Réunion : 6 phrases néfastes qui flinguent la sécurité psychologique de votre équipe
27 sept. 2022
6min
Sous couvert d’un bon jeu de mots ou simplement de mauvaises habitudes, ces petites phrases, parfois anodines, consument la confiance et la sécurité psychologique de vos équipes en réunion. Avec à la clé, un silence consterné (au mieux) et un désengagement général (au pire). Notre expert du Lab Louis Vareille, réuniologue et auteur, analyse et challenge ce phénomène, à travers un florilège de phrases entendues en réunion et que l’on devrait (vraiment) garder pour soi.
« Une réunion consiste à mettre ensemble de la diversité, explique Louis Vareille. Une diversité de métiers et d’expériences, évidemment, mais aussi de perspectives et de maturités. Certains sont attirés davantage par le fond, d’autres par la forme, par exemple. Finalement, chacun voit le sujet avec sa propre clé de lecture. » Le rôle du manager - ou de toute personne qui anime une réunion - est alors de créer les conditions qui permettront de tirer le meilleur de cette diversité et offrir une place à chacun.
« Et pour cela, il est indispensable de s’assurer que chaque participant à une réunion se sente suffisamment en “sécurité psychologique” pour s’autoriser à parler, partager son point de vue, prendre des risques pour exprimer sa perspective », explique Louis Vareille. Ce constat, tiré de l’expérience, est confirmé par la recherche. Les études en la matière ont été menées dès 1999 par Amy Edmondson, professeure en leadership et management à la Harvard Business School. Elles montrent que la performance des soins pratiqués dans les hôpitaux américains est directement corrélée au nombre d’incidents remontés par le personnel. Elle constate alors que les structures qui ont créé un environnement de travail suffisamment sécurisant pour permettre aux soignants de prendre des risques interpersonnels - exprimer un doute ou reconnaître une erreur, par exemple - sont les plus performantes.
Certes, votre prochaine réunion est plus probablement vouée à brainstormer autour d’un projet plutôt qu’à sauver une vie, mais ce constat reste valable. « Car ce qui est fondamental dans une réunion, c’est que les choses se disent », insiste Louis Vareille. Mais avant de devenir “grand maître” en réunion - un titre qui demande des années de pratique - vous pouvez déjà commencer par bannir ces fameuses phrases qui entachent le moral, la confiance et la motivation de vos équipes.
« Tu aurais pu mieux préparer ton dossier, Paul »
L’assaillant en mode : sniper
Pourquoi ça craint : pointer du doigt un collaborateur devant des tiers est parfois mérité, mais toujours malvenu. « La réunion n’est pas l’endroit pour clouer au pilori une personne en public », confirme Louis Vareille. Et ce n’est pas seulement difficile à vivre pour le fameux Paul, mais aussi pour les autres participants : personne n’aime voir un collègue se faire crucifier en réunion, et rares seront ceux qui ne redouteront pas de se retrouver à sa place un jour.
La reco de l’expert : Louis Vareille invite à faire preuve de diplomatie. « Merci Paul. Je réalise que j’avais mal anticipé la complexité de ce dossier, je te propose que l’on reprenne le sujet ensemble. » En bref, permettre à Paul de sauver la face. « En one-to-one, on peut lui remonter les bretelles et être ferme si c’est nécessaire, mais il ne faut pas oublier une chose : on ne connaît pas la vie de ses collègues et des membres de son équipe. Et si son fils est malade ? Et s’il a été accaparé sur un autre dossier ? » Dans ces situations, notre expert recommande toujours de suivre le principe du 3e accord toltèque : ne fais pas de suppositions.
« Cela fait 15 minutes que l’on est sur le sujet… et j’ai l’impression que vous ne savez pas où vous allez »
L’assaillant en mode : donneur de leçon
Pourquoi ça craint : en formulant ses doutes de cette manière, le donneur de leçons critique la dynamique de l’équipe et se place au-dessus de la mêlée avec une arrogance à peine voilée. Il laisse entendre que, lui, aurait trouvé une solution depuis longtemps. Il juge, sans être constructif. « Cela brise complètement la solidarité que l’on peut espérer dans une réunion », observe Louis Vareille.
La reco de l’expert : une fois encore, la diplomatie est de mise. « Prenons du recul et réfléchissons au résultat que nous voulons atteindre », pouvez-vous proposer. Et si cette réflexion maladroite ne sort pas de votre bouche de manager, mais de celle d’un membre de votre équipe (un poil) trop confiant, à vous de recadrer la situation. « *Un manager doit apprendre à repérer les comportements déviants dans son collectifpour mieux les gérer. Il peut s’agir d’aller voir les personnes coutumières de ce genre de comportement en amont de la réunion, ou de rappeler les règles de la réunion lorsqu’elle débute* », illustre Louis Vareille.
« Oui c’est une très bonne idée Elisa… MAIS je pense que l’on pourrait plutôt… »
L’assaillant en mode : camouflage
Pourquoi ça craint : pendant quelques secondes, Elisa a les yeux qui brillent et pense enfin son moment de grâce venu (« Ça y est, le boss aime l’une de mes idées ! »), mais en fait… non. Parce que le-dit boss a suivi quelques formations de leadership d’une oreille, il a compris qu’il valait mieux éviter un « non » frontal, et use de chemins alambiqués pour aboutir au même résultat. Mais personne n’est dupe. Surtout pas Elisa.
