Anne-Laure Baratin : « Arrêtez avec ce terme de "Mompreneur" ! »
21 avr. 2022
5min
Rédactrice et podcasteuse - Spécialiste de l’empowerment au féminin
TRIBUNE -
Ça a commencé un peu comme une date qui sent le sapin. Quand on est mal à l’aise et qu’on sait qu’on a déjà passé le meilleur - l’effet de surprise, probablement ? - et qu’a priori si quelque chose nous gêne - et même si on est incapable de l’identifier - ça ne va pas aller en s’arrangeant. Voilà exactement ce que j’ai ressenti quand on m’a proposé de rejoindre un groupe de “mompreneurs” il y a quelques années. Et que j’ai dit oui. Un truc me gênait mais je ne savais pas quoi. Assez rapidement a émergé une énigme : comment le fait que j’ai engendré une progéniture coûteuse et bruyante créait un lien avec un réseau de femmes à leur compte ?
Même combat que la charge mentale
C’est un peu comme la charge mentale, avant de mettre un nom dessus - coucou Emma et sa BD partagée des milliers de fois sur facebook en 2017 - on n’en avait pas conscience mais on la subissait. Et bien c’est pareil pour le concept de mompreneur, mais dans l’autre sens : le terme existe, mais on a du mal à définir ce qu’il peut bien y avoir de “mal” en lui…
Et bien le mal, pour moi, c’est que ce mot supposé être moderne et cool m’a rapidement donné l’impression d’être un utérus sur pattes à qui on tolère une activité pro somme toute assez relative.
C’est quoi ce terme ?
Apparue aux Etats-Unis dans les années 90, l’expression mélange l’anglais « mom » et le français « entrepreneur ». Une mompreneur est une femme enceinte, ou une femme avec des enfants en bas âge, qui décide de devenir une entrepreneuse. Les mompreneurs revendiquent - elles sont notamment plus de sept millions aux Etats-Unis - le fait de concilier une vie de famille avec un travail épanouissant, grâce à des horaires flexibles, tout en travaillant de chez soi.
C’est très beau sur le papier, on aurait tous envie de signer tout de suite pour ce merveilleux programme, mère ou père d’ailleurs. Ah mais tiens, c’est bizarre, ça n’existe pas pour les hommes. Le terme de dadpreneur n’est pas connu des radars, comme c’est étrange. Pourtant les hommes aussi ont envie de concilier vie de famille et travail épanouissant… non ?
Un terme misogyne bien planqué
Donc à ma connaissance, ça n’existe pas pour les hommes, ce terme mix and match, de business et de parentalité. Or on le sait, un truc qui existe pour les femmes mais pas pour les hommes, c’est rarement un avantage ou un bonus - ne me parlez pas du congé maternité qui n’a absolument rien d’un congé, j’en ai vécu trois.
Le concept de mompreneur serait donc misogyne ? On note aussi que le terme qui vient en premier c’est “mom” et ensuite vient celui d’entrepreneuse. Comme si on était défini, comme si notre fonction première était donc d’enfanter. Assez rapidement, on rôde un peu la supercherie, et le message subliminal apparaît en belles lettres : “le plus beau cadeau du monde, c’est celui d’être maman”. Et pour le sous-titre je vous traduis : le pro viendra toujours après le perso, et le perso ne concerne que les enfants.
« Accoler la maternité à l’entreprenariat, c’est sous-entendre que l’un ne va pas sans l’autre, qu’on ne peut pas être une entrepreneuse épanouie si on ne gère pas ses enfants » - Anne-Laure Baratin, rédactrice et podcasteuse
Après avoir constaté que ce terme nous enfermait nous les mères, dans notre rôle de maman sacralisée ultra épanouie dans la maternité, je réalise le 2ème effet kiss cool : être mompreneur nous getthoïse aussi littéralement dans notre foyer, au sein de la sphère domestique. Car les mompreneurs travaillent de chez elles, en pensant justement concilier vie pro et vie parentale. « Chouette, je vais pouvoir lancer une machine entre 2 calls et aller chercher mes enfants pour les ramener déjeuner à la maison avec une purée maison préparée le matin même ! »
Mompreneur, un concept désuet qui dessert les femmes
Car ce concept de mompreneur n’est aussi que l’expression du surinvestissement maternel qu’on veut nous voir incarner, nous les femmes. Accoler la maternité à l’entreprenariat, c’est sous-entendre que l’un ne va pas sans l’autre, qu’on ne peut pas être une entrepreneuse épanouie si on ne gère pas ses enfants. Et c’est faire croire aux mères qu’on peut monter une boite ou être à son compte et qu’on pourra tout gérer comme on l’entend : c’est le mythe de la wonderwoman qui peut tout concilier.
