrêté une semaine mais je n’ai pris que trois jours car j’étais déjà sous l’eau. Mon client et ma hiérarchie m’avaient encouragé à m’arrêter, sauf que, derrière, je savais que le travail ne serait pas fait. Tout le monde croulait déjà sous le boulot, et personne n’avait le temps d’assurer mes arrières. Résultat, ça n’a pas loupé : le client a dit à ma supérieure que la mission avait pris du retard. Je suis consultant, donc on dispose d’un temps donné pour effectuer une mission, et si on est en arrêt, le retard s’accumule très vite. Et le client a beau être conciliant, je sais que si à l’instant T, ce n’est pas livré, ça me retombera dessus.
C’est vrai aussi que j’accorde beaucoup d’importance – probablement trop, au regard des autres. J’en demande beaucoup à mes collaborateurs, donc je ne me vois pas me mettre en arrêt, on a énormément de travail et ça mettrait tout le monde dans l’embarras… Je me rends compte aussi que j’aime bien être irréprochable, je ne veux pas passer pour le « faux malade », celui qui s’absente tout le temps sans raison apparente et qui retarde tout le monde.
Avec le recul, j’aurais dû prendre une semaine de repos complet parce que j’ai eu beaucoup de mal à reprendre derrière, trois jours ce n’était pas assez, c’était presque contre-productif. J’ai voulu retourner au bureau pour montrer que j’étais là, mais j’aurais aussi bien pu reprendre à distance, ça aurait été moins fatigant.
« Je ne veux pas qu’une autre personne puisse prendre une mauvaise décision à ma place. »
Carla(1), chargée de recrutement en hôtellerie, 33 ans
En six ans de carrière, j’ai dû me mettre en arrêt maladie trois fois. J’ai vraiment du mal à poser des jours quand je suis malade. C’est lié au fait que j’ai beaucoup de conscience professionnelle, je suis très investie dans mon travail. Si je suis absente, j’ai peur de louper des infos sur les clients, les événements… En hôtellerie, ça va vite, il se passe des choses tous les jours ! Et je ne veux pas qu’une autre personne puisse prendre une mauvaise décision à ma place. Le pire, c’est que je me mets cette pression toute seule, parce que ma hiérarchie ne m’a jamais empêchée de m’arrêter quand j’étais malade, des fois c’est même mes collègues qui m’encourageaient à prendre un congé !
Mais à chaque fois j’ai le sentiment qu’on a besoin de moi, j’aime me sentir indispensable. J’ai du mal à déléguer et l’expérience m’a montré que le peu de fois où je me suis arrêtée, mes dossiers ont été assez mal gérés, donc je me méfie. Toutes les fois où j’ai posé un arrêt (qui n’a jamais dépassé deux jours), je culpabilisais à fond et je ne déconnectais jamais complètement, je continuais à envoyer des sms à mes équipes… Ce n’était que 48h mais dans ma tête c’était dix jours !
À une époque, je manageais pas mal de personnes et je trouve qu’il y aussi un devoir d’exemplarité vis-à-vis des équipes, je ne voulais que ce soit à eux de prendre ma charge de travail. Aujourd’hui, je suis autonome sur mon poste donc c’est un peu différent, j’éprouve un peu moins de scrupules à m’arrêter si besoin car je suis toute seule, je ne manage personne.
« Quand je posais un arrêt, je travaillais quand même de chez moi car je savais que personne n’aurait le temps de reprendre mes dossiers. »
Aurélie, ex-consultante, 36 ans
Voilà deux ans que je suis arrêtée, suite à un burn-out. J’ai travaillé neuf ans dans une société où nous étions débordés de travail. Quand je posais un arrêt, je travaillais quand même de chez moi, car je savais que personne n’aurait le temps de reprendre mes dossiers. Je préférais ça plutôt que de devoir me prendre une énorme vague de retard en revenant. À l’époque, je savais que si j’en avais parlé à mon médecin, il m’aurait arrêtée pour longtemps, car j’étais épuisée. J’avais tellement de pression sur mes épaules que je me disais que si j’étais arrêtée, ça allait être catastrophique pour l’entreprise ! On me faisait croire que tout reposait sur moi, et c’était aussi très valorisant, donc je me suis laissée prendre au jeu. Quelqu’un avec une personnalité différente aurait peut-être mis le holà avant.
J’ai fini par négocier une rupture conventionnelle, et, étonnamment, c’est dans le job suivant que j’ai craqué. L’ambiance était pourtant bien plus saine, mais je pense que c’est le moment où mon corps s’est autorisé à lâcher. J’ai aussi senti que c’était accepté que je craque. Aujourd’hui ça va mieux, je me suis beaucoup soignée, je me suis entourée de différents praticiens, mais je ne me sens pas encore prête à revenir sur le marché du travail tellement je me suis sentie abîmée. J’envisage de reprendre un mi-temps thérapeutique, on verra. Mais cette expérience m’a servi de leçon, désormais je sais qu’il y a des choses que je n’accepterais plus, et je saurai m’arrêter avant le point de rupture.
« Lorsque j’étais vraiment mal, je préférais poser des jours de congé, et revenir travailler au bout de deux/trois jours, plutôt que de perdre en salaire. »
Hélène, chef de produit dans le textile, 38 ans
Je n’ai jamais posé d’arrêt maladie de ma vie ! La raison principale ? Les jours de carence. Comme je n’ai jamais eu de convention collective très avantageuse, il me fallait poser plus de trois jours pour toucher des indemnités. Donc lorsque j’étais vraiment mal, je préférais poser des jours de congé, et revenir travailler au bout de deux/trois jours, plutôt que de perdre en salaire. Après, j’endosse aussi plus de responsabilités maintenant, et je pense qu’être absente me dérange un peu, si je peux, j’évite.
Avec le télétravail, les frontières sont aussi devenues plus floues, désormais on peut travailler de chez soi, avec son ordi, donc c’est encore plus difficile de poser des arrêts maladie je trouve, finalement ça se justifie moins à part si on est au point de ne pas pouvoir du tout fonctionner.
Le prénom a été modifié pour préserver l’anonymat.
Article édité par Aurélie Cerffond ; Photo de Thomas Decamps
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