Managers : pourquoi ne pas envisager la rétrogradation ?

21 janv. 2022

5min

Managers : pourquoi ne pas envisager la rétrogradation ?
auteur.e
Laure Girardot

Rédactrice indépendante.

65 % à 75 % des managers seraient incompétents. Parfois même selon leur propre analyse. Alors pourquoi ne sont-ils pas réorientés vers d’autres fonctions… voire rapatriés sur des postes d’expertise sans management ? Autrement dit : rétrogradés ? Le mot est lâché. Tabou ultime en entreprise, la rétrogradation reste un acte RH délicat tant le titre et le statut managérial incarnent encore la progression et la réussite. Et s’il était possible d’y voir surtout une opportunité de carrière ? Un levier de performance pour l’organisation ? Ok, mais à condition d’y mettre les formes.

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Une rétrogradation assumée et bien menée : un levier de bien-être ?

Pascal Le Scornet a travaillé 17 ans en tant que manager dans le secteur du pneumatique. Après avoir quitté son entreprise, il a créé diverses activités à son compte dans la décoration et l’importation de vin. En 2020, il opère un changement radical et assumé : il se rétrograde. « La crise sanitaire avait mis un coup de frein à mon activité, j’ai eu l’opportunité de reprendre un poste salarié dans mon ancienne entreprise… mais en usine car il y avait une forte pénurie de main-d’œuvre ». Cette rétrogradation assumée est en phase avec sa philosophie de vie actuelle. « Jusqu’à présent, j’ai tenu des postes avec des responsabilités qui me prenaient à 100%. Je rentrais chez moi la tête remplie de problèmes. Il n’y avait jamais de coupure ! Aujourd’hui, quand je quitte mon poste, mon travail reste à l’usine. Je découvre une liberté que je ne connaissais pas ». Avant d’opérer un tel changement, Pascal s’inquiétait de la dimension sociale de la rétrogradation, notamment auprès de ses collègues : « J’avais peur de ne pas me faire accepter au regard de mon parcours atypique. Finalement, c’est davantage ma hiérarchie qui s’inquiétait d’une possible lassitude ». Autre sujet crainte lors d’une rétrogradation, subie ou choisie : la rémunération. Pascal a perdu 30 % de sa rémunération en changeant de statut et de contrat… mais insiste sur ce qu’il a gagné en contrepartie : « Qualité de vie, équilibre et motivation ». Motivation. Le mot est lâché. À l’heure où l’engagement au travail des salarié·es est en berne (seul·es 7% de français·es se disent engagé·es au travail en 2021, alors qu’ils/elles étaient 11% il y a dix ans), et que 80 % des Français ne souhaitent pas devenir manager, selon une étude menée par Audencia Business School, pourquoi poursuivre un modèle de carrière ascendant ?

« Je découvre une liberté que je ne connaissais pas »
Pascal, manager “retrogradé”

Et si la vraie question était celle du modèle organisationnel ?

Première raison à cela, la norme reste majoritairement le développement de carrière ascendant, sous forme de promotions ou de changements de poste à des fonctions plus élevées. Il est temps de bâtir une rétrogradation « en réseau » où les parcours internes s’entremêlent afin de laisser les vocations individuelles exister. Selon Ludovic Girodon, expert en management et auteur de Dream Team, « il est urgent de dédramatiser le fait de changer de voie et de ne plus être ou vouloir être manager. Il faut, au contraire, le valoriser en créant d’autres voies d’évolution autour de l’expertise, par exemple ». En effet, tout le monde n’est pas fait pour être manager. Il poursuit : « C’est un vrai courage managérial que de renoncer à ce statut. L’objectif est d’être aligné avec qui l’on est et ce que l’on aime faire. Les entreprises gagneraient à mettre en place un nouveau rituel : permettre à chacun de réfléchir et d’exprimer son niveau d’alignement (ou de désalignement) par rapport à son poste actuel ». Ces intermèdes professionnels permettent de désamorcer les tensions latentes qui coûtent cher aux organisations… et aux individus. Pour amorcer ce virage, il faut, selon lui, un vrai changement culturel dans l’univers professionnel.

