Peut-on manager sans infantiliser ?

04 juil. 2024

4min

Peut-on manager sans infantiliser ?
auteur.e
Ingrid de Chevigny

Freelance Content Writer & Content Strategist pour start-ups B2B

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Même dans une équipe d’adultes compétents et responsables, le manager peut parfois adopter une posture infantilisante vis-à-vis de ses N-1. Quelles sont les formes que cela peut prendre et est-ce possible de l’éviter ?

Une surveillance accrue des personnes en télétravail, des félicitations distribuées comme des bons points en réunion d’équipe, des processus et deadlines ultra-rigides, des team buildings avec activité escape game… De nombreuses pratiques d’entreprise laissent à penser que les salariés sont traités comme des enfants tout droit sortis de l’école maternelle. Et les managers jouent évidemment un rôle important dans cette dynamique, même s’ils n’en sont pas forcément conscients, ou bien qu’ils le font avec la meilleure intention du monde. Il faut dire qu’ils n’occupent pas une position facile : en tant que supérieurs hiérarchiques, ils sont tenus de fixer un cadre suffisamment strict pour garantir le respect des règles de l’entreprise, et leur position leur impose de faire preuve d’un minimum d’interventionnisme pour guider leurs équipes vers les objectifs fixés. Comment peuvent-ils alors exercer leurs fonctions sans compromettre, souvent malgré eux, l’autonomie et la capacité de décision de leurs collaborateurs ?

Quand le manager endosse un rôle de « parent » pour ses équipes

Certaines équipes sont marquées par une dynamique de pouvoir qui n’est pas sans rappeler la relation parents-enfants. Et cela peut entraîner divers écueils. « Le problème n’est pas le fait d’exercer une autorité statutaire, mais la manière de le faire », explique Christiane Rumillat, psychologue du travail et consultante auprès d’organisations. Elle note par exemple que certains managers infantilisent leur équipe de manière inconsciente car ils managent comme ils ont été éduqués, sur un mode « C’est comme ça et pas autrement ». Leur posture de fermeté se traduit alors par une relation commandement / obéissance qui peut les pousser à exercer une infantilisation non consciente. Elle a notamment croisé la route de certains managers qui s’adressaient à leurs collaborateurs de manière rabaissante, avec des petites phrases du type « Sers-toi de ta tête ! », et qui ne voyaient même pas le problème de leurs propos car c’est ce qu’on leur disait quand ils étaient petits.

À l’autre bout du spectre, il y a aussi des managers qui ont tendance à infantiliser leurs collaborateurs en adoptant une posture sur-protectrice. Les nouvelles tendances managériales comme le management par le « care », qui valorisent la bienveillance, l’écoute, ou encore la politique de la porte ouverte, peuvent d’ailleurs contribuer à cette dérive. « La frontière entre accompagner et infantiliser est floue, étroite, explique Christine Rumillat, et certains managers peuvent être infantilisants en voulant se montrer accompagnants et aidants ».

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Un comportement qui repose sur des dynamiques complexes

L’un des ressorts de l’infantilisation est, selon Christine Rumillat, la représentation que le manager a de son propre rôle : « Un manager qui se considère comme le “sachant”, et qui perçoit ses collaborateurs comme des personnes moins qualifiées ou moins compétentes que lui est plus susceptible d’adopter un comportement infantilisant », pointe-t-elle. Mais tout dépend aussi des personnes qui constituent l’équipe du manager : des salariés sont en effet dans une posture de passivité qui peut, en elle-même, susciter l’infantilisation. Par exemple, certains se mettent dans un rôle d’enfant soumis, en perpétuelle recherche de validation, tandis que d’autres adoptent un comportement passif-agressif et refusent tout simplement certaines responsabilités, avec des phrases comme « Je ne suis pas payé pour prendre des initiatives ».

Parfois, l’organisation joue elle aussi un rôle central dans l’infantilisation des équipes : « Dans certaines entreprises, le micro-management est un choix managérial stratégique », souligne Christiane Rumillat. C’est-à-dire que l’organisation repose délibérément sur une surveillance accrue et un contrôle permanent des collaborateurs, qui sont, de fait, bridés et infantilisés. Ces entreprises y trouvent souvent leur compte car elles obtiennent des résultats grâce à ces méthodes. Mais il y a généralement un effet boomerang puisque les employés finissent par se démotiver, ce qui nuit à la productivité sur le long terme.

Trouver la « juste attitude » pour accompagner sans infantiliser

Pour Christiane Rumillat, un manager qui souhaite éviter l’infantilisation devrait avant tout travailler sa communication. Selon elle, il serait d’ailleurs intéressant de pouvoir suivre des formations dédiées à la communication non infantilisante, au même titre que la communication assertive ou la communication non violente. Elle prend l’exemple de la reconnaissance : « Préférez dire “J’ai bien aimé ce que tu as fait” plutôt que “Bravo” ou “Tu as fait un très bon travail”, qui rappellent un ton de maître ou maîtresse d’école, et que les collaborateurs trouvent souvent affligeant », conseille-t-elle.

Mais au-delà de la communication, tout est une question de dosage et d’adaptation, comme souvent en management. L’infantilisation n’est par exemple pas une bonne stratégie pour les nouvelles générations, qui ont eu tendance à avoir une éducation plus responsabilisante. Comme le note Christiane Rumillat, beaucoup de jeunes salariés ont en effet grandi dans un environnement où on leur demande d’être autonomes, force de proposition, d’avoir du talent… et ils ont par ailleurs une certaine maturité professionnelle grâce aux stages qu’ils ont pu effectuer. Ils ne sont donc pas dupes face à l’infantilisation et sont plus susceptibles de la rejeter.

Une forme d’hypocrisie institutionnelle autour de l’infantilisation au travail

« Il existe aujourd’hui une forte discordance entre le discours et la pratique. Dans le discours, les valeurs d’autonomie et de responsabilisation des salariés sont sans cesse mises en avant, mais dans la pratique, il y a beaucoup de process infantilisants », explique enfin Christiane Rumillat. Les managers sont en effet aujourd’hui tiraillés entre d’un côté les nouvelles injonctions de favoriser un environnement de travail bienveillant, de prendre soin de la santé mentale de leurs collaborateurs, et de l’autre, par les pressions temporelles, les résultats à atteindre, et les contraintes en tout genre.

Aussi, les modèles managériaux restent souvent très traditionnels et verticaux, or remettre en cause l’infantilisation revient finalement à remettre en cause la hiérarchie et la relation de subordination. La véritable question est donc : les entreprises sont-elles prêtes à évoluer vers des structures plus horizontales et collaboratives ?


Article écrit par Ingrid de Chevigny, édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ

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