Déjà marre du "quiet quitting" ? S'adapter à cette réalité sera pourtant nécessaire !
13 sept. 2022
Coach, consultante et formatrice spécialiste de l’équilibre de vie pro/perso
TRIBUNE - Vie pro, vie perso, équilibre, frontières à placer ou à effacer… Comment fait-on, en tant qu’individu ou entreprise, pour garantir le bonheur et la réalisation de soi, au travail comme à la maison ? C’est le questionnement perpétuel de notre experte du Lab, Sandra Fillaudeau, créatrice du podcast Les Équilibristes et de la plateforme de conseil pour entreprises “Conscious Cultures”. Chaque mois, pour Welcome to the Jungle, elle nous livre son regard juste et mesuré sur un épisode de nos vies de travailleur·ses.
À moins d’avoir vécu dans une grotte ces dernières semaines, vous ne découvrirez pas le sujet de cette tribune, le “quiet quitting”, en la lisant. Ce phénomène de “démission silencieuse”, fait le buzz depuis mi-juillet aux États-Unis et a été repris dans les médias français début septembre. Tout est parti d’une courte vidéo Tiktok dans laquelle un jeune homme, sur fond de musique calme, évoque le terme “quiet quitting”, qu’il définit comme le fait de s’en tenir à son descriptif de poste, sans aller au-delà, et de ne plus définir sa valeur en tant qu’humain par son travail.
Rien n’est anodin dans ce phénomène : ni le timing, après plus de deux ans de pandémie qui ont rendu la porosité des sphères pro et perso difficile à vivre pour beaucoup ; ni le lieu de naissance du phénomène, les États-Unis, où la “hustle culture” (ou culture de l’agitation, du sur-travail) est bien plus forte que chez nous.
Rapidement, ce buzz a été critiqué, et le soufflé semble s’être déjà écroulé… Pourtant, ne le balayons pas trop vite du revers de la main ! Car la réalité derrière le buzz n’a, elle, pas changé. Et il se pourrait bien que nous ayons des choses intéressantes à en apprendre.
Un terme sophistiqué pour dire quelque chose de très simple
Au fond, une “démission silencieuse”, ça ressemble à quoi ?
En première lecture, c’est le fait de faire uniquement ce qui est attendu sur sa fiche de poste. Par exemple, ne plus endosser le travail de plusieurs personnes parce qu’un·e collègue n’est pas remplacé·e, ne plus se porter volontaire pour ces tâches qui ne sont la responsabilité de personne, mais que l’on prend en charge pour aider (tout ce qui relève finalement du “comportement citoyen organisationnel”). Pour résumer, c’est faire son travail, point, mais sans idée de le bâcler ou de rogner sur ses tâches. On fait juste ce pour quoi on est payé·e.
Il y a aussi cette idée d’arrêter d’aller au-delà de ce qui est attendu dans l’espoir d’une promotion, d’une augmentation, d’une reconnaissance, après lesquelles les “quiet quitters” ont décidé de ne plus courir.
Il y a, enfin, le fait de mettre des limites plus fermes à la place que prend le travail dans la vie : refuser les heures supplémentaires, prioriser soi-même quand la hiérarchie refuse de le faire (mettre un terme au fameux “tout est urgent”), et plus globalement, refuser de laisser le travail créer un stress qui pollue la vie dans son ensemble. « Ce n’est que le travail, après tout » pourrait être le sous-titre de ce buzzword qui clive. Parce que dans le fond, c’est bien de cela qu’il s’agit : une sorte de redéfinition collective des mots “ambition” et “réussite”, dans laquelle le travail est une composante mais non l’élément primordial.
Le marqueur d’une époque plus que d’une génération
Désengagement, perte du goût de l’effort, relâchement de la part des plus jeunes ? Moi je dirais plutôt lucidité, sagesse, recul et audace, de la part d’une génération qui a compris l’importance d’identifier et d’affirmer ce qui compte pour elle…
Depuis 2 ans ½, nous avons vécu collectivement : une pandémie, des manifestations alarmantes du changement climatique, des taux record de souffrance mentale, la guerre à nos portes, une inflation galopante. En somme, des crises extrêmement anxiogènes qui se succèdent et se superposent les unes aux autres. C’est d’ailleurs étrange que l’on s’étonne de ce mouvement, comme si, au milieu de ce chaos, le rapport au travail devait, lui, rester immuable.
Et si les “quiet quitters” d’aujourd’hui étaient aussi les “quiet sufferers” d’hier ? Dans une étude récente, Malakoff Humanis identifiait que 23% des jeunes Français jugent négativement leur santé mentale, ce qui se matérialise par des arrêts de travail qui explosent chez les moins de 30 ans.