Certaines entreprises ont mis à plat leur organisation afin de proposer un tout autre modèle où le fait de rétrograder devient naturel, voire intrinsèque, au fonctionnement interne. C’est le cas des organisations qui s’inspirent du modèle holacratique comme Loyco, une PME de 115 collaborateur·rices labellisée B Corp, où les grades sont inexistants. Le modèle est basé sur la gouvernance et l’intelligence collective avec un management horizontal. Ce qui veut dire que « chacun·e détient une partie du pouvoir avec une responsabilité individuelle sur les rôles qu’il/elle endosse », explique Christophe Barman, cofondateur de l’entreprise. La rétrogradation s’applique alors de manière organique comme un outil de collaboration : « Un·e Loycomate se voit attribuer des rôles et responsabilités qui leur confèrent une autorité ciblée et décorrélée de toute position hiérarchique. Comme tout le monde sait que les rôles ne sont pas liés à un titre, une position hiérarchique ou un salaire, il y a peu de jugement sur le fait de changer de périmètre ou de responsabilités. Ceci est inscrit dans notre constitution partagée avec et co-créée par tous les collaborateur·rices ! ». Finalement, cette approche plus fluide des rôles et responsabilités, revient à rendre chacun·e intrapreneur·e et acteur·rice de son évolution. Un nouveau souffle qui permet de transcender le sacro-saint triptyque « périmètre, statut, posture » qui gangrène l’engagement au sein des entreprises pyramidales.

Rétrograder : de quoi parle-t-on en droit social ?

Avant d’initier une procédure de rétrogradation, attardons-nous sur le sens et le cadre juridique. La rétrogradation est définie comme un mouvement descendant dans la hiérarchie de l’organisation. Elle implique une perte de responsabilités assortie d’une diminution de salaire. Il existe deux types de rétrogradation :

  • la rétrogradation volontaire, un mouvement à l’initiative de l’individu, qui aboutit à un poste inférieur et convient mieux à ses besoins,
  • la rétrogradation involontaire qui est initiée par l’organisation résultant d’une inadéquation entre le poste et les compétences.

Marylaure Méolans, avocate en droit social chez Victoire Avocats et créatrice du podcast Droit Devant, précise : « S’il y a une baisse de salaire sans baisse des responsabilités, il s’agit d’une sanction pécuniaire. Ceci est interdit. Par ailleurs, en droit du travail, il existe certains éléments au sein du contrat de travail, dits essentiels, que l’on ne peut modifier sans l’accord du/de la salarié·e. Notamment, les fonctions (classement hiérarchique) et la rémunération. En conséquence, une rétrogradation nécessite toujours le consentement de ce·tte dernier·e ». Ainsi, il/elle peut refuser sa rétrogradation même si cela résulte d’une sanction disciplinaire.

Comment rétrograder… sans drame ?

Marylaure Méolans recommande plusieurs éléments clés afin de mener à bien une rétrogradation. « Il est indispensable de la soumettre au/à la salarié·e afin qu’il/elle donne son accord. Sans cela, l’employeur ne peut l’imposer. Concrètement, il s’agit de recueillir son consentement, par voie d’avenant signé après lui avoir laissé un délai de réflexion. Attention, qui ne dit mot ne consent pas en droit ! S’il/elle ne répond pas, cela ne veut pas dire qu’il/elle accepte. Un retour écrit et signé s’avère indispensable ». En cas de refus, plusieurs alternatives sont possibles : renoncer à la rétrogradation et rétablir le/la salarié·e dans son emploi. Et « s’il s’agit d’une rétrogradation non volontaire, on peut prononcer une autre sanction : une période de privation de salaire ou une mise à pied, etc. ».

Autre point important, la communication : « Si publiquement, l’employeur (manager, DRH…) annonce une rétrogradation auprès des équipes, cela peut être vécu comme une circonstance vexatoire pour le/la salarié·e concerné·e ». Il est préférable que l’annonce officielle soit le fruit d’une concertation entre le/la salarié·e et la direction. Dans cette optique, associer la personne aux messages à faire passer est une bonne pratique. « Cela peut s’apparenter à une communication de crise : il faut être vigilant aux impacts possibles sur la personnes et les équipes ». Pour éviter ces situations sensibles, le mot d’ordre est l’anticipation. « Si l’on identifie un potentiel manager au sein de l’entreprise mais qu’il est nécessaire de valider ses compétences au préalable, il est recommandé d’assortir ses nouvelles fonctions d’une période probatoire ». Cet outil permet de proposer au/à la salarié·e une période d’essai interne afin de tester ses aptitudes sur son futur périmètre. En cas de manquement ou d’inadéquation, il suffit d’activer cette période probatoire. De quoi éviter des incompréhensions et des tensions inutiles.

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Photo par Thomas Decamps
Article édité par Héloïse De Montety

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