L’effet est un poil anxiogène : le terme confine les femmes dans leur rôle de mère - et sympa pour celles qui n’ont pas d’enfant ou qui galèrent à en avoir d’ailleurs - et accessoirement elles ont une occupation d’entrepreneuse. En définitive, c’est un concept old-school qui donne l’impression que c’est plus une occupation qu’un job. On fait ça pour s’occuper, parce que la vraie vie, c’est maman et c’est ça le plus important (je suis ironique, je préfère le préciser).
« On n’a pas une activité “sérieuse” quand on est mompreneur, on est là pour aller chercher les enfants à 16h15 à la sortie de l’école » - Anne-Laure Baratin
Plus une “occupation” qu’un travail
C’est aussi ça qui m’a marquée en étudiant ce terme de mompreneur et celles qui s’en revendiquaient ou qui l’incarnaient. La mompreneur est en couple, elle est hétéro, et si elle est mompreneur c’est que son mari peut assurer financièrement derrière. Je n’ai pas vu beaucoup de mères solos être mompreneurs, tout simplement parce que la mère celib’ est plus en mode survie du quotidien que conciliation vie pro et perso.
C’est ce qui enfonce encore plus le concept de mompreneur dans un genre d’activité type “hobby”, pour s’occuper, pas tellement pour se rémunérer ou faire bouillir la marmite du foyer. On n’a pas une activité “sérieuse” quand on est mompreneur, on est là pour aller chercher les enfants à 16h15 à la sortie de l’école. On se rapproche toujours plus de “travail famille patrie” à la sauce startup nation.
Un modèle réducteur qui enferme les femmes
“Mompreneur” enferme aussi les femmes dans des modèles très limités. Ce concept nous limite sur le mode de travail et sur les secteurs dans lesquels on peut travailler. Comme si on pouvait créer sa boîte en travaillant trois heures par jour tout en gérant le ou les enfants et la vie d’une maison. C’est faux de penser : « Puisque je vais être maîtresse de mon temps, je vais pouvoir tout gérer. » La flexibilité est une des clés vendues par le concept de mompreneur, mais au sein d’une maison avec des enfants, la flexibilité va surtout consister à se coltiner les rendez-vous chez le pédiatre et l’orthodontiste ou à assurer la logistique et l’intendance du foyer.
Instagram, ton univers impitoyable
Je me suis amusée à regarder sur insta les #mompreneur #mumpreneuse, j’ai failli faire un malaise. Je suis tombée en vrac sur des femmes enceintes mettant en scène leur maternité, des ventres ronds filtrés, des bavoirs brodés home made, des collections d’habits en taille junior. Comme si, là encore, quand on est mompreneur, on était entièrement tourné vers le secteur de la petite enfance ou de la parentalité. Je n’ai pas vu de mompreneur hébergée à Station F dans les nanotechnologies, ou travaillant simplement dans un coworking, en dehors de chez elle. Je n’ai pas vu non plus de mompreneur en soirée networking à 19h sans les enfants, l’esprit tranquille, ou partir en voyages d’affaires en laissant les kids au papa, sans que cela soit un big deal pour toute la famille. La maison semble rester le seul lieu sacré de l’épanouissement pro et perso, tourné vers la gestion et le bonheur de sa progéniture, et pas tellement celui de la mompreneur en question.
Evidemment, une fois le malaise ancré, j’ai pour ma part rapidement quitté ce groupe de mompreneurs, sans en avertir personne. Depuis, j’ai rejoint un autre groupe de femmes où nous sommes entrepreneures ou salariées, mères ou pas, jeunes ou beaucoup moins jeunes, et je peux vous garantir qu’elles sont nombreuses autour de moi à vouloir fermer à clé la porte du foyer pour s’éclater - enfin - dans leur vie pro !
PS : Les filles du groupe Mompreneurs, si vous me lisez pardon pour le départ précipité, je n’ai rien contre vous, juste contre le terme.
Article édité par Clémence Lesacq ; Photos par Thomas Decamps pour WTTJ
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