« Pourquoi je ne postule plus aux offres qui n’affichent pas le salaire »

13 mars 2023

6min

« Pourquoi je ne postule plus aux offres qui n’affichent pas le salaire »
auteur.e
Marlène Moreira

Journaliste indépendante.

Aujourd’hui, une large majorité des offres d’emploi n'affichent toujours pas une fourchette de salaire. Anna, comme d’autres, est entrée en résistance. Et nous expose ses arguments dans cette tribune.

J’ai bien connu le monde du salariat « avant COVID ». Celui du présentéisme, des frites à la cantine et des trajets quotidiens en métro sous les aisselles odorantes d’inconnus. Puis je suis devenue freelance - dans le monde merveilleux du « conseil en solutions digitales » - et j’ai eu la chance de développer une activité qui fonctionne très bien, les fumets de transpiration matinaux en moins. Mais après quelques années de cette flexibilité très appréciable, j’ai envie de re-travailler en équipe et de retrouver davantage de stabilité (et les frites de la cantine).

Alors j’ai prévenu mes clients, afin de ne pas les laisser sur le carreau du jour au lendemain : à la rentrée de septembre, il ne faudra plus compter sur moi. Le compte à rebours est lancé, j’ai six mois pour trouver un job, sans quoi je serai sans clients et sans revenus. Avec un enthousiasme et une sincérité naïve face à toutes ces nouvelles portes à ouvrir, je me suis lancée dans les candidatures.

« Si j’avais su, j’aurais pas venu »

Le premier mois, j’épluche les sites de recrutement et je tombe sur plusieurs offres de postes plutôt intéressantes. En revanche, si le descriptif des annonces détaille bien les missions, les compétences requises, voire même parfois le nom du futur manager, 90 % de ces offres n’affichent pas le salaire pour le job. Vraiment ? En 2023 ? Je suis déçue mais pas abattue, et commence à envoyer mes premières candidatures. J’ai obtenu mes derniers postes par mon réseau, ce qui fait que je n’ai pas envoyé un CV ou une lettre de motivation depuis plus de sept ans.
Et je dois bien l’admettre, déjà avant cela, je n’aimais pas candidater. Pour autant, de nature consciencieuse, j’ai à cœur de bien faire les choses (même celles qui ne m’amusent pas). Par exemple, à mes 18 ans, en postulant chez McDo comme tous les étudiants de mon âge, j’avais pris le temps de rédiger une lettre de motivation personnalisée (quand un simple mot disant : « J’adore vos burgers et j’ai besoin d’argent » aurait été suffisant). Bref, tout ça pour dire que ce n’est pas aujourd’hui que je vais me contenter de faire de vulgaires copier-coller pour postuler.

Ma nouvelle activité commençant sérieusement à empiéter sur mon temps libre, j’ai fini par sortir ma calculatrice (c’est mon petit côté « maniaque de la productivité »). Et, entre la recherche, la lecture de l’offre d’emploi, le temps passé à se renseigner sur l’entreprise qui recrute, la mise à jour et l’adaptation du contenu de mon CV, la rédaction d’une lettre de motivation détaillée … j’ai réalisé qu’il me faut en moyenne une heure et demi pour envoyer une seule candidature. Outch. Un vrai travail en lui-même. Heureusement, à 30 ans, je suis au top de mon employabilité et mon profil intéresse les recruteurs. Le ROI (retour sur investissement, ndlr) est donc bon. D’ailleurs, je décroche rapidement mes premiers entretiens.

Tout en accusant mes premières déceptions. En effet, je découvre en passant ces entretiens d’embauche que les salaires proposés pour les postes que je convoite sont souvent en dessous des prix du marché. Pourtant, quand je relis les offres d’emploi, il est bien indiqué « rémunération attractive », « salaire à négocier » ou « rémunération selon profil /expérience ». M’aurait-on pris pour une poire ? On dirait bien. « Si j’avais su, j’aurais pas venu » comme dirait l’autre. Je suis consciente que mes prétentions salariales sont élevées, mais elles sont aussi atteignables, et surtout justifiées par mon expérience et mes compétences. Me rendre à ces entretiens pour « rien », sans compter le temps passé à les préparer, ne fait qu’allonger la dette de mon temps gaspillé. Or, le temps quand on a 30 ans et deux enfants, c’est justement ce que l’on a de plus précieux.

« Passer une heure à répondre à une offre d’emploi ou regarder une série Netflix… je mentirais si je disais que c’est un choix facile »

Je ne vous apprends rien : quand on est une jeune maman, chaque heure de temps libre est un cadeau. Le matin déjà, c’est la course. La pause déjeuner, c’est les courses. Le soir, c’est le fameux « tunnel du coucher » : jeux, bain, repas, histoires de Tchoupi. À 20H30, je sors la tête de l’eau et la question se pose et s’impose : vais-je passer une heure à répondre à une offre d’emploi ou regarder une série Netflix sur mon canapé ? Je mentirais si je disais que c’est un choix facile. À moi les séries idiotes à m’en cramer les neurones. Je les savoure, je m’en délecte, et cette petite pointe de culpabilité est vite noyée dans un verre de vin rouge et un sommeil entrecoupé de quelques « Maman, j’ai perdu ma tétine ».

