Psycho Boulot : les tests de personnalité sont-ils bullshit ?
19 avr. 2022
PSYCHO BOULOT - Pourquoi procrastine-t-on parfois au travail alors qu’on est “sous l’eau” ? Pourquoi imagine-t-on toujours le pire au boulot comme dans la vie ? Pourquoi travaille-t-on 5 jours par semaine et pas 3, 4 ou 6 ? Ou encore, pourquoi a-t-on décidé que les weekends étaient une bonne idée ? Découvrez Psycho Boulot, la série qui vous offre un divan confortable où aborder les questions existentielles du monde du travail, et prendre (enfin) un coup d’avance sur votre cher cerveau grâce à notre expert du Lab Albert Moukheiber.
Lors d’un entretien ou d’une formation en entreprise, on vous propose de passer un fameux… test de personnalité. Ca y est, vous allez enfin savoir QUI vous êtes vraiment ! Faites-vous partie des personnalités plutôt “bleu”, “jaune” ou “vert” ? Comprenez créatives, analytiques ou dôtées d’une pensée divergente ? Et quel poste est, du coup, réellement fait pour vous ? En bref, toutes vos questions existentielles s’apprêtent à trouver leurs réponses, à moins que ce ne soit simplement trop beau pour être vrai. Mais n’accorde-t-on pas un peu trop d’importance à ces tests et que veulent-ils dire vraiment ?
L’effet Barnum : comment les tests positifs vous biaisent
Depuis la Grèce antique, c’est un sujet qui nous obsède. Sur le fameux temple de Delphes, c’était écrit : « Connais-toi toi-même. » Mais cet adage présuppose plusieurs choses. Déjà que c’est possible et de deux que « moi-même » représente quelque chose de stable, autrement dit que “je suis tout le temps et de la même manière « moi »”. Mais est-ce vraiment le cas ? Plusieurs recherches en psychologie semblent douter de cette notion qu’on appelle la notion du self.
Un chercheur en psychologie sociale qui s’appelle Bertram Forer s’est déjà penché sur la question dans les années 60, en donnant naissance à l’ « effet barnum » ou l’ « effet forer ». Il était allé voir ses étudiants en psychologie en leur expliquant qu’il avait développé un nouveau test de personnalité hyper fiable. Puis, il leur a posé des questions et leur a dit : « Vous allez remplir les questions, je vais récolter les résultats, et je reviens le lendemain avec un texte personnalisé pour chacun d’entre vous. Et je veux que vous me disiez à quel point vous vous retrouvez dans ce texte. »
Plus de 90% des gens se sont retrouvés pile poil dans les résultats de ce test. Ce que les étudiants ne savaient pas, c’est que Forer avait donné le même texte à tout le monde. En fait, Forer avait découvert qu’il y avait une manière de décrire la personnalité des gens de telle façon que la responsabilité de la précision du texte soit déplacée du test sur la personne. En gros, la façon dont sont écrits les résultats de ces tests de personnalité font que vous allez vous retrouver dedans indépendamment de qui vous êtes.
Pour qu’un effet barnum fonctionne, trois conditions principales doivent être réunies :
- Il faut que vous croyiez que c’est un test personnalisé.
- Il faut que vous croyiez que la personne qui vous fait passer le test est compétente.
- Il faut qu’il y ait au moins 75% de ce qui est écrit dans le texte soit positif. En gros, si vous faites un test de personnalité et que les résultats disent : « Vous êtes une personne ingrate, hypocrite et pas sympa », vous allez avoir une résistance et vous allez rejeter le truc.
Une quatrième condition peut être rajoutée dans le monde actuel, notamment en entreprise, c’est son coût. Surtout si vous payez le test cher, parce que personne n’a envie d’être un pigeon. Donc si vous payez 100 euros en moyenne le test pour qu’on vous dise qui vous êtes, vous allez vous retrouver dedans.
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L’erreur de la cause unique : votre personnalité ne conditionne pas votre performance
Le problème de ces tests en entreprise, c’est qu’on les utilise à des fins prédictives. On va, par exemple, vous faire passer ce test à l’étape du recrutement pour voir si vous pourrez ou non bien faire votre travail. On va utiliser ces tests pour diviser des équipes, pour savoir si on met les bleus avec les jaunes, les verts avec les rouges. C’est là que ça devient problématique parce que même d’un point de vue théorique, ça part de certaines prémisses selon lesquelles la personnalité conditionne la performance.
Mais cette considération invisibilise une multitude d’autres facteurs qui viennent impacter la performance et qui sont beaucoup plus importants : “est-ce que je m’entends bien avec mes collègues ?”, “est-ce que j’ai un très long trajet pour arriver au boulot ?”, “est-ce que mon patron est toxique ?” Tous ces facteurs disparaissent : c’est ce qu’on appelle l’erreur de la cause unique. Il y a une cause unique à votre performance qui est votre personnalité. C’est très dangereux et il faut faire attention de ne pas tomber dans ce piège.
Mais comment ? Il faut juste abandonner ces tests car l’humain est trop complexe pour eux. C’est presque insultant de se dire qu’on peut nous cerner aussi facilement à travers nos interactions sociales”, en sachant que nous ne sommes pas la même personne quand on est avec des amis ou au travail. Et même au travail, nous n’adoptons pas le même comportement avec nos collègues qu’avec nos supérieurs hiérarchiques. On n’est pas la même personne tout le temps. En revanche, on peut le remplace par un autre super outil : la période d’essai ! Si ça marche, tant mieux, et si ce n’est pas le cas, on se résigne et on trouve une autre manière de faire pour mieux travailler ensemble.
Photo par Thomas Decamps, Article édité par Soline Cuillière.
Inspirez-vous davantage sur : Albert Moukheiber
Docteur en neurosciences, psychologue clinicien et auteur
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