Parité : « Les réseaux de femmes jouent un rôle déterminant »
07 avr. 2020
4min
Autrice, consultante et conférencière sur le futur du travail, spécialiste de la productivité, de l’âge et du travail des femmes
Nathalie Lapeyre est sociologue, Professeure des Universités à l’Université de Toulouse 2, et co-directrice du réseau de recherches interdisciplinaire et international MAGE (Marché du Travail et Genre). Ses travaux semblent incontournables quand on s’intéresse aux enjeux relatifs à la féminisation des « bastions masculins ».
En 2019, elle a publié le livre Le nouvel âge des femmes au travail aux Presses de Sciences Po. Ce livre est le fruit de plusieurs années d’enquête de terrain dans le monde industriel (plus particulièrement, dans l’aéronautique, chez Airbus). Elle y décrit un phénomène nouveau : les femmes qui évoluent dans ce monde professionnel a priori « hostile » sont avant tout pragmatiques et déterminées à saisir toutes les opportunités possibles.
Si le chemin qui reste à parcourir peut sembler encore long, l’empowerment des jeunes générations laisse espérer des progrès en matière d’égalité. Selon elle, la quatrième génération de femmes ingénieures, entrée sur le marché du travail après les années 2000 sait profiter des réseaux, internes et externes aux organisations, comme ne savaient pas le faire leurs aînées. « Le développement des réseaux et des connexions est le principal facteur qui impacte les carrières des femmes et, par conséquent, la possibilité de créer une force politique, interne comme externe à l’entreprise ».
Nous l’avons interviewée au sujet des enjeux de la féminisation dans l’industrie énergétique (auxquels nous avons consacré le Livre Blanc « Industrie cherche ingénieurEs pour sauver la planète » à paraître le 6 mars prochain), dont l’héritage culturel n’est pas sans rappeler l’industrie aéronautique…
Industrie cherche ingénieurEs pour sauver la planète
Comment faire mieux et donner plus de place aux femmes dans ce secteur d’avenir ?
WTTJ : Beaucoup d’entreprises mettent en avant la faiblesse du vivier des diplômées des filières scientifiques. Dans certaines filières / disciplines, on observe même une régression depuis deux décennies du nombre de filles. Quelle est votre interprétation ?
N.L. : En effet, certaines filières ont continûment du mal à recruter des femmes. Là où il y a régression, c’est qu’il y a eu des changements dans les représentations des métiers. En informatique, par exemple, la figure du geek, masculin (et parfois asocial) a fait son apparition et agit comme un repoussoir. Il y a aussi des transformations structurelles du marché du travail : si les conditions de travail qui sont proposées aux femmes sont mauvaises, c’est difficile de les attirer.
Plus profondément, on se heurte à un impensé sociétal concernant certains métiers, perçus comme n’étant « pas des métiers de femmes ». Cet impensé est le fruit de constructions de rapports de domination. Certains métiers ne font donc pas partie des métiers qu’on présente aux femmes.
Le recrutement n’est pas le seul problème. Vous avez observé dans vos travaux un problème de rétention des femmes dans certains secteurs.
Les femmes qui travaillent dans des secteurs / métiers très masculins (là où elles sont moins de 10%, voire moins de 5%, notamment) n’y restent pas longtemps. Les plus endurantes d’entre elles restent entre 5 et 10 ans. Mais à un moment donné, elles en ont marre. Elles ne supportent plus le harcèlement, la culture, le fait de n’être pas incluses… Il se produit alors un rejet, et elles décident de bifurquer vers d’autres postes. Souvent, c’est avant 40 ans que cela se produit. Dans certains métiers, il y a des cultures franchement hostiles aux femmes. Ou bien ce sont les managers qui ne jouent pas le jeu. Il peut souvent y avoir une omerta, notamment pour tout ce qui concerne le harcèlement dont certaines femmes sont victimes. Des collectifs masculins établissent des stratégies défensives pour préserver leur entre-soi.
Les femmes les plus endurantes ne restent qu’entre 5 et 10 ans dans les secteurs supposément “masculins”.
Le résultat, c’est qu’on n’arrive pas à garder les femmes quand bien même on arrive à les recruter. Or quand ces femmes ont bifurqué vers d’autres postes, il est très rare qu’elles reviennent à des postes plus techniques. Parfois elles ont pris du retard en matière de compétences. Elles ont donc des amplitudes de carrières moins importantes. On arrive souvent à une forme de « naturalisation », d’essentialisation des métiers. Et cela se renforce avec les processus de socialisation et la reconstruction spontanée de « ghettos »…
Beaucoup de chercheur.es parlent de l’existence d’un seuil, un pourcentage minimum de femmes, à partir duquel la culture change et devient moins hostile. Qu’en pensez-vous ?
En effet, il y a un certain nombre d’études sur la question. Il existe des seuils symboliques, entre 30 et 40%, au-delà desquels les choses changent. Quand elles sont plus de 40%, les femmes échangent davantage. On va vers plus de transparence, sur les primes ou les salaires, par exemple. C’est pour cela que la Loi Copé-Zimmermann (relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance) fixe un quota obligatoire de 40% du sexe sous-représenté dans les conseils d’administration dans les entreprises cotées.
Il est intéressant de remarquer qu’il existe une asymétrie de position entre les hommes et les femmes en situation de minorité professionnelle. Quand les hommes sont en situation de minorité (dans les métiers du soin, par exemple), ils font des plus belles carrières, on les promeut davantage. En revanche, quand les femmes sont en situation de minorité (dans les métiers d’ingénieur.e.s, par exemple), c’est beaucoup plus difficile. Dans un cas, on a « le coq dans la basse-cour », dans l’autre, on a « l’éléphant dans un magasin de porcelaine ».
Sans politiques volontaristes, rien ne changera. La loi et la sanction, ça marche.
Nathalie Lapeyre
Avec la transition énergétique, on va recruter massivement dans les métiers de l’énergie. Et de nouveaux métiers se créent. Est-ce une opportunité pour les femmes ? Quels sont les leviers d’action ?
Pourquoi pas ? Quand de nouveaux métiers se forment, alors il y a de nouvelles opportunités. Après tout, Greta Thunberg créé certainement des vocations nouvelles chez les filles, et ça peut faire un appel d’air. Mais cela dépendra surtout des enjeux de pouvoir. Et puis sans politiques volontaristes, rien ne changera. La loi et la sanction, ça marche. La Loi Copé-Zimmermann, par exemple, a un impact réel. De même dans les entreprises, s’il n’y a pas au sommet une volonté forte, les choses n’avanceront pas.
Parmi les autres leviers d’action, les réseaux de femmes et les collectifs féminins jouent un rôle déterminant. Ils sont un rouage dans l’application des politiques de mixité des entreprises. Ils servent à infuser, convaincre, faire connaître. On observe aussi que ces collectifs promeuvent davantage la notion de « sororité », et déploient des programmes de mentorat qui sont efficaces.
Inspirez-vous davantage sur : Laetitia Vitaud
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