Alors voilà messieurs dames les recruteurs, après ces premières déconvenues, je n’ai plus envie de sacrifier mes soirées à rédiger des lettres enflammées qui ne seront peut-être jamais lues… Et qui se révéleront in fine inutiles si à la base nous ne sommes pas un tant soit peu alignés sur une fourchette de rémunération.

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« Même un petit râteau à 10 ou 20K€ près me conviendrait »

En plus, je ne suis pas si difficile. Même un petit râteau à 10 ou 20K près me conviendrait. L’idée, en affichant directement le salaire dès l’offre d’emploi, c’est simplement de savoir si on est à peu près sur la même longueur d’onde. Encore une fois, je m’investis beaucoup dans chacune de mes candidatures mais pas seulement en donnant de mon temps : je m’implique aussi émotionnellement. Je donne tout lors des entretiens, je ressens même souvent ces petits papillons dans le ventre, un savoureux mélange de stress et d’excitation… Autant de sentiments qui créent une grande déception quand je découvre qu’on m’offre un bel esprit d’équipe, un baby-foot et une fontaine d’eau pétillante en compensation d’un salaire bien en dessous de mes attentes.

Sans compter que ce sentiment de frustration est partagé par les deux parties, les recruteurs perdant un temps précieux également. En entretien, j’ai déjà eu des “fit” incroyables, une vision 100 % partagée qui ne font que générer une plus grande déception commune, au moment où tout le monde réalise qu’on ne pourra pas travailler ensemble, d’autant plus pour une question d’argent. Alors ce genre d’ascenseur émotionnel, très peu pour moi, je préfère prendre les escaliers.

« Au fond, ce n’est d’ailleurs pas qu’une question d’argent »

Au fond, ce n’est d’ailleurs pas qu’une question d’argent. En sortie d’étude, il y a près d’une décennie maintenant, j’ai postulé volontairement à une offre au salaire largement en dessous de ce à quoi je pouvais prétendre. La fourchette était affichée en gras, en gros, à la fin de l’annonce. J’ai donc candidaté et accepté ce poste en connaissance de cause, parce que la mission de l’entreprise était top et que l’expérience promettait d’être très formatrice. Et en mangeant mes pâtes premier prix tous les soirs, dans mon minuscule 11m2, je savais pourquoi j’avais fait ce choix.

Et je ne l’ai jamais regretté. Aujourd’hui, je serai prête à faire des sacrifices similaires pour un poste vraiment exceptionnel. Mais je souhaite faire ce choix de façon éclairée au moment où je candidate, et pas devoir le découvrir le jour de l’entretien.
C’est un peu comme si le monde du recrutement était devenu une mauvaise version de Tinder : on prend une photo sous un angle avantageux, on rentre un peu le ventre et on met un joli filtre. Sauf que le jour du rendez-vous, c’est la désillusion. Quand je candidate à un poste qui indique « Responsable X » ou « Directrice Y » et que je découvre que le salaire correspond plutôt à « Chargée de… », j’ai l’impression que l’on m’a menti sur la marchandise. Ils sont où ces abdos en acier, hein ?

Et puis je déteste ce rapport de force déséquilibré avec le recruteur. Cette dissymétrie entre lui - qui a la précieuse information que je cherche - et moi qui l’attend en essayant de faire bonne figure.

J’imagine que dans certains cas, les recruteurs n’indiquent pas la fourchette de salaire sur l’offre d’emploi pour éviter de créer des tensions en interne. Pour éviter de créer des jalousies ou des déséquilibres avec les salariés de l’entreprise. Mais cela me donne encore moins envie de rejoindre ce genre de boîte ! Si l’organisation n’est pas transparente sur cette question, que peut-elle encore bien cacher ? Pire, est-elle incapable de déterminer la valeur ajoutée du poste en question ? Les signaux sont au rouge…

« J’applique la méthode du “ask first, apply later” »

J’ai fait de ce sujet ma bataille de candidature : désormais je postule uniquement aux offres d’emploi qui donnent des indications sur le salaire. Si un poste m’intéresse vraiment et qu’il n’y en a aucune mention j’applique la méthode du « ask first, apply later » : je cherche le nom du recruteur, je lui envoie un message sur LinkedIn pour lui demander poliment la fourchette de salaire en lui expliquant ma démarche. Je n’hésite pas à mettre en avant que le but est de faire gagner du temps à tout le monde : si la rémunération proposée est bien au-dessous de mes prétentions, je stoppe le processus. C’est aussi simple que ça. Cette stratégie portera-t-elle ses fruits ? On verra bien. J’espère secrètement que, de ces discussions avec les recruteurs naîtront des déclics, et qu’ils commenceront à davantage afficher les infos sur le salaire, si chères aux yeux des candidats.

Pour ma part, si dans deux-trois mois, je n’ai toujours pas de piste intéressante, je devrai sans doute changer d’approche et recommencer le cycle des candidatures « à l’aveugle », avec comme seul point d’appui de me fier aux informations disponibles sur Glassdoor. Sur ce site on y trouve parfois les salaires des employés en poste, même si je pense que ce n’est pas fiable à 100%… Et oui malheureusement je ne vis pas d’amour et d’eau fraîche, mais plutôt de vin rouge et de Netflix, ce qui a un coût. L’inflation sur le raisin, ce n’est pas anodin.

Article édité par Aurélie Cerffond, photo Thomas Decamps pour WTTJ

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