La reco de l’expert : « Toutes les formulations qui vont chercher à rassurer avant de donner un coup d’estoc sont à éviter. Les participants savent généralement où cela va arriver, et les effets sont les mêmes qu’un scud direct », constate Louis Vareille. Dans ce type de situation, il recommande plutôt d’entrer dans le questionnement (« Tu me fais cette recommandation, c’est très bien, et as-tu exploré d’autres pistes également ? »). Ou, a minima, de privilégier le feedback conditionnel (« Je pense qu’il faut continuer à travailler sur le sujet ») plutôt qu’inconditionnel (« Tu as mal travaillé sur le sujet »).
« Désolé(e), j’étais sur un sujet important »
L’assaillant en mode : roi du monde
Pourquoi ça craint : parce qu’en plus de sortir cette phrase “comme si de rien n’était”, il est arrivé avec 15 minutes de retard à la réunion… pour la troisième fois cette semaine. À noter, cette phrase connaît sa variante avec supplément melon : « Sorry, j’étais au téléphone avec la DG. » Derrière ces excuses - surtout quand elles sont répétées - le message est clair : le temps des autres vaut moins que le mien. Et si vous lisez suffisamment d’article de développement personnel, vous le savez déjà : le temps est une ressource précieuse, que personne n’aime se faire voler. « Quand une personne arrive en retard à une réunion, surtout de manière répétée et surtout si c’est le manager, les participants à la réunion se sentent rabaissés. Au-delà de leur temps, c’est leur travail qui n’est pas respecté », rappelle Louis Vareille.
La reco de l’expert : « La sécurité psychologique repose aussi sur l’impression d’être d’égal à égal », constate notre expert. Attendre des autres une ponctualité que l’on ne s’impose pas à soi-même est généralement mal perçu par les équipes… et d’autant plus à une époque où “l’exemplarité du manager” est devenue une valeur maîtresse, revendiquée par les entreprises.
« Alors, de quoi parle-t-on aujourd’hui ? »
L’assaillant en mode : je-m’en-foutiste assumé
Pourquoi ça craint : non seulement, il n’a rien préparé, mais il n’a même pas pris le temps de lire l’ordre du jour. Voire, pour les plus gratinés, il demande immédiatement à quelle heure il pourra faire sa pause clope. Et c’est encore pire si le je-m’en-foutiste se trouve être le manager de l’équipe. « Les managers sont très occupés, ce n’est un secret pour personne. Mais ici, le message renvoyé est le suivant : comme je suis important, je peux me permettre de venir non préparé. Et cela projette beaucoup d’irrespect sur le travail des autres », alerte Louis Vareille.
La reco de l’expert : comme pour le retardataire compulsif, il est malvenu d’attendre des autres ce que vous ne pouvez pas leur offrir. La tendance est à la réduction du temps des réunions, et c’est peut-être une bonne opportunité pour proposer des temps plus courts… sous réserve de venir mieux préparé ? Enfin, si le je-m’en-foutiste est un membre de votre équipe, il est indispensable de le recadrer. Et en one-to-one, bien entendu.
« Vous n’y arriverez pas comme ça »
L’assaillant en mode : démoralisateur
Pourquoi ça craint : « C’est impossible », « Ça ne marchera pas », « Don’t bring me problems. Bring me solutions ». Autant de phrases qui - à défaut de briser la sécurité psychologique - vont malgré tout impacter le moral des équipes et leur envie de proposer de nouvelles idées, de partager leurs perspectives et leurs solutions dans des réunions futures. « L’individu qui prononce ces mots en réunion se met hors course », observe Louis Vareille. Vous l’aurez compris, c’est une phrase à éviter à tout prix, si vous êtes soucieux de votre légitimité et de votre crédibilité dans l’équipe.
La reco de l’expert : pourtant, ce n’est pas forcément de votre faute. Le manager pointilleux, analytique, au comportement pessimiste défensif, va naturellement commencer par pointer les risques d’une situation et les angles morts dans les propositions de son équipe. Mais cela peut couper les pattes, même aux membres les plus enthousiastes. « Ils ne se sentiront pas forcément attaqués individuellement, mais cela peut sacrément attaquer leur moral », analyse Louis Vareille. Alors comment faire pour lutter contre votre tendance naturelle à voir le noir dans chaque nouvelle proposition ? Forcez-vous à laisser les enthousiastes s’exprimer en premier. L’efficacité du collectif repose aussi sur la complémentarité des profils psychologiques de chacun : les enthousiastes, et les autres.
Organiser des réunions constructives, qui respectent et consolident la sécurité psychologique, nécessite du doigté et de l’expérience. En tant que manager, vous êtes le premier responsable du bon déroulement d’une séance. C’est à vous de proposer des modes d’expression et des règles qui permettront à chacun de se sentir à l’aise, en sécurité, pour exprimer de nouvelles idées et alimenter les futures décisions. Et c’est à vous également de contrôler les dérapages (les vôtres, et ceux des autres). Pour cela, Louis Vareille offre un dernier conseil : « Pour réduire le pouvoir de nuisance des “terribles” - ceux qui nuisent à la sécurité psychologique du collectif - prenez le temps de rappeler les enjeux des discussions, aidez les collaborateurs à dézoomer, et à comprendre pourquoi ils sont là. Leur dire qu’ils ne sont pas là pour empiler des pierres, mais contribuer à la construction d’une cathédrale. »
Article édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.
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