Psycho Boulot : pourquoi la quête de la réussite nous rend-elle malheureux ?
16 juin 2021
PSYCHO BOULOT - Pourquoi procrastine-t-on parfois au travail alors qu’on est “sous l’eau” ? Pourquoi imagine-t-on toujours le pire au boulot comme dans la vie ? Pourquoi travaille-t-on 5 jours par semaine et pas 3, 4 ou 6 ? Ou encore, pourquoi a-t-on décidé que les weekends étaient une bonne idée ? Découvrez Psycho Boulot, la série qui vous offre un divan confortable où aborder les questions existentielles du monde du travail, et prendre (enfin) un coup d’avance sur votre cher cerveau grâce à notre expert du Lab Albert Moukheiber.
À un moment de sa vie, tout le monde a rêvé d’une sorte de consécration : de réussir. Gagner un Oscar, gagner le premier prix, devenir CEO, devenir milliardaire… Ce n’est plus un secret, on peut le dire : nous sommes dans une culture carriériste où l’on essentialise les gens sur leur travail pour ensuite les évaluer sur la manière dont ils réussissent. Mais tout au bout, la réussite est vraiment corrélée à notre bonheur ?
Nous avons l’impression que la satisfaction qu’on tire de notre réussite est linéaire. Plus je réussis et plus je suis satisfait. Mais de manière très contre-intuitive et lorsqu’on s’appuie sur les recherches en sciences cognitives, on réalise que ce n’est pas vraiment le cas. Pire, souvent, c’est vécu comme une sorte de déception.
Le piège de la ligne d’arrivée
Certains considèrent qu’il y a une erreur dans l’estimation de notre réussite. Tal Ben-Shahar, professeur à Harvard, appelle ça la « arrival fallacy » : l’erreur de l’arrivée. Elle traduit l’illusion qu’une fois notre but est atteint, on va ressentir une émotion très forte, qui dure dans le temps. Alors que quand on s’intéresse aux faits, on s’aperçoit que nous ressentons un surplus de bonheur quand on atteint un but, mais que ce sentiment est en réalité extrêmement court dans le temps.
Investir toutes nos ressources dans un seule domaine, voilà le propre de la réussite. C’est étrange, car nous ne le faisons pas pour grand-chose d’autres.
Nous tombons alors dans un piège, celui d’imaginer que nos états émotionnels durent longtemps. Cela s’appelle le biais de durabilité. Les sciences humaines se sont largement penchées sur ce biais. Parmi elles : une expérience avec des athlètes à qui on a demandé ce qu’ils seraient prêts à faire pour gagner une médaille d’or. Certain·e·s confiaient être prêt·e·s à sacrifier des années de leur vie : comme s’ils/elles signaient un pacte avec le diable pour perdre dix ans de leur vie, à condition qu’à l’arrivée, ils/elles puissent avoir la médaille d’or. Et quand on interroge des sportifs·ves de haut niveau qui ont vraiment gagné la médaille d’or sur la durée de leur satisfaction, ils/elles révèlent qu’elle aurait duré 48h à 72 h, et qu’ensuite, ils/elles seraient revenu·e·s à une sorte de norme.
Investir toutes nos ressources dans un seule domaine, voilà le propre de la réussite. C’est étrange, car nous ne le faisons pas pour grand-chose d’autres. Par exemple, on ne se dit jamais : « Je vais manger 20 kilos aujourd’hui et ne plus manger pour le reste du mois. » Je ne me dis pas non plus : « Je vais dormir 72 heures aujourd’hui et ne plus dormir pendant un mois » ni « Je vais être stressé, me mettre complètement en boule, ne voir personne pendant six mois et dans six mois, je vais prendre une semaine de vacances. » Pourtant, on pense comme cela quand il s’agit de réussite. Et à l’arrivée, la satisfaction est de si courte durée que l’on se retrouve déçu. Alors, nous tombons dans un autre piège : celui de choisir un autre but et donc de remettre une pièce dans la machine pour finir par courir éternellement après notre satisfaction comme un hamster dans sa roue.
Lire aussi : notre collection sur les biais cognitifs au travail : « Nous sommes tous biaisés »
Rallumer la flemme
Ce piège renvoie à une autre forme de biais de nos pensées qu’on appelle le focalisme. Nous allons tomber dans ce qu’on appelle l’erreur de la cause unique et croire que toute notre satisfaction de vie dépend d’un seul facteur et que ce seul facteur, c’est notre réussite. Notre relation avec nos enfants, notre relation de couple, notre relation avec nos potes, nos hobbies, faire du sport, jouer aux jeux vidéo, regarder des séries… tout cela est mis de côté au profit de cette promotion, de ce projet qui va m’apporter une satisfaction dans ma vie. Pardon, mais il n’y a rien de plus faux.
On remarque que c’est même inversement proportionnel. La satisfaction n’est pas quelque chose que l’on peut viser explicitement. C’est un peu comme le sommeil : quand je veux dormir, si je me mets au lit, je me couche et que je commence à me demander - « Est ce que je dors ? » - paradoxalement, je ne peux pas dormir. C’est quand je fais autre chose que je m’endors. Il semblerait donc que notre satisfaction de vie, que notre bonheur soit une propriété émergente de ce que l’on fait à côté.
Mais est-ce que cela veut dire que je ne devrais pas avoir d’ambition, que je devrais me foutre de tout et ne pas vraiment essayer de réussir ? Absolument pas. Simplement, il faut veiller à ne pas tomber dans ce piège du focalisme, en se disant que la réussite n’est pas la seule chose qui peut nous apporter de la satisfaction dans la vie. Il faut diversifier les manières dont on tire notre satisfaction de vie. Notre réussite n’est pas supposée être un pilier unique de notre vie.
Nous sommes beaucoup plus que notre travail. Nous pouvons tirer des réussites de choses très diverses : nos hobbies, nos relations sociales, aider les autres, s’aider soi-même, ne rien faire, la flemme, car finalement c’est une bonne réussite de pouvoir être flemmard dans le monde d’aujourd’hui et de résister à la pression et aux injonctions de bonheur permanent. Et qui sait, peut-être que vous allez réussir, sans vraiment le vouloir.
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Inspirez-vous davantage sur : Albert Moukheiber
Docteur en neurosciences, psychologue clinicien et auteur
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