C’est intéressant que ce mouvement naisse maintenant, dans une période de fortes tensions économiques, et alors que les tons commencent à se durcir dans les discours des dirigeant·es aussi. Après une période post-confinements où le message était « nous allons œuvrer pour plus de flexibilité, nous avons compris que c’est ce que vous attendiez », aujourd’hui c’est plutôt : « la fête est finie, retour au bureau, et la porte est grande ouverte pour celles et ceux à qui ça ne va pas ». C’était en somme les messages de la direction d’Apple et de Mark Zuckerberg, PDG de Meta, ces dernières semaines.
Alors et si, une fois passé l’agacement sur la forme, on voyait le fond de ce mouvement comme une sorte d’adaptation saine de l’espèce humaine à son milieu de vie ? Il y a quand même une idée très forte de finitude des ressources derrière ce mouvement : finitude des ressources en temps, en énergie, ce qui implique un choix conscient et délibéré des domaines prioritaires où les investir. Le travail ? Le reste de la vie ? Et pour quels retours ?
Alors, on fait quoi ?
Vous faites peut-être partie des 80% de personnes ayant réagi négativement sur les réseaux sociaux à ce phénomène. Mais le point de départ, c’est d’accepter que même si le buzz s’éteint (buzz tout à fait hors du commun, ce qui est déjà un indicateur), le mouvement de fond qu’il décrit est une réalité avec laquelle composer.
Comment ? En construisant des environnements de travail que les salarié·es n’ont pas envie de quitter.
Renouer avec les vrais leviers de motivation
D’après l’institut de sondage américain Gallup, 21% des personnes se disent “engagées” dans leur travail à travers le monde, 14% en Europe, et 6% en France. Aïe.
Je ne compte plus mes échanges avec des invité·es, auditeurs·trices de mon podcast, client·es de coaching, des personnes engagées, brillantes, qui finissent par quitter l’entreprise à laquelle elles ont beaucoup donné et où elles ont fini par manquer de reconnaissance, de possibilités d’évolution, de coudées franches pour proposer et mener les projets qui leur tenaient à cœur. Ou tout simplement d’un·e manager bienveillant·e. Ni les titres ni les salaires ne les ont retenu·es. C’est le B.A BA, et il faut commencer par là. Savez-vous ce qui motive les personnes qui travaillent dans vos équipes ? Savez-vous ce qui fait qu’ils ont envie de venir travailler chez vous ? Si oui, mettez le paquet là-dessus. Sinon, demandez-leur : à quoi ressemble la réussite dans ce poste pour toi ? Est-ce que ta charge de travail te semble raisonnable ? Comment as-tu envie d’évoluer ? Comment as-tu envie de contribuer à la réussite de l’équipe / de l’entreprise ?Définir la mission de votre équipe, la contribution de chacun·e, et les communiquer clairement
Je ne compte pas non plus mes échanges avec des managers ou des RH se sentant coincé·es entre des process rigides, des exigences en termes de performance, et des collaborateurs·trices impatient·es. C’est la réalité. Et l’enjeu de notre période est là : faire rimer prise en compte de l’individu avec performance collective. Cet enjeu, il est lui-même collectif : ce n’est pas à vous, managers, de le résoudre seul·e, mais c’est bien à vous de lancer et cadrer le sujet.Faire preuve de curiosité dès que vous sentez un changement
La crainte de la contagion du désengagement est bien présente chez les managers et dirigeant·es. Mais ne vous laissez pas distraire par les pensées et jugements du type “cette personne n’est pas professionnelle”, et faites plutôt preuve de curiosité (ce qui n’exclut bien sûr pas d’attendre un résultat de la part du salarié·e !). L’engagement et la motivation sont fluctuants, intéressez-vous à ce qui se cache derrière. Comme le rappelle si pertinemment Seth Godin, « The hallmark of a resilient, productive and sustainable culture is that disagreements aren’t risky. » (en français, « L’indicateur d’une culture résiliente, productive et durable, c’est qu’on n’y craint pas les désaccords. »)
Je voudrais conclure avec une anecdote : il y a quelques années, j’échangeais avec des chefs de service à l’hôpital, qui s’offusquaient des jeunes internes qui refusaient d’enchaîner les gardes sans repos. « Ils se prennent pour qui ? » s’indignaient-ils… Mais derrière cet agacement de surface, il y avait aussi une pointe d’envie… et de respect inavoué. N’était-ce pas finalement une vraie preuve de courage et d’intelligence, de vouloir préserver sa santé et celle des patients ?…
Gardons donc un esprit ouvert face à ce “quiet quitting”, en allant au-delà de la forme pour s’intéresser au fond. Et en nous demandant, avec beaucoup d’honnêteté, ce que ça vient remuer chez nous.
Article édité par Clémence Lesacq ; photos : Thomas Decamps pour WTTJ
Inspirez-vous davantage sur : Sandra Fillaudeau
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