Perks & parentalité : les Américains sortent l’artillerie lourde pour recruter

24 mai 2021

7min

Perks & parentalité : les Américains sortent l’artillerie lourde pour recruter
auteur.e
Laetitia VitaudExpert du Lab

Autrice, consultante et conférencière sur le futur du travail, spécialiste de la productivité, de l’âge et du travail des femmes

De nombreuses entreprises n’ont pas attendu la pandémie pour offrir à leurs salarié·e·s des avantages en nature liés à la parentalité. Aux États-Unis, il n’existe pas de congé parental obligatoire. L’accès aux services de garde d’enfants est coûteux et difficile à peu près partout. L’assurance santé est au mieux inégale, au pire, ruineuse. Rien n’est fait pour faciliter la vie des parents au travail. Dans ce contexte, ce sont les employeurs qui peuvent faire la différence. La parentalité au travail est donc un sujet dont s’emparent de plus en plus d’entre eux pour améliorer leur marque employeur et attirer des talents.

Depuis quelques années, les géants de la Silicon Valley rivalisent de générosité en matière d’avantages en nature (perks, en Anglais). Cela a d’abord concerné des avantages classiques comme les repas gratuits au bureau, les cours de yoga, les vêtements et autres goodies à l’effigie de l’entreprise. Et puis ces entreprises sont allées plus loin en offrant à leurs salarié·e·s des congés parentaux (y compris pour les seconds parents), des solutions de garde d’enfants ou la congélation des ovocytes !

De plus en plus, c’est sur le terrain de la parentalité que se joue la nouvelle guerre des avantages en nature. Peut-on recruter dans la diversité si on se prive du vivier constitué par les mères ? La pandémie aura tout de même eu pour effet de provoquer une prise de conscience accélérée sur les difficultés auxquelles font face les jeunes parents pour combiner travail et parentalité. Rien n’est fait pour les aider. Le télétravail a provoqué de nouveaux questionnements sur l’évolution des perks (la plupart étant à l’origine liés à la vie de bureau).

Le gouvernement américain entend aujourd’hui appréhender la garde d’enfants comme un sujet d’infrastructures. En effet, des millions de mères actives (et quelques pères) sont, malgré la reprise, aujourd’hui encore empêchées de travailler faute de solutions de garde accessibles. Or de nombreuses entreprises font face à une sévère pénurie de travailleurs / travailleuses. La fiction selon laquelle on peut ne pas penser à sa famille au travail et ne pas penser au travail en famille a été battue en brèche pendant la période de pandémie.

Comment les avantages en nature se sont-ils déplacés sur le terrain de la parentalité en entreprise ? Et quelles leçons peut-on en tirer ?

Avantages en nature : la guerre des talents synonyme de surenchère

Les entreprises numériques consacrent des ressources immenses au recrutement et à la fidélisation de leurs talents. Rien n’est trop beau pour tenter de séduire les meilleur·e·s. Les salaires y sont plus élevés qu’ailleurs, et la concurrence, plus féroce. Dans les grandes entreprises comme Google ou Facebook, les avantages en nature peuvent représenter jusqu’à 20% du salaire des employé·e·s.

La surenchère des perks est une manière pour ces entreprises de se démarquer de leurs concurrents, mais aussi d’offrir l’équivalent d’un salaire supplémentaire défiscalisé (on ne paye pas d’impôt sur les repas offerts au bureau). Parfois, ces avantages contribuent aussi à faire figurer l’entreprise dans le classement Great Place to Work, ou à obtenir un label comme B-Corp, ce qui lui permet de mieux faire rayonner sa marque employeur.

Les somptueuses cantines des campus de Facebook ou Google ont longtemps représenté un élément central de leur attractivité, tout comme les multiples avantages du campus lui-même, où l’on peut aller se faire soigner et coiffer, mettre ses vêtements au pressing, et jouer aux jeux vidéo avec ses collègues dans les meilleures conditions. Mais on les a aussi accusées d’entretenir ainsi une culture du présentéisme extrême : les salarié·e·s sont encouragé·e·s à ne jamais quitter leur lieu de travail.

La pandémie et le télétravail forcé ont représenté un défi culturel pour ces firmes. Habituées à mettre en avant ces avantages du bureau et à cultiver les échanges informels et la « sérendipité », elles ont longtemps été plutôt hostiles au télétravail. Il a donc fallu réinventer beaucoup de choses et trouver les moyens de satisfaire les salarié·e·s autrement qu’avec des smoothies au kale et à l’avocat.

La marque employeur sur le terrain de la parentalité

Bien sûr, l’engagement des entreprises sur le sujet de la parentalité a commencé bien avant la pandémie. Mais avec cette dernière, les choses se sont accélérées. La période a mis en lumière comme jamais les inégalités au travail et les obstacles auxquels les mères sont confrontées au travail. Aux États-Unis, plus de deux millions d’entre elles ont été contraintes de quitter leur emploi à temps plein pour s’occuper d’enfants à la maison. Certaines ont basculé à temps partiel. D’autres se sont complètement arrêtées de travailler. Je l’écrivais dans cet article sur l’augmentation des inégalités femmes / hommes suite à la pandémie :

« Dans une enquête de McKinsey et Lean In auprès des salariées nord-américaines, une femme sur quatre a déclaré qu’elle envisageait de réduire ou de quitter son travail rémunéré en raison de la pandémie, citant le manque de souplesse des entreprises, les responsabilités de l’éducation des enfants et des tâches domestiques et le stress. L’enquête comprenait des données comparatives qui mettaient en évidence l’écart entre les sexes pour les parents ; alors que 8 % des mères interrogées avaient envisagé de passer du travail à temps plein au travail à temps partiel, c’était le cas pour seulement 2 % des pères. »

Aujourd’hui, alors que l’activité reprend dans de nombreux secteurs, on remarque que le taux d’emploi des femmes reste plus bas qu’il ne l’était en février 2020. Les débats sur la diversité des ressources humaines (et notamment, la féminisation de certains secteurs ou métiers) restent omniprésents. Les entreprises qui avaient déjà fait de la parentalité un thème de marque employeur (certaines en s’illustrant sur le sujet du congé second parent) comprennent que c’est l’un des sujets essentiels pour leurs salarié·e·s.

Quelques mois après l’annonce de la création d’un « congé fausse couche » par le gouvernement néo-zélandais, plusieurs entreprises britanniques, dont le média Channel 4 et la startup bancaise Monzo, commencent à proposer leur propre version du congé pour perte de grossesse. On peut parier que les entreprises numériques américaines ne seront pas en reste. Après la congélation des ovocytes, le « congé fausse couche » pourrait être le nouvel avantage en nature pour mettre en lumière ses vertus d’employeur.

Cette année, le classement « Great Place to Work » a mis en valeur les entreprises qui ont le mieux soutenu les parents et les aidant·e·s. Cisco a offert à ses employé·e·s l’accès à une plateforme numérique appelée Wellthy, qui les aide à prendre soin des leurs. Zillow a récemment institué un bloc de quatre heures de « tronc commun » quotidien pour collaborer entre collègues. Pour les employé·e·s réparti·e·s sur plusieurs fuseaux horaires, cette mesure vise à cantonner les réunions Zoom internes à une partie seulement de la journée de travail. Cela est particulièrement bienvenu pour les employé·e·s qui ont des responsabilités familiales et ont besoin de plus de flexibilité dans leur emploi du temps.

Motivation extrinsèque vs motivation intrinsèque

Il paraît a priori difficile de porter un regard négatif sur l’implication croissante des entreprises pour l’amélioration de l’équilibre des temps de vie des parents, ou la reconnaissance de la réalité du corps et de la vie privée des salarié·e·s. Par exemple, les articles consacrés aux entreprises qui offrent désormais un « congé fausse couche » contribuent à lever progressivement le tabou sur ce sujet. On ne peut qu’espérer que les entreprises les plus engagées en inspireront d’autres demain. Que peut-on bien y trouver à redire ?

Ces évolutions restent globalement positives, mais on peut néanmoins pointer quelques limites ou dangers. Patty McCord, ancienne DRH de Netflix et autrice du livre Powerful: Building a Culture of Freedom and Responsibility a pointé il y a plusieurs années le caractère absurde de la guerre des avantages en nature : « Le bonheur des salariés ne dépend pas des menus gastronomiques qu’on leur sert, ni des lieux de repos et des babyfoots mis à leur disposition. Ils / elles le trouvent bien davantage dans le fait de s’investir pour résoudre un problème avec des collègues talentueux qui partagent leur sens de l’engagement. »

Pour McCord, le meilleur moyen de séduire et retenir les talents, c’est de leur donner les moyens de remplir une mission à laquelle ils / elles s’identifient, avec d’autres personnes talentueuses. En d’autres termes, les perks représentent des formes de motivation extrinsèque alors qu’il vaudrait mieux renforcer la motivation intrinsèque, celle du travail en lui-même. On pourrait ajouter que certains des avantages proposés (en particulier l’assurance santé) retiennent les employé·e·s dans l’entreprise pour des raisons qui n’ont rien à voir avec le travail. Par exemple, un·e employé·e dont le / la conjoint·e a développé un cancer ne peut plus quitter son poste de peur de perdre la couverture médicale et de risquer la faillite personnelle.

On peut souligner aussi que pour les parent·e·s, le plus important serait que la culture de l’entreprise laisse la place à un bon équilibre entre les temps de vie et qu’elle n’exige pas des employé·e·s une charge de travail incompatible avec une vie familiale. Il faudrait organiser le travail de telle manière que les salarié·e·s soient autonomes et responsables, qu’ils / elles n’aient pas besoin d’être présent·e·s au bureau toute la semaine du matin au soir. Or ces choses-là font rarement partie des avantages mis en avant dans un monde où le surtravail reste la norme.

« Quoi que vous fassiez, n’arrêtez pas de travailler »

Certains de ces avantages, comme la congélation d’ovocytes, la livraison à domicile du lait maternel pompé au bureau et les services de nounous « volantes », sont certainement généreux, mais ils semblent également véhiculer un message clair : quoi que vous fassiez, n’arrêtez pas de travailler. De plus, dans cette culture du surtravail où la parentalité reste assez taboue, il est probable que beaucoup de salarié·e·s ne profitent pas réellement des avantages offerts. Là où les femmes enceintes sont placardisées, elles risquent fort de ne pas faire la demande d’un « congé fausse couche » ! De même, là où le surtravail est valorisé, les « congés illimités » se limitent à quelques jours dans l’année.

Tant que le sujet de la parentalité au travail ne sera qu’un sujet de vie privée dont seules quelques entreprises avant-gardistes s’emparent pour faciliter le quotidien de leurs salarié·e·s, alors la culture ne changera pas dans le bon sens. En matière de parentalité, les inégalités sont extrêmes selon les pays et les situations d’emploi. Aux États-Unis, la plupart des entreprises ne proposent absolument rien à leurs salarié·e·s et aucun système public n’a été mis en place pour offrir un congé parental rémunéré ou un accès à des services de garde d’enfants.

Aujourd’hui, on devrait surtout encourager les entreprises à militer avec leurs salarié·e·s pour l’universalité du congé parental et pour la fin d’une culture de travail qui ne permet pas de faire autre chose que travailler. Heureusement, certains de ces thèmes semblent être au programme du gouvernement de Biden.

Photo par Unsplash

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